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« Égalité des chances » : chronique “Nos mots et les leurs”, Alain Chevarin

Dans son souci de faire « renaîtr[e] les élites véritables », Pétain déclarait en octobre 1940 : « Le régime nouveau […] ne reposera plus sur l’idée fausse de l’égalité naturelle des hommes, mais sur l’idée nécessaire de l’égalité des chances données à tous les Français de prouver leur aptitude à servir ».

Trois décennies plus tard, ce sont les libéraux qui théorisent les « inégalités justes » et la notion d’« égalité des chances » devient la clé de la « société libérale avancée » voulue par Giscard d’Estaing. La société donne à tous « les mêmes chances », et dès lors celui qui ne « réussit » pas ne peut s’en prendre qu’à lui-même, à son manque de travail, d’effort, bref de « mérite », ou à l’insuffisance de ses « dons » ou de son « talent ». Cette notion de mérite est ce qui fera accepter l’égalité des chances par la gauche tenante de « l’élitisme républicain ». On peut donc remplacer les filières étanches du système précédent (enseignement primaire pour les classes populaires, « petit lycée » pour la bourgeoisie) devenues obsolètes par une école puis un collège prétendus « unique », puisque le tri social se fera de manière individuelle et intégrée.

Peu à peu cette notion gagne tous les éléments de la vie sociale : Raffarin instaurera même en 2004 un « Secrétariat d’État à l’Égalité des chances ». Elle est utilisée dans d’autres pays, mais le plus souvent avec un sens différent : elle concerne la lutte contre les discriminations liées au genre (Allemagne), au racisme (Belgique), à l’embauche (Catalogne) ou au handicap (Nations Unies). Les pouvoirs français, eux, en font un usage particulier dans le domaine de l’éducation : il s’agit non de combattre à postériori des inégalités, mais de donner à priori des chances prétendument égales à tou-te-s, à charge pour chacun-e de les faire fructifier ou non.

Cette conception d’une « égalité des chances » correspond donc à une individualisation des parcours scolaires, ou, pire encore (parce que la notion de personne engage plus que celle d’individu), à la « personnalisation » mise en œuvre actuellement à tous les niveaux. La différenciation scolaire n’est plus due à des facteurs sociaux mais, pour reprendre le mot du ministre Beullac en 1978, à « la personnalité de chaque élève ».

Revendiquer l’égalité des chances relève d’un choix de société diamétralement opposé à revendiquer l’égalité. Cette dernière repose sur des droits, non sur des « chances ». Revendiquer un droit, c’est se placer dans une optique collective et égalitaire, revendiquer une chance, c’est se placer dans une optique individuelle et concurrentielle.

Alain Chevarin

1 Comments

  1. Thierry Flammant

    « Égalité des chances » : chronique “Nos mots et les leurs”, Alain Chevarin
    Très judicieuse mise au point qui rappelle l’origine d’un verbiage typiquement Education nationale. La chance, c’est le hasard. Au contraire, le droit, c’est l’égalité ou l’inverse. Je ne l’opposerais pas au mérite qui est encore une autre notion très polysémique. Ce vocabulaire vient en droite ligne de l’Eglise comme cet autre fatras idéologique qui est le “droit à la différence” ou l’individualisation de la pédagogie venant du personnalisme chrétien. Quand on aura fait table rase de la sémantique cléricale qui a pollué l’école laïque (voyez le Sgen et compagnie) on aura fait un grand pas vers son émancipation. Mais il reste beaucoup de travail. Ce n’est qu’un début…

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