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« Moi je coopère pour avoir la parole, pour défendre mon métier »

Auteur de Coopérer pour changer de monde, co-édition ICEM-CEMEA, 2023, François Le Ménahèze nous livre ici quelques éléments de réflexion sur ce sujet…

La compétition est aujourd’hui omniprésente dans toutes les sphères de notre société. Elle a imprégné le monde économique et politique faisant même partie intégrante de notre pensée collective. Le système néolibéral dans lequel nous sommes englués a besoin d’une théorie du progrès fondée sur la course à la croissance, la mise en exergue de l’individualisme et le triomphe des meilleurs. Les valeurs du capitalisme demeurent bien la liberté individuelle et des valeurs fonctionnelles tels que le rendement, le progrès, la concurrence régulée par une valeur apparemment neutre : l’efficacité. Pourtant, les conséquences humaines et environnementales s’avèrent désastreuses pour la majorité de la population : sur-exploitation des ressources, course au productivisme et à la rentabilité, souffrances physiques et psychologiques, non-sens dans le travail, recrudescence des inégalités et injustices, accroissement du stress et autre burn out, lutte contre l’autre, attaque en règle des services publics, etc. L’humain n’a plus qu’à se calibrer à la machine, au robot, à l’entreprise, au manager, à l’institution, etc. On légitime ainsi le maintien des inégalités entre individus, groupes sociaux, voire même entre régions et pays. On fabrique une image de l’Autre comme ennemi d’où les nombreux phénomènes de stigmatisation des déplacés, des migrants, des exclus.

L’École n’échappe évidemment pas à cette course effrénée. Elle s’est construite sur un principe de disparité où il s’agissait de former les élites. Malgré un basculement historique à l’ensemble de la jeunesse, les inégalités n’ont fait que se perpétuer. N’est-ce pas un récent rappport de l’Observatoire des inégalités qui nous indique qu’à l’entrée en sixième, 10 % enfants d’ouvriers arrive avec au moins un an de retard contre moins de 2% des enfants de cadres supérieurs. Et nombre de constats de ce rapport vont dans ce sens. Une partie du destin scolaire paraît déjà jouée. Nos sbires politiques, via des réformes abscons et incohérentes, n’ont fait que renforcer cet état des lieux. La culture de l’évaluation est devenue omniprésente : évaluation égale performance…adaptabilité, flexibilité. Les conséquences sont terribles : un véritable marché éducatif s’est mis en place, la compétition entre établissements est à l’œuvre, l’ascenseur social promis est rompu, les inégalités et autres injustices ne font que s’amplifier. Sans compter les répercussions sur les jeunes eux-mêmes : stress, ennui, perte de sens, voire dépression, suicide. Que sont devenus les idéaux de l’école de la République ?

Si l’on en vient à notre environnement, la nature, que constate-t-on ? Que la fameuse théorie de Darwin, sélection naturelle – loi du plus fort, a largement été dévoyée, notamment par l’avènement néo libéral. Qu’en disent aujourd’hui  les chercheurs et autres biologistes ? Sans nier l’existence de la compétition pour les ressources et la reproduction, ils placent au contraire la coopération comme moteur essentiel de l’évolution. Autant la compétition crée un gagnant et un perdant, autant la coopération ne recherche ni gagnant ni perdant mais tend à créer de nouvelles solutions. Pour eux, le système capitaliste avait besoin d’une théorie du progrès ainsi que d’une justification naturaliste de l’individualisme et du triomphe des puissants. Ils nous montrent que es coopérations existent dans tous les milieux, et en tout sens, entre les règnes microbien, animal ou végétal. Les exemples de coopération dans le monde vivant sont infinis : les abeilles et leur travail en commun, les oiseaux et leurs migrations, les poissons nettoyeurs dégustant les parasites, les insectes permettant à des plantes à fleurs de se reproduire et de se propager, les coraux qui se réfugient dans des algues utilisant la lumière du soleil pour produire leur nourriture, la connexion des arbres par l’intermédiaire des champignons, les arbres entre eux, etc.

La question se pose donc à tous les niveaux : comment se sortir de cette société de compétition et de concurrence à outrance dans laquelle nous nous sommes laissés enfermer ?Comment basculer de l’acccumulation de biens vers le tissage de liens, ceci afin de reprendre pouvoir sur nos vies, notre environnement, notre démocratie ? Vivre, faire vivre la coopération dans toutes les sphères de la société apparait comme une voie salutaire pour toutes et tous. Elle a largement existé dans nos sociétés, notamment à travers les communs, les pouvoirs et ressources partagées, mais a progessivement disparu au profit de la main mise de l’Église puis de l’État. Elle existe pourtant toujours, notamment dans le monde associatif, dans les initiatives et projets locaux mais trop souvent alternatifs, dans les structures scolaires et éducatives, dans les entreprises coopératives, etc. Malgré la chappe du monde économique soumis à la concurrence, à la loi du plus fort, à la contrainte des travailleurs pour faire leur travail sans espoir de participation ni de de responsabilisation, le monde coopératif, via notamment l’économie sociale et solidaire, a su s’imposer comme une réelle alternative.

Imaginer dans le monde du travail échapper à la solitude, à la non reconnaissance pour se faire confiance et faire confiance à l’humain, à la relation serait-il devenu une utopie ? Nombre de pratiques montre qu’il n’en est rien. On peut y éprouver des relations de confiance, échanger, partager, vérifier la puissance de l’entraide, de la solidarité. « La valeur humaine qui ensoleille l’être humain ».

Envisager une organisation qui ne serait pas uniquement hiérarchique, contrôlée par des directeurs, des chefs, des managers et autres actionnaires, mais menée coopérativement autour d’un pouvoir partagé et d’un contrôle démocratique. Faire alors référence au bien commun, au sentiment d’appartenance à une communauté, voire à la participation à la vie publique, à la liberté du citoyen en lien avec les valeurs d’égalité et de fraternité. Ne plus penser seul mais penser avec.

Engager un autre rapport au travail, celui du pouvoir d’agir, d’apprendre pour y retrouver du sens, de la motivation, de la stimulation intellectuelle. Nombre de sociologues du travail montrent que la volonté des travailleurs français est de pouvoir faire leurs preuves, d’éprouver des relations sociales, de montrer de l’intérêt et de l’utilité dans leur travail. « S’intéresser au sens du travail, c’est se demander ce que l’on produit et comment on le produit. Redonner du sens au travail, c’est questionner son organisation et, son évaluation et les rapports de pouvoir qui le traversent. » (Coutrot, Perez)

Éprouver une part de liberté, de créativité, d’émancipation. Déclencher ainsi un processus libérateur, voire de retrouver une autorité sur son métier, son activité. À la fois liberté d’action, d’agir, de penser, d’être. Faire vivre le principe d’autorisation pour prendre toute sa part et gagner une réelle autorité dans ses capacités, dans ses savoirs, ne peut que profiter à tout collectif créateur. Une véritable liberté investie pour retrouver son autonomie « Moi je coopère pour avoir la parole, pour défendre mon métier »

Les grands enjeux de l’humanité ne sont-ils pas dans notre capacité à élaborer de nouvelles organisations capables de les résoudre et donc à faire preuve d‘intelligence collective. Pour cela, il est nécessaire de se défaire de l’emprise capitaliste. Quelque soit son contexte, il est temps de dire NON pour s’autoriser à nouveau à penser, à re-penser avec d’autres, localement et globalement. Il reste plus que nécessaire de s’appuyer sur ce qui existe et développer les entreprises coopératives, les écoles coopératives, les projets coopératifs, les laboratoires de démocratie participative, les mouvements d’éducation populaire, etc. Reprenons ainsi le pouvoir sur nos vies, notre environnement, notre démocratie. Seule une démocratie participative sera porteuse d’espoir en l’avenir, en l’humanité et créatrice de valeurs fortes d’égalité, de solidarité et d’émancipation.

François Le Ménahèze

auteur de Coopérer pour changer de monde, co-édition ICEM-CEMEA, 2023.

Sur l’ouvrage, voir ici

http://lemenahezefrancois.eklablog.com/

Coutrot T., Perez C. (2022). Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire. Éditions du Seuil.

Les paroles en italique sont issus de l’ouvrage « Coopérer pour changer de monde », Le Ménahèze François, 2023, co-édition ICEM-CEMEA

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