Luttes-et-ratures

Burn out militant (note de lecture)

Burn out militant, de Hélène Balazard et Simon Cottin-Marx, éditions Payot

Travailler à en mourir, militer à en mourir ?

Un livre important pour nos mondes militants qui foncent souvent tête baissée dans les luttes et les actions, qui débattent politique et stratégie, mais prennent trop peu de temps – voire pas du tout – pour penser le soin entre camarades, pour penser la répartition du travail militant qui va avec, surtout quand il y a des camarades sur qui se décharger (parce qu’iels ont un peu de temps de décharge syndicale par exemple, ou tout simplement parce que leur vie et leurs choix leur dégagent du temps pour le militantisme).

Le livre fait un parallèle intéressant entre le burn out dans le monde du travail et l’épuisement militant, qui ont des facteurs de risques communs : « l’intensité et le temps de travail » ; le fait d’être « exposé à des exigences émotionnelles » ou le manque « d’autonomie dans son travail » ; les « rapports sociaux au travail dégradés » ; les « conflits de valeurs » et enfin « l’insécurité de la situation de travail. » (p.18-19)

De même, la culture du sacrifice, l’héroïsation des militantEs, le virilisme, l’hyperactivisme ou le surengagement sont encore trop souvent valorisés dans le monde militant, au détriment d’un recul critique sur cette tendance à exploiter les camarades jusqu’à ce qu’iels n’en puissent plus, comme unE patronNE exploite les salariéEs.

Travailler à en mourir, militer à en mourir ?

Face à ce constat que nous sommes beaucoup à partager, de nombreuses pistes sont abordées dans le livre pour se prémunir ou pour se relever après un burn out militant, à partir de récits et de témoignages de militantEs d’associations, de collectifs ou de syndicats.

Il y a tout ce qui relève du retrait individuel : prendre soin de soi, garder du temps en-dehors du militantisme, parler sans honte de bien-être individuel malgré sa récupération néolibérale et user de son droit à la déconnexion dans un monde où les sollicitations virtuelles tombent sans cesse, créant un sentiment d’urgence et d’omniprésence des luttes qui peut être angoissant et étouffant.

Pour guérir du burn out, l’orientation vers des professionnelLEs de la santé mentale paraît également nécessaire pour être accompagnéE au mieux face à un épuisement qui génère aussi de la souffrance et parfois du non sens existentiel.

Pour contrer la morosité parfois importante dans les luttes, les auteurices évoquent la célébration collective des victoires et des avancées, aussi petites soient-elles, qui permettent de retrouver la joie de militer et donnent de l’énergie pour continuer.

Penser l’organisation du travail militant

Mais ce que je retiens surtout, parce que c’est ce qui me préoccupe le plus là où je milite, c’est tout ce qui concerne l’organisation du travail militant, qui demande du temps et de l’espace de cerveau pour anticiper, faire, transmettre, former, solliciter, resolliciter, soutenir les nouvelles et nouveaux militantEs, être disponible… mais qui assure, j’en suis convaincue, des engagements plus solides et protecteurs sur le long terme parce que plus nous serons nombreuses et nombreux à faire, à savoir faire, à nous partager les tâches, plus nous ferons vivre le collectif dans nos collectifs, moins nous éprouverons d’épuisement militant et plus nous y trouverons de la satisfaction et de la joie.

Les auteurices mettent bien en avant la responsabilité des organisations dans l’épuisement militant lorsque le militantisme n’est pas pensé aussi du point de vue de celles et ceux qui le font vivre au quotidien.

Mais là encore, elle et ils donnent des pistes très nombreuses pour réfléchir à nos manières de faire et les modifier, afin de les rendre plus inclusives, attentives aux individus, et protectrices :

– l’accueil des nouvelles personnes ;

– l’organisation et le déroulement des réunions ;

– l’attention prêtée à chacunE durant ces réunions mais aussi quand les personnes sont absentes ;

– comment permettre à chacunE de militer de là où iel est, avec différents niveaux d’engagement possibles ;

– l’importance de la transmission, des échanges, du compagnonnage ;

– la nécessaire transparence dans le « qui fait quoi ? »

– et bien sûr, la vigilance aux rapports de domination qui se reproduisent dans nos espaces militants, liés à la classe, aux études, à l’ancienneté dans le militantisme, au genre, etc.

– imaginer et construire des solidarités variées ;

– la nécessaire prise en compte des conflits pour les prévenir, les gérer mais aussi apprendre des conflits qui émergent, lorsque cela est possible.

Prendre soin des camarades

Ce livre rengorge donc de pistes pour travailler à plus de collectif, d’égalité et à un travail militant qui soit pensé à la fois pour le monde que nous voulons construire, mais aussi pour prendre soin de nous mutuellement.

Nos boussoles politiques doivent intégrer cette boussole de l’attention et du soin portés à nos camarades, à toustes nos camarades, et qui implique donc la reconnaissance et le respect de leurs expériences vécues, le partage du travail militant, la protection de toustes aussi bien contre la surcharge de travail que contre les violences venues de l’extérieur, ou de l’intérieur de nos organisations.

Nier tous ces facteurs de risques, ne pas en tenir compte pour les penser et les prévenir, c’est risquer une déliquescence de nos collectifs militants, à coups d’épuisements ou de conflits, de désengagements ou d’obstructions.

Jacqueline Triguel, collectif Questions de classe(s) et militante à SUD éducation 78

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