Luttes-et-ratures

Libérer l’avenir avec Walid Daqqa

couverture le secret de l'huile - la couverture est blanche avec le dessin d'un enfant

Écrire pour les enfants depuis les prisons coloniales

Joud et ses amis cherchent à franchir le mur pour permettre à l’enfant de retrouver son père, enfermé dans une prison israélienne. Le Secret de l’huile est un conte qui se passe dans une Cisjordanie occupée très contemporaine, coupée par les murs, les checkpoints et les barbelés des colonies. Pour nos enfants, il raconte une histoire de libération, dans une oscillation troublante entre réalisme et métaphore, fable et roman politique.

Ce conte a été écrit en prison par le militant et écrivain palestinien Walid Daqqa, exfiltré par Salah Hamouri. Edité d’abord par le Tamer Institute for Community Education en 2018, les éditions Terrasses en proposent en cette rentrée 2025 une édition très belle édition bilingue français-arabe. Walid Daqqa est décédé en prison, torturé et mal soigné, en 2024.

Entre fable sociale et roman d’apprentissage

Walid Daqqa avec son récit réussit ce que la littérature du champ francophone peine à offrir aux lecteurs·rices enfants. Le conte donne une description de l’âpre réalité sociale de la Cisjordanie contemporaine. On y voit les bulldozers des colonies israéliennes, le mur de séparation, des références aux intifadas, mais aussi Joud expliquant à son père qu’il a déjà « téléchargé toutes les photos sur son ordinateur » et des prisonniers regardant la télévision. Pourtant, dans le monde de Walid Daqqa, l’enfant est aussi accompagné par un bestiaire amical d’animaux parlants et drolatiques. Zibeline le lapin, Monsieur Plume l’oiseau, Ronron le chat, monsieur Une Canine le chien accompagnent Joud tout en fantaisie et en intelligence. La fable permet l’exploration à hauteur d’enfants de sentiments douloureux comme le manque d’un parent et la séparation. « Ce n’est pas honteux de pleurer » rassure Zibeline le lapin. « Les larmes lavent les yeux […] et ça lave le cœur aussi ». L’histoire s’adresse directement à l’enfant, et se mue comme la plupart des histoires pour enfant en quête d’autonomie, à l’aide de ses amis. Joud ment un peu à sa mère, s’aventure loin du village et franchit le mur. A ce titre, il répond aussi aux enjeux classiques du récit d’apprentissage.

Le livre est ouvert : sur les pages, le texte est écrit en arabe. 
Dans le fond, on voit une carte illustrée représentant un paysage de Cisjordanie. On voit un village palestinien, le mur de séparation et une village avec des immeubles.

Libérer la narration

Cependant, là n’est pas uniquement Le Secret de l’huile. Si l’huile du vieil olivier permet à Joud de devenir invisible et de rejoindre son père dans la prison, le secret de l’arbre millénaire est que la libération a aussi une face invisible. « Les prisons, les check-points, le mur, les différents types de barbelés aux frontières sont les marques visibles de la perte de la liberté. Quant à la face caché de ce mal, c’est la perte de la raison et des valeurs, ce que l’on appelle généralement l’ignorance ». C’est ainsi que l’olivier qui symbolise tant l’attachement à la terre et à l’héritage, fait vriller le récit. La narration s’échappe, se libère d’elle-même. « J’ai reconnu un scenario qui se répète sans cesse, comme si la captivité était héréditaire » explique l’auteur dans un enregistrement en 2018. Joud retrouve son père, mais décide finalement de ne pas le libérer. « L’avenir, se dit-il à lui-même, est le prisonnier qui mérite le plus la libération » Son père et ses amis apprendront plus tard que des centaines d’enfants palestiniens ont soudainement franchi les murs pour voir la mer et se lancer dans la recherche scientifique.

– Pourquoi ?
– Pour libérer le plus vieux prisonnier arabe.
– Et qui est-il ?
– L’avenir, papa, l’avenir ».

Walid Daqqa, Le secret de l’huile

Une libération tissée de transmission

Le conte est donc le récit d’une libération du récit par lui-même, d’une jeunesse qui retrouve l’avenir et ouvre le futur. Pour autant, cette émancipation est accompagné tout au long du livre par l’amour, la protection et la tendresse des ainé·es. Le vieux chien, qui a vécu tant d’intifadas, décide d’aider Joud. Ensuite, c’est la vieille femme qui voudra le protéger en lui rappelant déjà – quelques pages avant que l’enfant choisisse de libérer l’avenir avec ses quelques gouttes d’huile – que « ce qui compte vraiment dans une maison, c’est l’éducation de nos enfants ». « On peut supporter l’absence d’une personne, mais la pauvreté et l’ignorance, non ». Enfin, Nader, le compagnon de cellule du père de Joud, lui dit : « Pars tranquille sans te préoccuper pour nous. […] La chose la plus importante que tu puisses faire pour nous, c’est de prendre soin de ton éducation et de ton avenir. » Le conte de Daqqa est habité par un peuple qui aime ses enfants et chérit leur avenir. Il décrit une libération tissée de transmission, qui ne s’enferme pas dans la malédiction des parents ni ne se réalise contre eux.

Walid Daqqa, Le secret de l’huile, Terrasses éditions, 2025, 12 euros

Arthur Serret

Professeur des écoles dans le 19ème arrondissement à Paris / Sud Éducation Paris et Questions de classe(s)

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