Et si on se parlait ?
Une expérience de conseil d’élèves élargi en lycée
Cécile Morzadec, prof d’espagnol en lycée
Prof d’espagnol en lycée, je suis aussi co-professeure principale d’une « classe coopérative » depuis 10 ans, avec ma collègue d’EPS. Il s’agit d’une classe évaluée sans notes – avec des compétences – dans laquelle les deux heures d’AP obligatoires en lycée ont été transformées pour organiser un conseil d’élèves et une heure de travail autonome – heure de travail personnalisé avec plan de travail et tutorat entre élèves -. Si au début de ce projet nous trouvions l’énergie pour mettre en place de nombreuses expérimentations – conseils de classe participatifs, cafés des parents, concertation régulière entre collègues, etc. – il faut bien avouer que, 10 ans après, la fatigue et la routine s’installent parfois. C’est la raison pour laquelle il faut chercher des idées simples à mettre en œuvre pour ne pas perdre de vue notre ambition coopérative et démocratique sans pour autant s’épuiser.
La veille des vacances de Noël nous a semblé être un moment opportun pour proposer un conseil d’élèves élargi pour faire ensemble, profs et élèves réuni-e-s, le bilan du trimestre et proposer des actions concrètes pour 2026. En 10 ans de projet coopératif, je crois me souvenir que nous avions déjà expérimenté ce conseil d’élèves élargi à une seule occasion et que cela avait pu être assez mal vécu par certain-e-s profs qui n’avaient pas trop compris cette horizontalité de fait avec les élèves. J’appréhendais donc un peu cette nouvelle expérience, d’autant plus que nos deux présidentes du jour n’avaient pu pratiquer leur rôle qu’une seule fois. J’ai en effet appris avec l’expérience qu’il faut attendre un peu en début d’année avant de déléguer les responsabilités aux élèves, en fonction des années je préside donc moi-même les conseils deux à trois fois avant de passer la main.
J’avais pensé commencer ce nouveau conseil par un rappel préalable sur les règles de prise de parole pour que mes collègues ne soient pas surpris qu’on leur demande de lever la main au même titre que les élèves, mais quand je suis arrivée dans la salle, tout le monde était déjà assis dans le cercle et les rôles commençaient à être distribués. Je me suis donc assise dans le cercle sans rien dire et j’ai observé. La présence d’une majorité de profs de la classe explique sans doute l’ambiance très solennelle qui a régné pendant l’ensemble de ce conseil. De fait, je me suis aperçu que les rôles et les règles étaient bien assimilés, et que ce cadre rigoureux était ce qui justement autorisait chacun-e à prendre sa place et à s’exprimer. Nos deux présidentes du jour se sentaient suffisamment à l’aise pour recadrer ou relancer les échanges, rappeler les règles (« on s’écoute », « on ne se moque pas »), faire des synthèses des débats lorsque le temps imparti pour chaque point de l’ordre du jour était terminé et procéder à un vote quand la situation s’y prêtait. J’avoue m’être sentie émue en découvrant qu’elles maitrisaient si bien « l’art du conseil d’élèves » ! Leur assurance durant cette heure a permis d’obtenir l’adhésion des profs comme des élèves.
De quoi avons-nous parlé ? Il faut commencer par préciser qu’après avoir testé plusieurs modalités d’élaboration de l’ordre du jour, nous avons choisi depuis quelques années de prendre quelques minutes en début de conseil pour le créer ensemble en votant ensuite pour trois sujets, les sujets non traités étant renvoyés au prochain conseil. J’ai proposé deux sujets à l’ordre du jour afin de profiter de la présence de tout le monde pour faire évoluer les dispositifs de la « classe coop ». Ma première proposition était de réfléchir au lien entre les compétences de notre référentiel de compétences partagé et les différentes méthodes utilisées dans les matières : qu’est-ce qu’analyser un document en histoire-géo et en SVT, comment transférer les méthodologies d’une discipline à une autre ? Ma deuxième proposition portait sur le « TA » (travail autonome) pour le rendre plus utile aux élèves et faire plus de lien entre ces heures de TA et les cours disciplinaires. Deux autres sujets ont émergé de notre premier tour de parole : l’idée d’une sortie interdisciplinaire et le besoin de travailler davantage sur l’orientation. Le vote sur les sujets à l’ordre du jour a éliminé rapidement mon idée d’améliorer le fonctionnement du travail autonome. Les trois autres sujets ont donc été traités dans l’ordre d’importance en fonction des votes. Progressivement les élèves se sont sentis de plus en plus autorisés à donner leur avis devant leurs professeur-e-s et mes collègues ont parfaitement joué le jeu, respectant les règles de prise de parole et comprenant qu’il s’agissait de réfléchir à ce qui fait sens pour notre classe, autrement dit le collectif que nous constituons avec l’ensemble de nos élèves. Car c’est un bien d’un collectif dont il s’agit, bien que nous n’en ayons pas toujours conscience car nous n’avons jamais l’occasion de nous voir et de nous parler toutes et tous ensemble ! Mes collègues ont ainsi proposé diverses idées de sortie en assurant qu’ils et elles seraient ravi-e-s d’accompagner les élèves, tout en insistant sur le fait que c’était une simple proposition, car « c’est le projet de la classe et c’est à la classe de décider ! ». Un vent de démocratie, de responsabilité partagée, de bienveillance éducative – au vrai sens du terme et non dans son acception galvaudée – était en train de souffler dans la salle !
Le plus intéressant a été de recueillir la parole des profs et des élèves à l’issue de ce conseil. Certaines élèves sont venues me voir pour me dire combien elles avaient apprécié ce moment et de quelle manière cela leur avait permis de voir certain-e-s profs habituellement très stricts sous un nouveau jour. Les profs m’ont dit qu’ils et elles avaient été impressionné-e-s par le sérieux dont les élèves avaient fait part. Une collègue va essayer de mettre en place un conseil dans sa classe de première – dans laquelle notre ancienne déléguée de la classe coop tente tant bien que mal de transférer ce qu’elle a vécu pendant un an avec nous-. Une autre enseignante, très enthousiaste, a réclamé d’organiser ce type de conseil plus souvent et dès le début de l’année pour engager le travail collectif avec la classe – elle m’a aussi confié en partant qu’elle venait d’annuler les heures de colle de certains élèves à la rentrée, je n’ai pas osé briser son élan en lui expliquant qu’il y avait un malentendu sur l’objectif du conseil-.
J’ai eu le sentiment qu’il y aurait un avant et un après cette heure et que ce simple cercle de parole allait améliorer les relations entre élèves et enseignant-e-s de la classe. Pourtant, qu’a-t-on fait ? On s’est mis en cercle et on a parlé ! Comment expliquer que cela suffise à modifier les représentations ? Comme me le disait un ami, nous sommes enfermés dans des rôles dont nous avons du mal à sortir, le simple fait de se parler de manière démocratique et horizontale, nous a rendus à notre humanité et à notre recherche commune d’une éducation qui serve les apprentissages de toutes et tous. Et si on se parlait plus souvent ?
