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Introduction au lexique

Qu’est-ce qu’un collectif de travail ?

Dans les écoles, travaillent des professionnels de différentes catégories : Accompagnant·es d’élèves en situation de handicap, agent·es (de la fonction publique territoriale, d’État, ou d’entreprises privées), Assistant·es d’éducation, enseignant·es, etc.

Ces personnels ont également des statuts différents : titulaires, vacataires, contractuel·les, en CDI, en CDD ou même intérimaires.

De là, des salaires, des préoccupations quotidiennes et des rythmes différents il est vrai, mais également la même volonté de contribuer à un service public de qualité, pour les élèves, les familles comme pour les collègues, en préservant les conditions de travail de chacun·e.

La manière dont coexistent toutes ces différences, à égalité d’importance et de parole, est au cœur de la façon dont peut se construire et se vivre un collectif de travail.

Un collectif de travail, ce n’est en effet pas simplement la juxtaposition d’individus fréquentant le même établissement scolaire. Nous connaissons tou·tes de ces lieux où les personnels vont et viennent de manière quasi anonyme, parfois même en rasant les murs, sans créer de liens, en échangeant à peine sur leur quotidien, ces lieux où la salle des personnels, symboliquement, est désertée. Nous en connaissons aussi, de ces établissements où le turn over est tellement important que d’une année sur l’autre, l’équipe se renouvelle de moitié, avec une histoire commune qui peine à se transmettre, une culture d’établissement qui peine à se construire.

Or, un collectif de travail, c’est à l’inverse l’association volontaire et tenace d’individus qui vont les un·es vers les autres, conscient·es de la valeur d’un collectif, source d’apprentissages professionnels comme de solidarité. C’est un ensemble d’individus partageant l’histoire commune de leur établissement et de leur travail, et capables d’échanger sur leurs cœurs de métier, de parler des satisfactions et des difficultés, ou encore d’évoquer les luttes passées comme de construire les combats présents pour de meilleures conditions de travail et d’études.

Un collectif de travail revendique sa professionnalité et son expertise, en s’autorisant à aller au-delà – et parfois contre – la simpliste technicité et les injonctions venues du dessus. Il questionne et construit les valeurs qui se trouvent derrière les gestes professionnels, met en lien et en cohérence les actes et discours quotidiens avec la volonté de constituer une école du commun digne et émancipatrice, à la hauteur des besoins des élèves et des familles.

Le plus possible attentif à chacun·e, dans un esprit d’auto-organisation loin de toute verticalité et de toute domination, un collectif de travail s’érige et s’assume comme un contre-pouvoir face à une institution et une hiérarchie dont les mots d’ordre sont souvent loin voire contraires aux besoins réels du terrain, et dont le fonctionnement, enfermant et écrasant, est source de souffrances et de maltraitances.

Les collectifs de travail existent-ils dans l’éducation ?

Une réponse unanime ou même majoritaire est impossible, tant les établissements scolaires sont différents, de part leur histoire et les individus qui les composent, et tant l’organisation entre le 1er et le 2nd degré diffère et tant le métier des enseignant·es les cantonnent à être seul·es dans leur classe.

Dans les écoles, un fonctionnement démocratique et auto-organisé semble assez régulier, du fait de l’absence de hiérarchie directe omniprésente et de la nécessité d’organiser des conseils des maître·sses pour prendre les décisions liées au fonctionnement de l’école avec un ordre du jour collectif, des échanges, des débats, la recherche de consensus, la construction de postures communes sur les plans administratifs comme pédagogiques, des possibles co-formations, etc., et avec le souci de l’égalité de paroles.

De plus, du fait du nombre plus réduit de personnels, les temps de pause – ou les moments d’échanges avant et après le service – peuvent se transformer plus spontanément en AG lorsqu’un problème surgit, ou qu’une mobilisation nationale est à construire. On le voit dans les faits : lors des mouvements de grève, combien d’écoles fermées, avec 100 % des personnels en grève, dans le 1er degré, par rapport au 2nd ?

Dans les collèges et les lycées, c’est un fonctionnement hiérarchique et directif qui est de mise. Partout, le/la chef·fe d’établissement – ou plus globalement l’équipe de direction – imprime sa marque, de manière explicite ou plus diffuse : attribuer les emplois du temps et les salles de classe ; présider les réunions (toutes les réunions, y compris pédagogiques) ; orienter les projets d’établissements (en propageant la bonne parole académique, certes…et ce dès la prérentrée !) ; garder la main sur toutes les décisions finales, même pédagogiques ; favoriser – ou empêcher – les temps d’échanges collectifs entre pair·es ; donner son éventuel accord aux projets proposés par les équipes ; faire pression, de différentes manières, lors de revendications collectives ou lors de l’organisation d’heures mensuelles d’informations syndicales, seuls lieux d’échanges réellement démocratiques et égalitaires qui subsistent dans les établissements scolaires.

L’existence d’un collectif de travail égalitaire et démocratique paraît difficile dans ces conditions. Et pourtant, il reste possible et reste un horizon à viser, un mode de fonctionnement à construire, quotidiennement et par étapes, avec des avancées ou des reculades, dans une tension plus ou moins vive avec les équipes de direction, et en visant le long terme. Plusieurs établissements font état de collectifs de travail qui ont réussi à se mettre en place, d’année en année, malgré la hiérarchie, malgré le turn over, malgré les différences de statuts et de préoccupations quotidiennes. Ces collectifs de travail qui durent, jamais considérés comme acquis, toujours à défendre face à des hiérarchies qui cherchent à les parasiter, voire à les briser, constituent une source d’inspiration.

Pourquoi ces chroniques opposant neo-management des établissements scolaires et collectifs de travail démocratiques, égalitaires et autogestionnaires ?

Entre d’une part l’application de la loi Rilhac qui vient et qui installe une autorité de la part des directeurs·rices dans les écoles, ou l’habitude de fonctionner sur un mode hiérarchie-subordination dans les collèges et les lycées, et d’autre part le lexique managérial et entrepreneurial qui contamine tout le système éducatif, de moins en moins contesté par les personnels, il paraissait nécessaire d’apporter des contrepoints et de rappeler les contre-discours qui existent et qui doivent perdurer.

Il est en effet inquiétant de constater que bien des collègues débutant dans le métier – et d’autres plus ancien·nes, acquis·es à la cause managériale – considèrent aujourd’hui comme inéluctables les pleins-pouvoirs des chef·fes d’établissement et la soumission que cela implique, considèrent comme normaux les mots d’ordre directement issus du monde de l’entreprise et du libéralisme, sans jamais les remettre en question, au regard des finalités qui devraient pourtant être celles de l’école publique pour tous et pour toutes.

Neo-management des établissements vs collectif de travail démocratique, égalitaire et autogestionnaire… L’opposition est tranchée, assurément, et sans doute existe-t-il des degrés entre ces deux fonctionnements. Mais comme toute prise de position, il faut trancher et, ici, trancher entre un existant délétère et un possible à construire et qui parfois existe déjà.

Le neo-management des établissements scolaires, c’est l’autorité détenue par les chef·fes d’établissement, la gestion verticale et possiblement autoritaire, les injonctions venues d’ailleurs, la division des personnels avec les hiérarchies intermédiaires, la compétition et la concurrence, la convivialité trompeuse, la répression du syndicalisme de lutte, l’obéissance, l’absence de débats et d’échanges collectifs et transparents. C’est l’installation de hiérarchies intermédiaires dans les équipes, c’est l’éloge et le partenariat avec le syndicalisme d’accompagnement.

D’un certain côté, c’est un mode de fonctionnement « facile », car nous déléguons notre pouvoir d’agir à autrui, quitte à souffrir de notre état de subordination et de décisions qui nous paraissent injustes, mais au moins c’est pratique, car nous avons un·e coupable tout·e désigné·e en la personne du/de la chef·fe.

Le collectif de travail démocratique, égalitaire et autogestionnaire, c’est la recherche de l’horizontalité, la vigilance incessante à ce que l’égalité de paroles et de postures soit réelle. C’est l’échange, le débat, la contradiction qui s’expriment, à la recherche de consensus. C’est la gestion collective et démocratique des établissements et le fait des collègues de base et des organisations syndicales de lutte et de transformation sociale.

Par contre, l’autogestion n’a rien de facile, assurément, car elle demande de l’engagement et des efforts constants pour maintenir l’égalité, pour se défaire et lutter contre les formes de domination, d’écrasement et de concurrence, avec lesquelles nous sommes habitué·es à fonctionner. C’est difficile également parce qu’on reconquiert notre pouvoir d’agir, on débat, on recherche le consensus, on encaisse et on accepte les divergences qui s’expriment, etc.

Mais pourquoi rechercher le collectif de travail autogestionnaire plutôt qu’accepter l’existant, le neo-management ?

Les articles déjà écrits et à venir parviendront, peut-être, à argumenter et à convaincre.

Jacqueline Triguel, collectif Q2C et Sud éducation 78

À venir, les premiers mots du « Petit lexique divergent sur l’organisation des établissements scolaires » : démocratie, fonctionnaire, temps, autonomie, confiance.

Articles déjà écrits autour des collectifs de travail et de l’anti-hiérarchie :

Démocratie vs Démocratie

Fonctionnaires : sujet·tes ou citoyen·nes?

– Souffrance d’être collègues

Loi Rilhac et hiérarchie dans les écoles : résistons ! – L’exemple de la hiérarchie dans le 2nd degré

« Pour le bien des élèves »

Quand la violence institutionnelle s’exerce devant nos yeux, que faisons-nous ?