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Les « dys », des handicapés ?

La reconnaissance des difficultés des élèves dys (dyslexiques, dysgraphiques, dysorthographiques…) passe aujourd’hui par la loi de 2005 sur le handicap. Néanmoins, il est possible de se demander si la prise en charge de la difficulté de ces élèves doit reposer sur une pathologisation ?

Elève, j’ai été confrontée à des troubles de l’apprentissage de l’écrit : écriture mal formée, lenteur, orthographe défaillante…Du milieu du cyle de primaire au milieu du cycle du collège, l’institution scolaire m’a envoyée une fois par semaine chez une orthophoniste du CMP (Centre médico-psychologique). Il s’agissait de m’aider à rééduquer mon écriture et à améliorer mon orthographe.

Comme d’autres enfants de mon école primaire, je lisais des bandes dessinées de super-héros. Mon préféré était Dardevil. Celui-ci était un aveugle qui avait acquis, lors de l’accident qui lui avait fait perdre la vue, un nouveau sens reposant sur l’écholocation. Dardevil pouvait se déplacer dans le noir sans difficultés grâce à son « sonar » . En outre, comme il était aveugle, il n’avait pas le vertige. En revanche, son « sonar » ne lui permettait pas de reconnaître les couleurs. Ce nouveau pouvoir lui permettait ainsi de compenser en partie son sens manquant, mais il le conduisait également à développer des capacités que ses adversaires n’avaient pas.

L’exemple de Dardevil m’a aidé étant enfant à construire de manière positive mon rapport à mes difficultés scolaires. J’étais lente à écrire et j’avais des difficultés à recopier mes leçons que ce soit en primaire ou au collège. J’essayais en cours de m’appuyer beaucoup sur ma mémoire auditive. Ainsi, je développais au mieux une compétence qui me permettait de citer dans mes devoirs des propos que l’enseignant avait prononcé oralement sans nécessairement les faire noter.
Plus tard à la fin du collège et durant le lycée, l’apprentissage des techniques de prises de note firent disparaître ce problème de lenteur. De fait, j’acquis sans doute plus rapidement que d’autres élèves la compétence à prendre des notes car cela me soulageait d’avoir à écrire vite.

J’avais oublié mes problèmes de dysgraphie, jusqu’au moment où je suis devenue enseignante dans le secondaire. En effet, pour rendre compte de mes travaux de recherche universitaire, j’utilisais le traitement texte informatique. Écrire au tableau et annoter des copies me renvoyais à mes problèmes de graphie au point que durant ma première année de stage, ma tutrice nota sur ma grille de compétence : « ne maîtrise pas le français pour enseigner et communiquer ». Cette question de la maîtrise du français se redoublait du fait que je suis issue d’une famille immigrées.

Il me semble qu’il est possible d’effectuer deux remarques concernant les troubles de l’apprentissage et sur le handicap en général. Tout d’abord, ma dysgraphie n’existait plus comme un problème tant que je n’avais à utiliser que l’informatique. De même, la dysorthographie, et de manière générale la dyslexie, n’existent pas avec les langues transparentes, comme l’espagnol, où il y a une identité entre ce qui se prononce et ce qui s’écrit. Il me semble ainsi que ce que l’on peut qualifier de handicap n’est pas nécessairement un manque en soit, mais relativement à une situation précise exigeant la mise en œuvre de certaines compétences particulières. Il est ainsi intéressant de constater qu’il y a au moins un élève parmi ceux que j’ai sous ma responsabilité que mes problèmes de dysgraphie ne gêne pas, c’est un élève qui est déficient visuel. Il a développer la compétence de suivre un cours sans s’appuyer sur un support visuel.

On tend en outre à réduire dans notre société, l’apprentissage à la lecture et à l’écriture. On oublie que de nombreuses sociétés n’ont transmises leurs connaissances que par une mémoire orale. Or, il est certainement possible de soutenir des élèves confrontés à des troubles de l’apprentissage en les aidant également à développer des compétences qui ne leurs posent pas de difficultés. C’est d’ailleurs sans doute ce que j’ai fais et qui m’a permis de limiter mes problèmes scolaires. Ainsi, j’ai par ailleurs des troubles de la latéralisation et de l’orientation dans l’espace. Ce qui me permet de limiter grandement mes difficultés, c’est d’avoir appris à lire une carte (ce qui ne me posais pas de difficultés) et maintenant de savoir me servir d’un GPS.

Enfin, le classement en handicap permet certes à l’élève une reconnaissance de ses difficultés et d’obtenir des aides. Mais, il contient le risque d’enfermer l’élève dans une identité construite par rapport à un manque ou une insuffisance. C’est comme si le système scolaire ne pouvait pas reconnaître une différence sans la pathologiser. Peut-être serait-il plus intéressant de se centrer sur l’ « encapacitation » (empowerment) des élèves ? Cela passe certes par la rééducation et le soutien scolaire, par des prothèses technologiques… Mais cela consiste également, me semble-t-il, à valoriser et à développer les capacités des élèves de manière à les aider à compenser leurs difficultés.

1 Comment

  1. Irène Pereira

    Les « dys », des handicapés ?
    Un complément concernant les stratégies cognitives de compensation:

    Certaines études récentes semblent indiquer que la dyslexie pourrait avoir une origine génétique car on trouve souvent plusieurs dyslexiques dans la même famille.

    Que la dyslexie soit d’origine génétique ou épigénétique, des travaux récents en imagerie médicale montre qu’il n’y aurait pas activation de certaines zones cérébrales lors de la lecture chez les dyslexiques.

    Néanmoins, il a été également constaté que chez les personnes dyslexiques adultes qui ont pu rééduquer leurs troubles, ces aires ne s’activent toujours pas, mais qu’en revanche d’autres aires cérébrales s’activent pour compenser.

    Cela constituerait des arguments concernant le rôle de la pédagogie et de sa différenciation en fonction des stratégies cognitives des personnes concernées.

    On peut également interpréter ces résultats comme des éléments contre un fatalisme biologique. Le fait qu’il y ait une origine biologique, ne signifie pas que cela soit une fatalité. Il est possible d’agir par une action pédagogique appropriée grâce à la plasticité du cerveau.

    De même, il est sans doutes possible que le milieu social puisse jouer dans les possibilités de rééduquer en fonction du capital économique des familles qui peuvent alors faire intervenir différents praticiens pour aider cette rééducation ou être plus sensibles du fait de leur capital culturel à ces dimensions.

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