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Joseph Ponthus : « point à la ligne »

[**Joseph Ponthus nous a quitté à l’âge de 42 ans le 24 février. J’avais eu honte de ne pas l’avoir lu avant ses apparitions « coups dans l’estomac » dans la magnifique série documentaire diffusée sur Arte « Le temps des ouvriers » (1). C’est là que je le découvrais. Combien d’ami·e·s m’ont seriné « quoi tu n’as pas lu ? ». *]

De ses grands yeux bleus et de sa fougue, il racontait la préciosité du temps à l’usine. La froideur des contremaitres et l’humiliation perpétuelle de celui qui est sur la ligne. Un temps de profits pour les uns, un temps bafoué pour les autres du bas. L’auteur de « A la ligne » (2) avait annoncé le combat qu’il allait affronter sur sa page Facebook. Mais tout est arrivé très vite, comme quoi le temps… Sur cette même page, il répondait, annotait. Comme s’il était là. Tellement reconnaissant pour ses lecteurs.

On aurait eu envie de le connaître en vrai, le temps d’une bière dans un bistrot de Lorient. On se contentera malheureusement de le lire et de le relire. Encore cette préciosité du temps. Que tous les contremaitres de la terre nous volent.

Khâgne, Hipokhâgne, éducateur spécialisé puis intérimaire dans les usines de poissons sur Lorient ou sur les lignes d’abattage du bétail, il écrit son texte qui le soulage des démangeaisons d’une insupportable réalité : « c’est fantastique ce que l’on peut supporter » d’Apollinaire qu’il cite au début de son livre. Ses heures d’embauche, de débauches. Les kilos de crevettes ou de bidoche découpée. Ses trajets à l’usine en covoiturage ou en taxi. Ses heures « à la ligne » épuisante. Le collègue Fabrice Le Noxaïc qui signe ses fringues LNF. « Je me plais à imaginer que ça doit trop lui arracher la gueule de tracer les lettre FLN. Peut-être regrette-t-il de ne pas s’appeler Olivier-Antoine Schulz ». Le soir il rentre et chiale de fatigue.

A la ligne, sans ponctuation, on saute avec lui. On halète à la pause clope. On a froid sous les couches de pulls ou de collants parce que ça doit cailler et puer dans les conserveries. On supporte les autres, certains à l’humour en dessous de la ceinture. On se retient face aux petits chefs. On sent nos muscles se raidirent. On n’ose pas imaginer être à sa place.

Et puis. Et puis, on dégage, on se sauve avec lui dans ses souvenirs, ses amours, ses livres. On le suit et on découvre. Chez « ses auteurs ». On y trouve le rire en attendant « Godot ». Comme « des maisons avec presque pas de murs ». Contre la domination des murs, de tous les murs possibles. En respirant l’air du large.
Une vraie claque ! Un coup dans l’estomac dans une « autre réalité ». J’ose croire que nous pourrons un jour entendre ses mots sur une scène de théâtre. Le jour où l’on comprendra ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas.

Mais en attendant, « je ne sais pas s’il pleut sur Nantes/Mais il pleut sur Lorient/Et/J’ai le cœur chagrin »
Moi aussi.

Valéry Deloince

1- https://www.arte.tv/fr/videos/082189-001-A/le-temps-des-ouvriers-1-4/

2- Joseph Ponthus, A la ligne : Feuillets d’usine, La table ronde (Vermillon), 2019, 272 p., 18 € (e-book, 7,49 €).

* Les vingt premières pages : https://flipbook.cantook.net/?d=%2F%2Fwww.edenlivres.fr%2Fflipbook%2Fpublications%2F474128.js&oid=32&c=&m=&l=&r=&f=pdf

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