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Un hamster à l’école, Nathalie Quintane

[*Valéry Deloince et Mathieu Billière, deux membres du comité de rédaction, ont lu ce livre… Ils ne sont pas très raccords !*]

[**Première lecture : Ce livre est un o.v.n.i….
Contribution de Valéry Deloince*]

Il y a des auteur·e·s, – entendu·e·s à la radio (1) -, qui donnent envie de nous précipiter dans une librairie au plus vite et par tous les moyens pour satisfaire l’envie frénétique de lire le précieux Sésame. Cette fois, il s’agit du dernier livre de Nathalie Quintane « Un hamster à l ‘école ».

Au moins, pour deux raisons et pas des moindres : parce que le titre en dit long et que l’image évoquée rejoint l’impression que beaucoup d’entre nous doivent ressentir (comme élève ou comme prof) au sein de l’Institution : faire tourner, jusqu’à l’épuisement, une roue à toute vitesse pour soit avoir l’impression d’appartenir au « grand tout », soit pour se défouler face au grand vide… du sens. Et que même en emmagasinant (pour l’hiver) des « ressources intellectuelles » qui libéreraient un moment ou qui donneraient à penser, on tourne sur place tout autant que l’institution reste « indécrottable ». Mais aussi parce que le choix de l’auteure de diffuser sur l’antenne un morceau des Olivensteins était quasi-inédit et très enthousiasmant. Pour ceux et celles qui ne les connaîtraient pas, Les Olivensteins sévissaient sur la scène rock punk de Rouen, avec la gouaille de Gilles Tandy (2), les paroles de son frère Eric, dans le cercle des fameux Dogs (3), sur un territoire délimité par la boutique de disques Melody Massacre.

A une époque où un certain rock hexagonal disait haut et fort l’état d’une société figée dans une pensée dominée par le paraître, le « qu’en dira-t-on », posant le couvercle sur les secrets ou le déviant. Une société de « cages ». Presque du Chabrol. Cette société tout entière dans sa « roue » a, semble-t-il, continué à tourner pour en arriver là où nous en sommes aujourd’hui…

Le choix du morceau est délibéré autant que le dernier livre de Nathalie Quintane est libéré de toute analyse surplombante sur l’école. Au contraire, nous sommes (avec le hamster) dans cette grosse cage qu’est l’école. On l’écoute – avec cette impression durant tout le livre du « déjà vécu » – parler dans une langue hachée (le texte a été coupé) et brute débusquant les détails de « ces petites choses » qui peuvent transformer ou nous « pourrir » la vie. Nous la suivons volontiers dans son parcours « scolaire », de l’élève à la prof, du 93 au 95, des cités à la campagne profonde, de la salle avec une estrade au jour de sa disparition, de la prophétie d’une école pour tou·te·s à son bafouement. Son livre pourrait bien plaire (voire plus) aux rebelles qui tentent bon gré mal gré de ne pas rester enfermés. Et déplaire aux adeptes du catéchisme de « bonne société morale et française »…

« Un hamster à l’école » traverse le temps et l’espace en nous plongeant dans le réel (le nôtre) : au moment précis où la décision venue du « haut » est arrivée sur le terrain. Où les « grandes idées ont atterri »… Et où dans la salle de classe chacun essaie « d’ amortir » à son niveau et selon sa place..

Cette langue hachée, directe n’est pas exsangue de la finesse d’observation du hamster dans sa cage. Il scrute, note, entend, observe. Tel un Gregor Samsa chez Kafka. Tout y passe : la salle des profs, « les parcours avenir », les estrades, les CPPN, les chefs d’établissement, les visites des inspecteurs, du Parcoursup…..tout cet « immobilier » qui résiste au temps. Immuables méthodes, immuables réflexes même après le passage du bulldozer libéral des années 80. Juste des rectifications de vocabulaire, des nouvelles expressions et des rajouts de « virgules ». Du fond de teint.
« Et mon passage dans la salle des profs, un passage de hamster ? C’est en tant que hamster que j’ai pu tenir aussi longtemps dans ce contexte parce que je fais tourner très vite la roue et que je [suis extrêmement concentrée sur l’effet optique que produit la vitesse au niveau des rayons, qui ne sont alors plus qu’une couleur grise (…) ».
Et sur le collège, c’est univers teinté d’étrangeté « le collège c’est ambiance tape-dur ou tape-malin. Tout le monde a intégré ça : le collège c’est dur ; le collège, c’est le pire ; le collège c’est les hormones, c’est la baston ; et les toilettes dégueulasses ; c’est le racket et les insultes ; et donc c’est 0 tolérance (…) ». Ou deux réalités s’entrechoquent quand le plombier venu en dépannage chez l’auteure aborde « Parcoursup » pour son « gosse ».

Ce livre est un o.v.n.i…. avec l’insolence d’un morceau des Olivensteins. Un livre Rock sur l’école ! Il manquait, Nathalie Quintane l’a fait. Entre autobiographie et réflexion, nous (hamsters) re-découvrons des choses que nous connaissons bien puisque nous avons tous et toutes été au moins élèves, dans ce monde particulier, à part, « amorti » et « sans débordement ». Une cage dans laquelle il est même possible d’y passer sa vie entière. A tourner une roue. A s’essouffler. A perde la cadence.

Pour ceux qui chercheraient une analyse ou une critique des dysfonctionnements de la plus grosse institution française pourraient être déçus. Mais ils y trouveront encore bien mieux : un témoignage et des fragments de son absurdité… à « la Kafka », dans une écriture difficilement classable et même « encageable » mais ô combien jubilatoire comme un morceau des Olivensteins et rassurante puisque le hamster sait maintenant qu’il n’est plus seul.
Valéry Deloince

Nathalie Quintane, Un Hamster à l’école, La Fabrique, 2021, 198 p., 13 €.

1 : https://www.franceculture.fr/emissions/affaires-culturelles/nathalie-quintane-est-linvitee-daffaires-culturelles
2 : https://www.deezer.com/fr/artist/1539200
3 : https://www.youtube.com/watch?v=5K0F4vv2OpQ
syrian_hamster.jpg

[**Deuxième lecture : Ce livre que j’aurais adoré aimer
Contribution de Mathieu Billière*]

J’ai lu le livre de Nathalie Quintane Un Hamster à l’école, et je suis mal à l’aise.
Je n’ai pas aimé ce livre : quelque chose m’agaçait sans que je n’arrive bien à le saisir. Mais tous mes amis, mes camarades, semblaient l’apprécier ou l’attendre avec impatience. Le parcours de l’autrice aussi m’attirait : ses interventions, la parution chez La Fabrique, même si cet article du Monde Diplomatique (1), qui en est tiré, m’avait déjà gêné.

Je l’ai donc relu, crayon en main, à essayer de comprendre ce qui m’agaçait. J’ai noté chaque fois que ça m’agaçait mais aussi chaque fois que quelque chose me paraissait agréable.

Mais surtout j’ai remarqué que ce que j’avais le plus souvent noté dans le livre, souvent à la fin de chaque chant, c’était : « et ? ». Il me semble que je mets le doigt sur ce qui m’empêche d’aimer ce livre malgré tout : il ne porte pas de révolte. En gros, je sens bien le ton désabusé et le sourire en coin qui traverse tout le livre, mais la colère me manque. Il y a des passages qui m’agacent carrément, et certaines remarques, sur les compétences, sur les cours en îlot par exemple, ne dépareilleraient pas dans une production de réac-publicain. Ça me fait penser à une espèce de snobisme de l’amertume avec lequel j’ai beaucoup de mal personnellement, la « lucidité bidon qui remplaçait si bien les tripes » (Lavilliers), ce truc qui m’empêche d’apprécier “l’esprit français”, d’être complètement « Charlie » et qui me fait prendre le parti du petit vicomte vendéen à la fin de Ridicule.

Bref définitivement, je n’adhère pas.

Évidemment, des ami·es et des camarades me répondent que c’est un travail d’écrivain, pas de penseur, pas un essai. Je sais qu’elle est d’extrême gauche, je suis allé voir, sur des conseils des mêmes ami·es et camarades, ses engagements en général et je vais continuer de lire son œuvre, parce que ce qu’on m’en dit m’attire. Mais l’extrême gauche, comme la gauche d’ailleurs, n’est pas exempte d’ambiguïté sur les histoires d’éducation, loin de là. T’as qu’à voir comment l’argument “néo libéral” sert à toutes les sauces dès que tu commences à réfléchir sur la pédagogie. C’est pour ça que je répète partout que la pédagogie doit absolument devenir une question politique, un marqueur de gauche, en rappelant que l’objectif de beaucoup de pédagogues a été de trouver des solutions pour enseigner le plus fin au plus grand nombre et que même, le choix de tel ou tel type de pratiques ou d’organisation revient à se positionner sur un axe qui va de l’école marche ou crève à l’école émancipatrice, que Montessori et Freinet ne disent pas la même chose, pas plus que Rancière et Meirieu, Bucheton et Connac… Bref, faire cours, c’est prendre position.

Disons que c’est exactement le genre de livre que j’aurais adoré aimer, mais j’ai ce regret, cette boule qui ne passe pas. Sur l’éducation, je bute toujours sur cet obstacle qui est qu’on ne pense pas à partir du métier, du travail ouvrier, de la besogne, ce qui est un comble pour la gauche ! Voilà, elle n’a pas de pensée sur cette question, elle le dit, alors que tout ce que je sais d’elle montre qu’elle pourrait vraiment en avoir une. Du coup, il faut le dire : j’éprouve une sorte de sentiment d’injustice devant le succès qu’elle remporte. Moi qui participe à mon échelle à la collection N’Autre école par exemple, je trouve dommage qu’à côté de ça des livres comme celui d’Andres Monteret sur la pédagogie institutionnelle (2), de Guillaume Sabin et des GPAS sur la pédagogie sociale (3), ou de plus anciens comme ceux de Véronique Decker sur l’enseignement en zone défavorisée (4) ou de Catherine Chabrun sur la pédagogie Freinet (5), qui montrent une image beaucoup plus joyeuse où la révolte devient le carburant de belles inventions restent à des niveaux de vente si confidentiels. Le livre de Noelle de Smet Au Front des Classes (6) par exemple, met en scène, sur un format assez proche, en courts chapitres sans organisation linéaire (en tout cas en apparence) des vrais “moments champagne”, de la salle de classe au lavomatic.

J’ai l’impression que le livre de Quintane va participer, fut-ce à son corps défendant, à cette vision pessimiste, défaitiste de l’école qui est de si bon ton jusque chez les collègues. Chez La Fabrique, ça me désole un peu.
Mathieu Billière

Nathalie Quintane, Un Hamster à l’école, La Fabrique, 2021, 198 p., 13 €.

1 https://www.monde-diplomatique.fr/2021/01/QUINTANE/62659
2 https://editionslibertalia.com/catalogue/nautre-ecole/13-les-chemins-du-collectif
3 https://editionslibertalia.com/catalogue/nautre-ecole/12-la-joie-du-dehors
4 https://editionslibertalia.com/catalogue/nautre-ecole/6-veronique-decker-trop-classe
5 [https://editionslibertalia.com/catalogue/nautre-ecole/4-entrer-en-pedagogie-freinet
->https://editionslibertalia.com/catalogue/nautre-ecole/4-entrer-en-pedagogie-freinet]
6 http://www.cnt-f.org/nautreecole/?Au-Front-des-classes-face-a-la
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