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L’Imprévu #1 – Apprendre ensemble en CM1-CM2, par Arthur Serret

[(La rubrique « L’imprévu » se propose de relater une fois par semaine des récits de classe de la part de pédagogues engagé.es (vous !) : « moments champagne » [[Comme le fait si bien Daniel Gostain sur son blog, La Classe plaisir : http://laclasseplaisir.eklablog.com/]] où la coopération fait pétiller le quotidien, ou au contraire, scène de crise illustrant la violence du métier et de l’institution ; récits d’événement pédagogique où l’inattendu entre dans la classe ou compte-rendus minutieux d’une séance bien ficelée, partagez avec nous ces moments de classe qui font rire, réfléchir, pleurer et s’engager ! Ces moments toujours imprévus[[Comme c’est le nom de cette nouvelle rubrique, voilà une petite introduction à l’imprévu : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/6092]] et imprévisibles où le vivant entre par la fenêtre, l’endormi se réveille, les passions s’échauffent.

Il importe de faire parler l’école, de faire entendre son quotidien et ses engagements. Raconter ces instants qui nous brûlent les lèvres à 16h30, mais qui trouvent peu souvent d’écrit pour les garder en mémoire. C’est l’objectif que ce donne cette rubrique.
)]

Apprendre ensemble en CM1-CM2, par Arthur Serret

Cette année, c’est peut-être lié au fait que nous sommes claquemurés dans les murs de l’école, le conseil d’élèves de ma classe de CM1-CM2 est un lieu important d’interrogations et de réflexions de la part des élèves sur mes propres choix pédagogiques.

Les élèves ont décidé en début d’année d’ajouter un temps de “Questions pour la classe” qui sont très souvent des questions pour le maître. La semaine dernière, c’est Sita [[Les prénoms des élèves ont été anonymisés. ;)]] qui avait demandé pourquoi dans la classe on travaillait beaucoup en groupe.

Cette fois-ci, Fatoumata demande : “maître, pourquoi tu as choisi d’avoir une classe de CM1 et de CM2 ?”. Dans la classe, ce n’est pas vraiment un sujet : le fait d’être en CM1 ou en CM2 importe finalement assez peu. Chacun travaille sur ce qu’il/elle a besoin sauf en géographie et en Histoire. Le reste du temps tout le monde est mélangé et c’est très bien ainsi. Même au début de l’année, cela avait suscité finalement assez peu d’interrogations. Et là, au mois de janvier, la question s’exprime. Peut-être l’habitude de s’interroger sur les choses ? Peut-être l’influence de Sita qui, arrivée début décembre, avait posé un regard neuf et plein d’interrogations sur notre classe.

Je me tourne donc vers les élèves : “Qu’en pensez-vous ?”. Même si je sais que la classe est très soudée, c’est un petit test pour moi qui tatônne avec ce double niveau. Et si Inès ou Ibrahim qui aiment tant porter la contradiction s’improvisent pourfendeurs de la classe multi-âge ? On oublie souvent de dire que donner la parole aux élèves, c’est prendre aussi une part de risque.

“- Avoir des CM1 et des CM2, ça permet aux CM1 d’apprendre plus de choses, remarque d’abord Sita (CM2).

– Oui, les CM2 peuvent apprendre aux CM2 ce qu’ils savent faire. A la fin de l’année, on pourra les remercier pour ce qu’ils ont fait, complète Suzanne (CM1).

– Les CM1 peuvent suivre l’exemple des CM2, renchérit Lynsige (CM1) qui se rêve déjà l’année prochaine, être le “grand”.

– Oui, enfin les CM1 aussi peuvent apprendre des choses aux CM2, rajoute Inès (CM1) qui ne compte pas se laisser considérée comme une “petite”. On est tous capable d’apprendre aux autres. On est tous égaux.

– Mais alors, ceux et celles qui aident les autres, ce n’est pas trop pénible ? je questionne.

– Non, répond Fatoumata, parce qu’on apprend nous aussi en même temps.”

La responsable de l’ordre du jour nous fait signe qu’il faut avancer dans la réunion, malgré la forêt de doigt levé pour renchérir. Il y a beaucoup de sujets à traiter. Je souris sous mon masque, content que le choix du CM1-CM2 soit autant validé par les élèves, et que ces dernier.es soient de manière si évidente capables de le justifier.

On continue : point sur le projet d’avoir un lapin, point de fonctionnement sur l’accès à l’ordinateur…

“- Je propose qu’on ajoute une responsabilité, commence Camilla, il nous faudrait un rapporteur pour quand le maître nous laisse seuls dans la classe.

– Pourquoi tu dis ça ?

– Parce que quand le maître sort de la classe, il y en a qui arrêtent de travailler et se mettent à bavarder.

Je dis : – Franchement, si on décide de ça, il faudrait lui trouver un autre nom parce que ça fait un peu “rapporteur de Paris”…

– Ce serait plus amusant de l’appeler l’Agent, propose Inès, un peu comme un agent secret qui après raconterait ce qui s’est passé.

– Moi, je ne suis pas d’accord, ça va créer des histoires. On a pas besoin de ça.

Les échanges continuent un peu, puis notre responsable de l’ordre du jour propose de passer au vote. Finalement, seulement 4 pour, 6 contre et 9 abstentions. Je me permets une analyse : “Beaucoup d’élèves se sont abstenus, j’ai l’impression qu’ils étaient d’accord avec l’analyse du problème : les bavardages quand je ne suis pas là, mais qu’ils n’étaient pas convaincus par la solution trouvée. Cela vaut peut-être le coup qu’on continue à y réfléchir une prochaine fois.”

Et l’ordre du jour reprend sa course.

Elie annonce : “Je propose que maintenant ce ne soit plus des îlots, mais des lignes.”

Ça y est : je sens le moment où ma jolie classe va se transformer en autobus… avec un peu de chance, ça ne durera pas plus d’une semaine.

Wilson réagit : “- Non, c’est notre classe ! Faire des lignes, c’est comme si on était en évaluation. Dans notre classe, on fait presque jamais d’évaluation.

– Moi je trouve que c’est une mauvaise idée. Imagine, Wilson va gêner Tony pour voir le tableau.

– Au contraire, c’est une très bonne idée, réplique Jonas. Et pour pas se gêner, on a qu’à mettre les petits devant les grands derrière. En taille bien entendu.

– Oh non, c’est une très mauvaise idée de changer de table, parce qu’on ne pourrait plus s’aider. Avec les îlots, c’est facile de s’aider. En ligne, ça va faire un mauvais fonctionnement, analyse doctement Inès. Et puis, quand tu veux aller quelque part pour ranger une fiche, ce ne sera pas pratique du tout…”

Je vois progressivement le spectre de la classe auto-bus s’éloigner doucement. Ils/elles m’étonnent mes élèves.

– Avant, vous tous, les autres années, vous étiez en ligne, rappelle Océane à ses camarades. Et moi je trouve que c’est mieux maintenant.

– Et puis, on a l’habitude, mais en ligne, on a plus l’habitude, décrète Jade de sa voix enjoué.

– Ce sera vraiment un problème pour travailler ensemble, conclut Sita.

Finalement, seul Jonas a voté pour la proposition d’Elie.

Parfois, pendant le conseil, on ne décide pas de grands choses, pas de nouveaux projets. On ne résout pas forcément de conflits non plus. Et ce jour-là, il y eut peu de félicitations et de “passage de ceinture”. Mais, on discute de notre classe et de son fonctionnement : ce faisant on réaffirme des valeurs communes (l’entraide notamment) en se rendant compte à quel point elles vivent dans la classe. On explicite ce pourquoi nous sommes là : apprendre ensemble.

Certain.es disent que la pédagogie Freinet est une pédagogie “invisible” (Bernstein), une pédagogie qui en taisant ses objectifs générerait de l’implicite et des malentendus scolaires. Je ne suis pas d’accord.

Parce qu’elle donne la parole aux élèves, parce qu’elle suscite leurs interrogations et se construit avec eux/elles, la pédagogie Freinet via ses institutions comme le conseil, mène la classe dans une posture réflexive sur elle-même. La classe se pense elle-même et explicite sans cesse ses finalités, son fonctionnement et les modalités d’apprentissage. Ainsi, la classe s’oblige elle-même et l’enseignant à se rappeler pourquoi nous sommes là : pour apprendre – ensemble et solidaires.

Je crois qu’autoriser les élèves à réfléchir la classe, les mènent aussi à interroger les savoirs. “Pourquoi on apprend cela ? Pourquoi on l’apprend comme ça ? Est-ce qu’on l’a toujours appris comme ça” écrit Laurence De Cock à la fin de son livre École pour illustrer ce que pourrait être une pédagogie critique et explicite…

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