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Sarah El Haïry, la ministre qui voulait parler à la place des jeunes

« La liberté de conscience, la liberté d’expression ? A condition de penser comme moi ». Cette conception très particulière d’une liberté fondamentale, la secrétaire d’état à la Jeunesse et à l’Engagement (!) Sarah El Haïry, a eu l’occasion de la développer dans le cadre d’une rencontre nationale autour de la question des religions dans la société, organisée par la Fédération des centres sociaux, à Poitiers, le 22 octobre.

Une rencontre qui ne s’est pas déroulée comme prévu par la secrétaire d’état, découvrant avec une surprise non dissimulée et un emportement non contenu la parole libérée des jeunes, qui ne ressemble guère, effectivement, à ce qui lui est donné d’entendre habituellement dans le cadre de manifestations officielles, devant un parterre de jeunes soigneusement sélectionnés et encadrés. Là où les adolescents parlent de discrimination, de racisme – pour beaucoup, leur vécu quotidien – de respect, la secrétaire d’état, les interrompant brutalement, répond par des formules toutes faites, péremptoires. « Mais qu’est-ce que c’est que ce catéchisme qu’elle vient nous débiter ? », s’autorise discrètement l’un des participants.

Quand l’un d’entre eux évoque « les violences policières » et les contrôles au faciès, la ministre lui coupe grossièrement la parole : « il faut aimer la police, car elle est là pour nous protéger au quotidien. Elle ne peut être raciste, car elle est républicaine ! ». Même interruption face à un intervenant qui raconte être « montré du doigt » à l’école en tant que Musulman : « Je ne peux pas laisser dire ça… Notre jeunesse doit faire vibrer les valeurs républicaines partout. De la même manière que la police nous protège, l’école nous instruit ». Face à une lycéenne de 17 ans qui explique que « les adultes croient qu’on se hait entre nous parce qu’on est différents, mais c’est tout le contraire », elle dégaine son bulletin officiel de l’Education nationale : « L’école est un lieu vibrant de la construction libre, un sanctuaire de la République, [un espace sacré, rajoutera-t-elle encore peu après], hors de l’espace et du temps », avant de mettre fin brutalement à toute contestation : « Les religions n’ont pas leur place à l’école, un point c’est tout. Vous êtes des mineurs, la laïcité est là pour vous protéger ! » Incapable d’écouter les jeunes, encore moins de les comprendre, la ministre choisit de les faire taire. Avant, ultime pantalonnade, de lancer une Marseillaise devant un auditoire abasourdi qu’elle cherche en vain à faire se lever.

Une ministre qui ne se contrôle pas ? Peut-être mais pas seulement. Car comme si ses interventions extravagantes ne suffisaient pas, non seulement Sarah El Haïry ne les a pas regrettées mais elle a aggravé son cas en réitérant publiquement ses critiques contre les jeunes en question et surtout en sollicitant de l’Inspection générale de l’Education nationale une mission d’inspection visant les organisateurs. A défaut de faire taire, on peut toujours essayer de faire peur.

La ministre officiellement chargée de la jeunesse et de l’engagement a ainsi dévoilé la redoutable conception qu’elle se fait de la jeunesse et de l’engagement, une conception par ailleurs incarnée dans le SNU qu’elle est chargée de mettre en œuvre. « Une école sanctuaire de la république, un espace sacré, hors de l’espace et du temps… » : en réalité une éducation hors sol, déconnectée du réel, mise au service d’un régime politique sacralisé. Une jeunesse dont l’engagement consiste à respecter des formes, des conventions, des pratiques sans jamais interroger leur sens. Sans jamais non plus interroger l’espace étroitement délimité de leur exercice : celui d’une nation à laquelle on est sommé de s’identifier… quel qu’en soit le prix à payer. A l’occasion du 11 novembre, dans une tribune hallucinée (et hallucinante), la même ministre délivrait sa vision très personnelle d’un moment d’histoire (« un peuple qui se bat pour rester une nation ») qui se déclinerait aujourd’hui sous la forme du SNU, l’engagement en 2020 poursuivant « le même but que celui de 1918, celui de faire battre le cœur de la nation ». Les morts avec ?

Cet épisode de Poitiers qui voit une ministre, sentencieuse et dogmatique, s’opposer brutalement à des jeunes, pourtant respectueux et responsables, ne tombe pas là par hasard. De la part du service public d’éducation, il témoigne d’une conception toujours plus autoritaire de la citoyenneté conçue comme un apprentissage de l’obéissance à un ordre politique incapable d’accepter la moindre contestation ; un apprentissage qui passe par la confiscation de la parole, la menace et l’intimidation. Aujourd’hui, à l’école et dans toute la sphère éducative, la « remise en cause des valeurs de la république » est devenue un délit majeur, débouchant sur d’interminables injonctions, des vociférations ministérielles, voire des descentes de police. En matière d’engagement de la jeunesse, on ne pouvait sans doute trouver pire comme pilote que Sarah El Haïry.

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