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Faire de l’éducation populaire à l’École ?

FAIRE DE L’ÉDUCATION POPULAIRE À L’ÉCOLE ?

Je suis professeure des écoles depuis bientôt deux ans. Pour autant, je ne connaissais presque rien à l’éducation populaire jusqu’à peu. J’avais une vague idée de ce qu’est, grâce à quelques tracts pour des conférences gesticulées, lus en diagonale sur les bancs de la fac. À l’ESPE et en formation Éducation nationale, j’avais déjà utilisé certains outils d’éducation populaire, sans que le nom ne soit jamais prononcé. C’est en entrant dans le syndicalisme que je l’ai vraiment découverte, au travers de formations et de discussions entre
syndiqué-e-s.
J’ai tout de suite eu envie de l’utiliser dans mon métier d’où cette réflexion sur les liens entre éducation populaire et École. L’Éducation populaire vise l’émancipation du peuple : mission officielle de l’École, mais plus grande crainte du ministre de l’Éducation nationale. Le second élément qui caractérise l’éducation populaire, c’est qu’elle se fait hors de l’École. Mince alors ! Est-ce que peux vraiment faire de l’Éducation populaire à l’École du coup ? Ça semble antinomique, mais rien ne m’empêche d’y piocher quelques outils. Et puis, ça ne coûte rien de se renseigner sur la démarche d’éducation populaire pour voir si elle est applicable en classe.

L’éducation populaire, ça se fait en dehors de l’École

Par définition, l’éducation populaire existe en dehors des structures éducatives traditionnelles : famille, École, université… Elle se pratique dans des associations, dans des festivals, dans la rue… Par conséquent, je ne pourrai jamais faire de l’éducation populaire au sens propre du terme dans une salle de classe. En outre, l’évolution des relations entre éducation populaire et institutions ne lui a pas donné sa place à l’École. Celle-ci est apparue au siècle des Lumières et s’est développée au XIXème siècle dans le milieu associatif : c’est la création de la Ligue de l’enseignement, des Jeunesses ouvrières chrétiennes, des bourses du travail… Nées en dehors du système scolaire classique, ces initiatives sont ensuite institutionnalisées à travers la création de l’agrément jeunesse et des ministères de la Culture, ainsi que de la Jeunesse et des Sports.
Ce qui risque également de faire obstacle à mon projet, c’est que l’éducation populaire est une éducation du peuple par le peuple. Du peuple car elle s’adresse à toutes et tous, à l’inverse de l’École qui trie les élèves et est conçue pour l’élite. Par le peuple car elle a comme principe de base l’horizontalité. Celles et ceux qui animent un atelier ou présentent une conférence gesticulée ne détiennent pas le savoir, mais le construisent avec le groupe. On est bien loin de l’idéologie ministérielle… Bien sûr, le socioconstructivisme a envahi les ESPE, mais l’enseignant reste considéré comme le sachant. L’éducation populaire ne hiérarchise ni les savoirs ni les cultures. La culture populaire y est tout aussi reconnue que la culture dominante, glorifiée par l’institution scolaire.
Mais ce qui différencie l’éducation populaire et l’éducation scolaire, c’est avant tout leur but. En apparence, c’est le même : l’émancipation. Cependant, l’une et l’autre ne définissent pas ce terme de la même manière. Dans l’Éducation nationale, on clame haut et fort que l’École forme de futur-e-s citoyen-ne-s. C’est vrai. Si la citoyenneté se résume à aller voter une fois par an, se soumettre aux lois et à l’ordre établi sans jamais prendre part à la moindre décision… Pour l’éducation populaire, préparer des citoyen-ne-s à vivre en démocratie, c’est bien plus que cela : c’est leur donner les moyens de réfléchir par eux-mêmes quitte à rejeter la doxa, c’est leur donner le pouvoir d’agir. Il semble difficile d’éduquer démocratiquement au sein de l’École quand le parangon de l’éducation citoyenne y est l’éducation de délégué-e-s…
Cette émancipation visée par l’éducation est individuelle pour l’institution scolaire et collective pour l’éducation populaire. La logique individualiste de la société capitaliste fait de l’émancipation une seule libération de l’emprise d’autrui. L’individu doit, à la sortie du système scolaire, être en mesure de faire ses propres choix de vie, professionnels notamment. L’indépendance de pensée et l’ascension sociale sont supposées être possibles grâce à l’École. Dans le cadre de l’éducation populaire, l’individu s’émancipe grâce à et en même temps que le collectif. L’éducation populaire n’aspire pas à la mobilité sociale de quelques-uns, mais au progrès social pour toutes et tous. En ce qui concerne les principes fondamentaux, l’éducation populaire et l’École ne sont pas vraiment sur la même longueur d’onde. Plutôt décourageant…

Les outils d’éducation populaire utilisables en classe
Si les valeurs de l’éducation populaire sont difficilement acceptées par l’institution scolaire, y piocher quelques outils ne devrait pas trop poser problème. Elle regorge de ressources pour le vivre ensemble, concept très à la mode. De nombreux jeux d’interconnaissance peuvent être utilisés à la rentrée ou, pour ma part, quand j’arrive sur un nouveau remplacement. On trouve également dans l’éducation populaire, de nombreuses astuces pour gérer les échanges entre élèves : tours et temps de parole, le pense-écoute pendant lequel l’élève parle sans interruption pour aller jusqu’au bout de son idée… Elle propose aussi des structures de débat : le débat mouvant (possibilité de changer de « camp » pendant), le gros débat (un débat différent à chaque table avec possibilité de changer de table), le débat butiné, aussi appelé débat en pétale ou en étoile (plusieurs tables échangeant autour d’un même thème, une table centrale pour la discussion entre porte-parole)…
Le vivre ensemble, c’est aussi la gestion de la vie collective. L’éducation populaire peut être une aide pour la prise de décisions collective. Elle privilégie le consensus, le vote n’arrivant qu’en dernier recours, ce qui permet une plus grande adhésion des élèves.Le choix d’un projet ou d’un changement dans le fonctionnement de la classe doit se faire sur la base de critères explicites : choisit-on la solution la plus facile à mettre en œuvre, la plus intéressante, la moins coûteuse… ? Par ailleurs, la rédaction d’un règlement de la classe ou d’un texte d’orientation sur lequel on pourra s’appuyer pour de futures décisions peut se faire en collectif avec la méthode des petits papiers. Chacun-e écrit sur des papiers blancs à quoi le texte doit servir, sur des verts ce qu’on doit y trouver et sur des rouges ce qui doit en être absent. Les petits papiers sont ensuite regroupés sur un mur et servent de base au plan détaillé.
Passons maintenant aux outils pour apprendre ensemble. L’éducation populaire est fondée sur le principe que le savoir se construit à partir du vécu des participant-e-s. C’est ce qui correspond, à l’École, à la phase de recueil des conceptions initiales. La différence, c’est qu’en éducation populaire le vécu est central : on ne cherche pas à déconstruire des conceptions erronées, mais à en dégager tout ce qui peut être intéressant pour le groupe. Pour recueillir ce vécu, on peut interroger les élèves sur leurs doutes et leurs certitudes à propos du sujet ou réaliser un escargot de la connaissance (chacun-e dit ce qu’il-elle sait sur le sujet en commençant par la personne qui pense en savoir le moins).
Pour construire un savoir, l’éducation populaire regroupe ces différents vécus. Cela peut se faire à l’aide de post-it qu’on accroche au tableau, d’un positionnement des élèves dans la classe par rapport à deux axes d’un même thème, d’un panneau dans la cour avec une question à laquelle les élèves peuvent répondre… Le collectif permet d’apprendre mieux et plus vite qu’avec les méthodes scolaires traditionnelles. L’arpentage en est un bon exemple : la classe peut se partager la lecture d’un ouvrage ou d’un texte, gagnant ainsi du temps et profitant de l’interprétation de chacun-e. Ces outils ne sont bien sûr que quelques exemples de ce qui peut être transposé en classe. Chaque expérience d’éducation populaire peut nourrir sa propre pédagogie en classe.

Enseigner avec une démarche d’éducation populaire
Tous ces petits outils sont très utiles au quotidien mais les utiliser en classe, ça n’est pas faire de l’éducation populaire. Même si cela est impossible par essence, on peut essayer d’en conserver le plus possible l’esprit dans sa pratique de classe. Pour cela, il faut enseigner dans une démarche d’éducation populaire, démarche qui impose notamment un enseignement démocratique. La classe doit alors fonctionner démocratiquement : tout le monde participe à la gestion de la vie et des apprentissages de la classe, tant sur le plan décisionnaire que pratique. Cela amène tout naturellement à l’autogestion. Compliquée à mettre pleinement en œuvre au sein de l’Éducation nationale, on peut toutefois essayer de s’en rapprocher le plus possible : conseil, responsabilités, coopérative sont mis en place dans de nombreuses classes.
La démarche de l’éducation populaire implique aussi de s’efforcer de construire un collectif. Cela peut se faire dans la classe et, encore mieux, dans l’école ou l’établissement. Les liens entre les élèves et le sentiment d’appartenance à un groupe doivent être assez forts pour que le groupe-classe puisse agir collectivement. J’aimerais que mon enseignement amène mes élèves à prendre conscience de la force du collectif. Il me semble également important de les informer sur les groupes (sociaux, culturels, etc.) dont elles et ils font partie. Une bonne compréhension des rapports sociaux leur permettrait d’agir collectivement au sein de la société dans son ensemble.
Mais ça n’est toujours pas satisfaisant. Pour vraiment faire de l’éducation populaire, je dois sortir des écoles où je travaille. Mon objectif, à très long terme, c’est de faire rayonner ce désir d’apprendre et d’agir collectivement autour de l’école : avec des ceintures, inspirées de la pédagogie Freinet, pour les élèves et les parents volontaires, en faisant participer les familles et le voisinage aux projets scolaires, etc. Je compte aussi pratiquer l’éducation populaire en dehors de mon métier. Je suis totalement convaincue de son efficacité et toute occasion est bonne à prendre pour y mettre son grain d’éducation populaire !

Mon projet de travailler dans une perspective d’éducation populaire semble donc ardu à mettre en œuvre. Pratiquer pleinement l’éducation populaire dans une école est ontologiquement impossible. Pour autant, j’essaierai d’utiliser de plus en plus d’outils qui en proviennent. En ce qui concerne la démarche, j’essaierai de m’en inspirer un peu, mais il me faudra attendre d’avoir une classe à temps plein pour vraiment me lancer.
J’espère que ce texte t’a donné envie d’aller voir du côté de l’éducation populaire et, surtout, d’œuvrer à un changement radical du système scolaire pour qu’il éduque véritablement le peuple…

Sources :
http://www.cemea-pdll.org/Qu-est-ce-que-l-education
http://cidcspes.free.fr/p441.html
http://www.education-populaire.«fr/definition/»

1 Comment

  1. THIBAULT

    Faire de l’éducation populaire à l’École ?
    Ce texte est magnifique : de la fraicheur, de l’envie, de l’info, du désir, de la passion. Vive l’éducation populaire. Merci Anna Cordier l’avenir vous appartient.

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