Menu Fermer

La logique comptable de l’école inclusive : mutualisons les moyens… humains !

arton5037-daf5b-2.jpg

arton5037-daf5b-2.jpg
Tiens, Alexia(1) a une AVS/AESH mutualisée cette année ? Pourtant, l’an dernier, c’était une AVS/AESH individualisée qui l’accompagnait : « c’est une bonne nouvelle, cela signifie donc que l’élève évolue dans son parcours et que ses besoins nécessitent moins d’accompagnement de la part de l’adulte. Elle va vers l’autonomie. »
C’est en tout cas ce que voudrait nous faire croire le chef d’établissement.
L’autonomie, en 5ème, pour une élève en situation de handicap… Aurait-on l’idée de se dire qu’un·e élève en fauteuil roulant, pour accéder à l’autonomie, doit se passer progressivement de ce qui l’aide à se déplacer ? Handicap visible, handicap invisible, la route est encore longue pour que tou·te·s les jeunes soient accepté·e·s à l’école.

Mais lorsque l’on creuse un peu cette histoire, on se rend également compte qu’à la fin de l’année précédente, un besoin de 15 heures avait été notifié à cette élève. Or, son AVS/AESH, mutualisée, n’est présente cette année que 8 heures en classe… Et nous voici à la fin du premier trimestre. L’équipe éducative et les parents font le même constat : les troubles d’Alexia ne se sont pas atténués, ont même pris de l’ampleur et parasitent fortement ses apprentissages.
Alors, que s’est-il passé sur le plan administratif ?

Un point sur l’accompagnement par les AVS/AESH
Une AVS/AESH favorise la scolarisation des élèves en situation de handicap. Elle(3) accompagne l’élève dans ses apprentissages, mais également dans les actes de la vie quotidienne et dans ses relations avec ses pairs et avec les adultes.
On distingue les AVS/AESH collectives, affectée dans les dispositifs particuliers comme les ULIS(4) ; les AVS/AESH individualisées, affectées pour un enfant (ou plusieurs, si le temps accordé à un enfant ne remplit pas le service de AVS/AESH) ; les AVS/AESH mutualisées, affectées à plusieurs enfants, mais dont le nombre d’heures avec chacun·e est plutôt indéterminé.

Quels changements depuis début 2018 ?
Les AVS/AESH i se font de moins en moins nombreuses.
Il semblerait que de nombreuses MDPH(5) aient fait le choix de multiplier les AVS/AESH m, avec des notifications officielles très vagues (par exemple, entre 5 et 10 heures, ou entre 5 et 15 heures : voyez donc l’amplitude!).
Ces changements, qui plus est, ne sont pas expliqués aux familles. « C’est comme ça maintenant », s’entendent-elles dire. Quand on connaît le parcours éprouvant des familles dont l’enfant est en situation de handicap, on ne peut être que consterné par tant de désinvolture.

Pourquoi ce choix ? Pour des raisons économiques, tout simplement. C’est la seule explication possible, rien de pédagogique ni d’humain, là-dedans ! En effet, si quatre élèves ont une notification de 5 à 10h, vous pensez bien que le recrutement se fera au minimum : un poste d’AVS/AESH de 20h suffira pour les quatre élèves, et on pourra se gargariser en affirmant que tous les besoins sont comblés et que l’école inclusive fonctionne bien ! Qu’importe que l’un·e des élèves (ou plusieurs), ait besoin, dans la réalité, de 10h d’accompagnement par l’AVS/AESH.

Quelles conséquences ?
Aux familles, aux professeur·e·s référent·e·s, aux AVS/AESH et aux établissements de se débrouiller avec tout ça. De calculer, des manipuler les emplois du temps dans tous les sens. En somme, de faire passer les préoccupations administratives et comptables avant les besoins des élèves.
Et, il faut bien le souligner, généralement, nos collègues AVS/AESH n’ont pas vraiment leur mot à dire : ce sont elles qui suivent les élèves, qui ont une connaissance des besoins des élèves issue de leur pratique sur le terrain, mais on ne leur demande pas leur avis sur ce qui est le mieux pour les élèves. Réifiées, invisibilisées, elles sont réduites à leur seul emploi du temps et au nombre d’heures que leur contrat leur demande d’effectuer, aux pauses qu’il faut caler pour respecter la légalité, rien de plus. Déplacées de salle en salle, d’élève en élève, de case en case, elles subissent les préoccupations administratives.
Les familles ne sont pas davantage partie prenante dans l’accompagnement de l’enfant : perdues dans les nouvelles notifications, elles sont renvoyées d’un interlocuteur à l’autre : la MDPH renvoie vers le/la professeur·e référent·e, qui renvoie vers l’établissement où l’enfant est scolarisé·e, qui renvoie de nouveau vers la MDPH, etc. Les équipes de suivies de scolarisation, qui doivent avoir lieu au moins une fois par an pour faire un bilan de la scolarisation des enfants en situation de handicap, tardent à se réunir et voient leurs préconisations non respectées.
Et finalement, on centralise les moyens, on mutualise les AVS/AESH : tiens, cet·te élève pourra être partagé·e entre deux AVS/AESH. Et celle-ci va s’occuper de ces deux élèves parce que son emploi du temps le lui permet : peu importe la régularité du suivi, pourvu qu’on montre que les élèves sont accompagné·e·s un minimum. Et si l’AVS/AESH a encore deux heures de libres, on va la caler sur un·e troisième élève.
Sauver les apparences, donner l’illusion que l’école inclusive fonctionne, que les élèves en situation de handicap bénéficient de l’accompagnement auquel elles et ils ont droit, légalement : tels semblent être les mots d’ordre de l’école inclusive nouvelle version !

Alors, que faire ?
Ne rien lâcher ! Familles, équipes éducatives, AVS/AESH, élèves : il faut continuer à faire valoir notre expertise, à faire valoir les droits de ces élèves à être scolarisé·e·s en milieu ordinaire, dans le respect de leurs besoins éducatifs particuliers. Il faut réclamer, sans cesse, ce à quoi les élèves ont droit, réclamer les recrutements nécessaires, réclamer un accompagnement digne, pour les élèves comme pour les professionnel·le·s. Ne pas se laisser submerger par les préoccupations comptables, qui effacent et nient l’humanité de l’école inclusive.

Remarque/appel : si des collègues travaillant dans les MDPH ou les profs référent·e·s souhaitent témoigner de leurs conditions de travail, qu’elles et ils n’hésitent pas à nous contacter : il faut faire entendre toutes les réalités et mettre à jour un problème qui est avant tout institutionnel.

(1) Les prénoms ont été modifiés.
(2) AVS : Auxiliaire de vie scolaire – AESH : Accompagnant·e d’élèves en situation de handicap.
(3) La féminisation s’impose, puisque la majorité des AVS/AESH sont des femmes.
(4) ULIS : Unité localisée pour l’inclusion scolaire.
(5) MDPH : Maison départementales des personnes handicapées, qui instruit les dossiers d’inclusion des élèves et fait les préconisations nécessaires, en termes humain et matériel, pour la scolarisation des élèves en situation de handicap.

3 Comments

  1. cassand virginie

    La logique comptable de l’école inclusive : mutualisons les moyens… humains !
    Bonsoir,

    Pour faire écho à votre article, nous souhaiterions vous faire partager notre sentiment, suite à notre participation à la concertation sur l’école inclusive lancée par les ministères de la santé et de l’Education nationale.

    Nous sommes une coordination de collectifs d’accompagnants d’élèves en situation de handicap et avons été conviés à cette “concertation” qui n’en est pas une dans la mesure où il est imposé à chaque acteur de l’inclusion (parents, enseignants, accompagnants) de délibérer isolément sans échange extra groupe.

    Concernant la logique comptable, nous ne pouvons que confirmer cette tendance sur le terrain puisque nous sommes parfois améné(e)s à accompagner deux ou trois élèves dans la même classe, voire six ! avec des besoins d’accompagnement tous très différents !

    A la lecture de notre compte-rendu, vous constaterez notre inquiétude quant au dispositif Pôle Inclusif d’Accompagnement Localisé (PIAL) qui est en expérimentation dans deux académies et qui sera étendu à d’autres à la rentrée de septembre 2019, sans évaluation de ladite expérimentation !

    Toutefois, et comme nous le dénoncions, à la publication du rapport de l’IGA de juillet 2018, la mutualisation annoncée dans ce rapport s’est appliquée, sans le dire, dès la rentrée 2018.

    Cette mutualisation à tout prix se fait donc au détriment de l’accompagnement des élèves et de nos conditions de travail qui vont encore se dégrader.

    Loin de rendre notre métier attractif, comme il le promettait, le gouvernement se fait le promoteur des abandons de postes et s’étonnera ensuite du déficit d’accompagnants !

    La politique éducative actuelle va donc à l’encontre du projet sociétal d’école inclusive que prétend mettre en oeuvre l’action publique depuis sa prise de pouvoir.

    • Jacqueline Triguel

      La logique comptable de l’école inclusive : mutualisons les moyens… humains !
      Merci pour ce compte-rendu, très instructif, qui m’a permis de me pencher un peu plus sur les pôles inclusifs, qui ont l’air d’être davantage un outil d’évaluation des équipes et des établissements qu’une véritable avancée pour la scolarisation de tou·te·s les élèves.

      N’hésitez pas à publier vos textes sur Questions de classe(s), pour leur donner encore plus de visibilité. Il est essentiel de dissiper l’illusion que cherche à créer le gouvernement autour de l’école inclusive.

  2. Virginie Cassand

    La logique comptable de l’école inclusive : mutualisons les moyens… humains !
    Merci pour ce retour encourageant et votre invitation à publier dans cet espace.

    Belles fêtes de fin d’année

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *