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Bien nommer les choses

Toutes et tous en grève le 12 novembre

Bien nommer les choses

A bien considérer les politiques de réorganisation de l’éducation, de l’autonomie des universités engagée depuis 2007 au nouveau lycée «à la carte» prévu pour la prochaine rentrée, il n’est pas seulement question de retour en arrière mais d’une véritable reconfiguration générale de l’école inspirée et pilotée par le management dans une optique de rationalisation, et donc de suppressions de postes et de resserrement de l’encadrement social.

Le grand tournant néolibéral

Le gouvernement met en avant le libre choix et la nécessité d’une plus grande individualisation des parcours pour justifier l’évaluation publique des établissements scolaires et le passage au lycée modulaire, mais ce ne peut être une réponse à la question des inégalités. Comment en effet imaginer que toutes les familles seront en capacité de choisir en connaissance de cause les enseignements, comme si toutes étaient à égalité et avaient une même connaissance des arcanes du système scolaire et des informations disponibles à ce propos ? Éluder la question, dans un contexte de déréglementation et sous couvert de liberté, c’est de fait rendre responsables les perdant.es de leur échec.
L’évaluation, naguère outil au service de la pédagogie, devient, dans un cadre concurrentiel, un instrument de mise au pas et de dépossession. Réduire la relation pédagogique à de simples quantités témoigne surtout de conceptions étonnement prosaïques de l’éducation, très loin d’une culture développée pour toutes et tous. L’obsession de la notation risque en effet d’aboutir à une standardisation extrême des enseignements conçus en fonction d’une évaluation mesure de toute chose, la liberté pédagogique ne signifiant quant à elle plus rien.
Conformément à la stratégie du choc, le gouvernement va vite pour éviter de s’exposer à une résistance à même de contrecarrer son projet, au risque parfois d’être rattrapé par le ridicule. On apprend ainsi que les résultats des évaluations d’élèves de primaire sont hébergés sur des serveurs appartenant à un géant du WEB qui se distingue par son exploitation des données à des fins commerciales et celle, forcenée, de ses employé.es, pour ne rien dire des talents qu’il déploie quand il s’agit d’échapper à l’impôt (1).

Contre-attaquer

Jamais l’école n’a été à ce point soumise à l’emprise d’une (dé)raison économique ahurissante de médiocrité quand elle s’applique à l’éducation. Cette menace, bien réelle, peut en même temps être l’occasion de réaffirmer notre attachement profond à une éducation fondée sur la liberté dans l’égalité plutôt que sur la concurrence généralisée et l’injustice qui en découle inévitablement. Une éducation qui s’éprouve avant tout comme un voyage de soi aux autres et des autres à soi, découvrant par là, dans ses propres ressources inexplorées, les richesses insoupçonnées de l’agir collectif. Car c’est bien in fine ce que la réforme du lycée et la logique qui la sous-tend vont compromettre. La diminution des heures et la suppression de dispositifs tels que les Travaux Personnels Encadrés ou les enseignements d’exploration ne laisseront en effet que peu de place, pour ne pas dire plus de place du tout, aux pédagogies actives, au moment même, de surcroît, où les politiques anti-sociales fragilisent dangereusement l’existence commune. Ne pas faire ce que l’on dit et taire ce que l’on fait est une pratique habituelle de la « bonne » gouvernance. On n’hésite plus maintenant à se débarrasser de l’héritage de mai 68 sans mot dire pour en revenir aux méthodes d’apprentissage autoritaires inaptes à relever le défi de la démocratisation scolaire et disqualifiées il y a presque un demi-siècle pour cette raison. Et encore, jamais il n’aurait été question à l’époque d’installer dans un lycée un ancien gendarme comme proviseur adjoint chargé de la sécurité sur tout un bassin (2). Nous assistons ainsi conjointement à la célébration du libéralisme économique le plus effréné et des valeurs morales les plus rétrogrades, les principales (mauvaises) recettes du néolibéralisme.

Mal nommer les choses c’est, dit-on, ajouter au malheur du monde. Bien les nommer c’est au contraire mettre des mots sur la colère. Et éviter que d’autres, animé.es par la haine ou une volonté de restauration, ne le fassent à notre place.


1. Les «évaluations nationales» des élèves sont-elles stockées par Amazon ? Libération du 26 septembre 2018.
2. Lire A Stains, un gendarme nommé proviseur adjoint du lycée Utrillo, Le Monde du 31 octobre 2018.

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