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Chroniques bretonnes, épisode n°5

Ancien instituteur, Erwan Hupel livre un regard cru sur la maternelle. Au fil de la lecture, son humour grinçant laisse percevoir un accueil singulier des élèves, tendre même, attentif à leurs dires, à leurs gestes mais aussi à ceux de leurs parents. Il a publié ces chroniques en langue bretonne sous le titre Yudal ! aux éditions Al Liamm en 2013. Sa chronique est publiée chaque mois sur le site Questions de classes.

– Quand nous étions à l’école, il était interdit de parler breton. Des coups de bâton ! Le sabot. Et maintenant, tu viens avec des enfants en nous disant de leur parler breton.
– Oui, et si tu leur parles français, tu auras des coups de bâtons de ma part.

Il avait ri. Il me cassait les pieds avec ses sornettes. Il cassait les pieds de tout le monde. Toutes les grand-mères étaient en train d’attendre les enfants pour pouvoir jouer avec eux. C’était le premier jeudi du mois et comme chaque mois nous allions à la maison de retraite.

Nous étions rentrés, avions essuyé quatre-vingts pieds, ôté quarante manteaux, les avions rangés. J’avais dit aux enfants de s’asseoir et d’écouter. Ils étaient allés s’asseoir. Sophie* leurs avait expliqué qu’ils devaient fabriquer des petits bonhommes d’argile pour Noël. Elle avait pris un peu d’argile, fabriqué une tête de bonhomme (la tête !), lui avait mis des yeux (les yeux !) et un nez rond (le nez !).

Ils avaient été assez gentils pour répondre le père « noëëëëëëël » quand elle leur avait demandé qui était le bonhomme dans sa main. Ils avaient très envie de commencer leur travail. J’avais donné de l’argile à tous les enfants. Les personnes âgées s’étaient plaintes car elles voulaient aussi de l’argile. Ça fonctionnait bien. A l’autre bout de la salle, deux femmes en robes blanches cherchaient à faire cracher de l’argile que Madame Kermarc’heg avait mise dans sa bouche. Finalement elles avaient dû lui ôter ses fausses dents. Zoé et Katell étaient stupéfaites et elles cherchaient à ôter leurs propres dents. Déception.
Plus loin, Maxime était au septième ciel. Trois grand-mères étaient en train de s’occuper de lui et lui fabriquaient son bonhomme tant qu’à faire. Elles papotaient et en breton en plus.
– Du jamais vu ! dit l’une d’entre elles. Un noir qui sait le breton.

Maxime était noir. Sophie voulait partir. Nous étions partis. C’était l’heure.
– Je ne reviendrai plus, qu’ils sont chiants ces vieux. C’est super qu’il y ait un noir dans la classe. Tu ne trouves pas ?
– Si ! Si ! Je n’osais pas lui dire que j’en avais rien à faire que Maxime soit noir ou pas, car j’avais peur que Sophie dise que j’étais raciste.
– Les plus petits ne sont pas mieux. L’autre jour ils sont allés tous ensemble aux toilettes et ils ont surgi dans la cour en me disant : « Mais Maxime, il est noir partout, Sophie ! ».

Sophie ne rigolait pas.

***
Deux jours plus tard, la mère de Clara et de Léa est venue me voir pour me dire que ses filles parlaient breton à la maison entre elles. Nous étions tous les deux contents sauf que… pour parler breton, elles avaient l’habitude de prendre un bâton, de courber leur dos et de se promener comme des grand-mères. Elles prenaient du plaisir. Elles lui avaient promis de venir me voir quand serai moi aussi en maison de retraite pour parler breton.
J’avais ri (jaune).

Traduction : Gildas Kerleau & Tomaz Laken

* autre institutrice de l’école

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