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Ecole : “Fais ce qu’il te plaît…!”

Dans sa nouvelle chronique Nestor Roméro réagit au “retour de la dictée” et corrige la copie du Ministre de l’éducation avec un zéro pointé pour hors sujet. Vous pouvez également lire et consulter sa réaction sur le blog de [Médiapart

->https://blogs.mediapart.fr/nestor-romero/blog/201217/ecole-fais-ce-quil-te-plait]

20 déc. 2017 Par Nestor Romero Blog : Nestor Romero

Ils nous préparent une école de malheur : b.a.-ba dictée quotidienne, récitations systématiques, morale tous les matins, uniforme, Marseillaise, pourquoi pas le salut aux couleurs tant qu’on y est ?, et tout ça avec le soutien de Chevènement, c’est dire si nous sommes en pleine modernité.

Bien sûr, la formule est provocatrice. « Fais ce qu’il te plaît ! ». Comment pourrait-on dire cela à un enfant ? Je persiste pourtant : un enfant doit pouvoir faire ce qu’il lui plaît. Et l’école devrait être le lieu où il apprend autant qu’il est possible pour découvrir, autant que faire se peut, ce qu’il lui plaît de faire.

Mais trêve d’idéalisme, trêve d’idéologie comme disent les « instructeurs », ceux qui ne se lassent pas de vitupérer les « pédagogistes » au nom du pragmatisme, comme si le pragmatisme n’était pas une idéologie !

Tenez, en passant, à propos de ce mot « pédagogisme » chargé de tout le mépris des « instructeurs », il fut employé (…des pédagogismes de Platon…) il y a fort longtemps et de manière fort civilisée par ce fieffé pédagogiste de Montaigne, celui qui osait dire dans le fameux chapitre intitulé « De l’institution des enfants » (Les Essais, livre 1, chapitre XXV) des horreurs telles que :

« A ceux qui veulent apprendre nuit le plus souvent l’autorité de ceux qui enseignent ».

ou encore :

« Qu’il (le pédagogue) ne lui demande pas seulement compte des mots de la leçon, mais du sens et de la substance. Et qu’il (le pédagogue) juge du profit qu’il ( l’enfant ) aura fait non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie ».

Sa vie ! La vie d’un enfant ! Pur pédagogisme ! Ou encore, pour faire bonne mesure (ce chapitre d’une cinquantaine de pages devrait être au programme de la formation de tout enseignant de quelque niveau que ce soit) cette peu ragoûtante métaphore :

« C’est témoignage de crudité (mauvaise digestion, assimilation) et indigestion que de regorger la viande comme on l’a avalée : l’estomac n’a pas fait son opération s’il n’a fait changer la façon et la forme à ce qu’on lui avait donné à cuire (à apprendre, bien sûr)“.

Ceci dit revenons à notre pragmatisme, soyons pragmatiques, du vécu, rien que du vécu…, pour commencer.

C’était en classe de quatrième de ce que l’on appelait alors un C.C., un Cours Complémentaire d’une bourgade du bordelais. J’avais quatorze ans, nous étions en fin d’année scolaire, jour de dictée. Le professeur, Monsieur Texier, s’était posté à côté de moi surveillant mon écriture. A chaque faute, c’est ainsi que nous disions, non pas « erreur » mais « faute », il me cognait (oh, pas trop fort mais tout de même…) le dessus du crâne de la jointure de son majeur replié. Nous appelions cela « une matchouque », allez savoir pourquoi… ! C’est ainsi qu’il avait décidé, Monsieur Texier, de nous faire entrer l’orthographe dans la tête à moi et à quelques autres cancres. Il s’acharnait quelque peu sur mon cas, car figurez-vous qu’il trouvait que je n’écrivais pas trop mal si ce n’était cette carence orthographique dont les débordements polluaient mes textes. Ou plutôt non, pas tant mes textes que ses dictées.

Et voici qu’en cette fin d’année, en « compo de rédac », je décrochai la première place (tiens, J.M. Blanquer n’a pas encore évoqué le rétablissement des classements, ça ne devrait pas tarder) avec un beau texte, dit même Monsieur Texier, et pratiquement sans fautes (bien sûr puisque je choisissais mes mots !). Et voici encore que juste avant de partir en vacances je décrochai sans crier gare le prix cantonal au « certif ». La meilleure note du canton avec zéro faute à la dictée ! Monsieur Texier n’y comprenait rien, moi non plus et mes parents encore moins qui, cependant, me couvrirent de cadeaux tant ils étaient fiers, eux les réfugiés de la guerre d’Espagne, des succès de leur rejeton « en tierras extrañas », en terre étrangère.

Cependant, en troisième, j’étais toujours aussi mauvais en orthographe, c’est-à-dire en dictée, et je devais subir les vitupérations du professeur de français, Monsieur Martron, un libre-penseur, franc-maçon admirateur de Francisco Ferrer Guardia dont il présenta la fille, Sol Ferrer, à ma mère, en ma présence, Monsieur Martron, donc, qui ne pouvait admettre que le fils de républicains espagnols soit aussi nul, « tu devrais avoir honte ! ». Mais je n’avais pas honte car ce que j’aimais c’était courir les filles, jouer au foot le jeudi dans l’équipe des Francas (francs-camarades) et au rugby le dimanche avec les cadets de Bègles.

Je décrochai tout de même le BEPC, in extremis, et me retrouvai en seconde technique au lycée polyvalent Cours de la Marne, Bordeaux. Mais pourquoi donc seconde technique alors que je ne brillais (un peu) qu’en littérature ? C’était l’époque où je découvrais Camus et l’Absurde… Je ne tardai pas à comprendre que « la situation sociale de mes parents » détermina les doctes « conseillers d’orientation » de l’époque à m’orienter vers de brèves études ce qui me permettrait de travailler promptement et ainsi de mettre un peu d’huile d’olive dans la paella de la famille.

Ce qui fut fait. Et c’est ainsi que je me retrouvai « Agent technique » (c’est-à-dire ouvrier spécialisé) en … radio-électricité. On ne disait pas encore électronique et l’informatique n’existait pour ainsi dire pas.

Tout ça pour dire, en tout pragmatisme, que la dictée quotidienne (mais quelle sorte de dictée d’abord ?) de JMB et avant lui de NVB (voilà comme on écrit de nos jours !), est une pure aberration, ne sert à rien, pire, peut être contre-productive.

Car écrire ce n’est pas tracer ou taper des mots, des phrases et jouer à qui fera moins de « fautes », comme à la télé. Écrire c’est d’abord goûter à l’immense plaisir d’exprimer ce que l’on porte en soi, de raconter, de se raconter, de sorte qu’écrire doit être, autant que faire se peut, pour un enfant comme pour un adulte, un acte jubilatoire. Et c’est alors, quand cette jubilation est au bout de la plume ou des doigts que l’orthographe s’impose d’elle-même comme nécessité qui cependant ne doit jamais être un obstacle à l’expression jubilatoire.

D’où vient un premier principe pédagogique : écrire, c’est nécessairement créer du sens, c’est écrire des mots, des phrases, des textes sensés. Qu’est-ce qu’un texte sensé ? (j’ai vraiment l’impression d’enfoncer des portes ouvertes par des pragmatiques comme Dewey, un fondateur celui-ci, Freinet et sa correspondance scolaire, Decroly et sa proposition d‘une éducation globale, ce qui n’a rien à voir avec je ne sais quelle « méthode globale et bancale » qu’on lui a mise sur le dos), donc, disais-je, qu’est-ce qu’un texte sensé ?

Pour demeurer pragmatique je dirais volontiers que c’est un texte qui « sert à quelque chose » sachant que les guillemets sont là comme signe de défiance à l’égard de tout utilitarisme vulgaire.

Un texte sensé peut donc être un texte (quelques mots au début) qui informe, qui raconte, qui imagine, qui décrit, un texte juste pour être beau, pour le plaisir des mots mais, primordial, un texte qui va être lu et donc pour cela qui doit être adressé à un tiers, professeur, correspondants, parents… On comprend alors pourquoi un tel texte adressé en premier lieu au professeur (puisqu’il est là pour ça) ne peut en aucun cas être noté mais doit impérativement être soigneusement annoté.

J’entends d’ici les exclamations des « instructeurs » (pas de notes ! : Anarchiste !) et de quelques archéo-syndicalistes ( on n’a pas que ça à faire ! Des moyens, des moyens, des moyens…, psalmodient-ils depuis cinquante ans et plus).

A ce propos justement, je pose une fois de plus cette question « à laquelle personne ne répond », comme disait Boris Vian sur un tout autre sujet : Comment se fait-il que des hommes et des femmes cultivés, volontiers de gauche (de moins en moins il est vrai) ne soient pas parvenus à « conquérir », pour le moins, des salaires décents pour eux-mêmes et les fameux « moyens » pour leurs élèves, comment se fait-il ? J’aurais peut-être une réponse à proposer mais je le ferai dans un prochain billet.

Venons-en maintenant après le principe du texte sensé, au deuxième principe que j’appellerais « les outils de l’écriture » : jamais un enfant ne devrait écrire sans avoir à côté de lui un dictionnaire et un livre de grammaire avec conjugaisons (dans cette civilisation du numérique il me semble important pour les enfants d’apprendre à chercher dans des livres et toute autre sorte de documents). C’est à cette condition que très vite il pourra écrire sans peur, sans l’angoisse de la « faute » et qu’il ne redoutera plus alors d’être lu.

Et c’est ainsi par la magie rationnelle de ce « triangle pédagogique » (Houssaye) : « sens-jubilation-vérification » qu’il apprendra à écrire sans erreurs, qu’il apprendra vocabulaire et orthographe, que les découvertes de ces savoirs seront « fixées » en connaissances et qu’il goûtera, parfois, au plaisir raffiné de la création.

Et le sens de l’effort alors ! vitupèrent les « instructeurs ». Que fait-on du sens de l’effort si tout est plaisir ? Il est vrai que cette école qui se dit républicaine, laïque et respectant soigneusement la neutralité dans tous les domaines, ne s’est jamais dégagée de l’influence du dogme religieux qui pose la vie comme « vallée de larmes » et l’effort douloureux, la souffrance, comme condition inéluctable de l’accès, pour l’enfant, au monde des adultes et pour les adultes à la béatitude paradisiaque.

Les « instructeurs » se sont toujours plu à entretenir la confusion entre effort et dépense d’énergie, entre effort et souffrance. Pourtant, même le dernier d’entre eux peut vérifier que toute dépense d’énergie n’est pas douloureuse, que tout effort n’est pas mortifère. Car alors, qu’en serait-il de l’amour ?

Il convient donc en matière d’écriture, contrairement à ce que fait le ministre et que proposait déjà la ministre antérieure, de statuer ainsi :

Plus jamais de dictées sinon par dérision.

Plus jamais d’écriture pour rien.

Plus jamais d’écriture sans destinataire, sans au moins un lecteur.

Ceci posé, il reste à examiner la question de la neutralité de l’école républicaine : l’uniforme qui tente de revenir comme symbole d’égalité et qui n’est rien d’autre qu’un cache-misère, la Marseillaise et la morale patriotique, bref la compatibilité de tout cela avec l’impératif de neutralité. Ce sera l’objet d’un prochain billet.

2 Comments

  1. Christian Puren

    A propos de “Fais ce qu’il te plaît…!”
    Ce billet de blog et ses justes dénonciations m’ont fait penser à une formule qui aurait dû passer à la postérité (comme exemple de stupidité des contempteurs de la pédagogie): “La valeur d’une intelligence se mesure à sa capacité d’admirer et à sa capacité d’ennui”. Elle est d’un certain Hippolyte PARIGOT dans le grand journal de l’époque, Le Temps, en 1907, et elle avait déclenché à l’époque une tempête de protestations indignées dans les revues professionnelles d’enseignants (voir par ex. Les Langues modernes n° 4, 1907, pp. 143-145).

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