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L’avènement des machines et autres lectures pour penser le numérique… [FYP – L’échappée – Agone]

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* L’avènement des machines, robots & intelligence artificielle : La menace d’un avenir sans emploi / Martin Ford (FYP, 2017).
* La silicolonisation du monde, l’irrésistible expansion du libéralisme numérique / Eric Sadin (L’échappée, 2016)
* La Tyrannie technologique : Critique de la société numérique / Cédric Biagini, Guillaume Carnino, Célia Izoard, Pièces et main d’œuvre (L’échappée, 2007)
* L’emprise numérique, Comment internet et les nouvelles technologie ont colonisé nos vies / Cédric Biagini (L’échappée, 2012)
* La face cachée du numérique, L’impact environnemental des nouvelles technologies / Fabrice Flipo, Michelle Dobré et Marion Michot (L’échappée, 2013)
* La machine est ton seigneur et maître / Yang, Jenny Chan et Xu Lizhi (Agone, 2015)
* Le progrès sans le peuple / David Noble (Agone, 2016)


Best-seller dans les pays anglo-saxons, L’avènement des machines, robots & intelligence artificielle : La menace d’un avenir sans emploi de Martin Ford mérite d’être lu avec intérêt et attention. Malgré son sous-titre cet essai polémique ne s’inscrit pas dans la tradition de la critique de la technologie. Son titre anglais et la conférence que Martin Ford a donné sur la plateforme TED (1) où il expliquait « comment nous allons gagner de l’argent dans un avenir sans emplois », résument assez bien l’originalité du point de vue de l’auteur (2).

Une fois n’est pas coutume, il faut nous intéresser à une critique de l’avènement des technologies numériques dans tous les secteurs économiques du capitalisme globalisé et de ses méfaits, qui ne se fonde pas sur des arguments écologiques ou anticapitalistes, mais sur une expertise libérale de la situation. Fort de sa propre expérience d’entrepreneur dans le développement de logiciel dans la Sillicon Valley et, de son poste d’observateur de l’économie dans les pages du Washington Post ou de celles de Fortune, Martin Ford propose une critique « libérale et humaniste » des dérives du capitalisme financier et du tout technologique. Son analyse ne se départit par ailleurs que rarement d’un sentiment ambivalent vis à vis de l’essor de cette troisième révolution industrielle : d’un côté une inquiétude fondée sur une masse de données réelles et quantifiées et de l’autre, une foi, un peu incantatoire dans la rationalité des acteurs du marché qui, face aux défis énergétiques et climatiques, finiront par opter pour un usage humaniste de la technologie… Le poison pourrait être une partie de la solution !

Sa thèse est simple : à la différence des disruptions technologiques de la première et de la seconde révolution industrielle, la destruction de plus en plus croissante des emplois sous qualifiés et répétitifs et leur remplacement par la production robotique assistée par informatique et valorisée par des algorithmes, n’est pas créatrice pas de nouveaux emplois. Pire, l’économie informatisée, focalisée sur la rentabilité, a non seulement détruit des millions d’emploi mais a accéléré la concentration de la valeur et de la connaissance au main de 5 % de décideurs. Elle rend caduque le système de circulation et de répartition de la richesse produite par le marché tel que le décrivait le libéralisme et le pratiquait le fordisme. Dans l’industrie ou l’agroalimentaire, l’Obsolescence de l’emploi humain ne frappe pas seulement les ouvriers mais également les ingénieurs et les décideurs. La robotisation exacerbe une des contradictions de la globalisation : après avoir détruit les emplois spécialisés dans l’industrie, elle met en concurrence de plus en plus active les salariés précaires des services avec des machines. À l’instar de ce qui se passe dans les entrepôts d’Amazon, les manutentionnaires se voient remplacés inexorablement par des machines. La disparation des classes moyennes et le chômage de masse au niveau planétaire ne sont pas les seules conséquences de la robotisation. Elle implique tout aussi sûrement une baisse de la consommation et de la demande. Certes l’informatisation de l’économie et la robotisation de l’industrie ne font qu’amplifier la logique prédatrice du capitalisme qui prévaut depuis le XXe siècle. Mais l’adage qui disait que « the winner takes all » est dorénavant faux car la course à l’innovation et à la domination technologique tourne au perdant-perdant : dans un contexte de raréfaction de l’énergie, d’inégalités sociales accrues, l’économie robotisé et informatisé entraîne notre civilisation vers la récession et donc vers l’écroulement de la valeur.

La force du bouquin réside dans la capacité de son auteur à appuyer ses arguments avec une foultitude de faits, d’exemples précis et de donnés vérifiables. C’est du fast-chekking imparable. On s’attardera particulièrement sur le cinquième chapitre consacré à la métamorphose de l’enseignement supérieur. L’auteur dès l’introduction nous prévient : « comme il est démontré clairement dans cet ouvrage, l’évolution des technologies de l’information nous pousse vers un point de rupture où l’économie globale nécessitera une main d’œuvre moins importante (…) Deux domaines en particulier, la santé et l’éducation, ont été jusqu’à présent très résistants aux perturbations déjà visibles dans d’autres pans de l’économie. Le paradoxe est que l’échec de la technologie à transformer ces secteurs pourraient amplifier des effets négatifs ailleurs, puisque le coût de la santé et de l’éducation ne cesse d’augmenter ». L’exemple des effets déstabilisateurs des MOOC(s) sur la valeur des diplômes des universités nord-américaines est à ce propos très éclairant : si pour l’instant, les procédures de validation des modules passés par les étudiants en ligne posent encore des problèmes (de préservation des donnés personnelles ou des risques de fraude maffieuse à un haut niveau) à moyen terme, le MOOC offrant l’accès au meilleur enseignant et au meilleur cours universitaires, va permettre aux plus humbles, y compris dans les pays émergents, d’accéder aux qualifications les plus recherchées. Cette démocratisation et cette reconfiguration du marché au diplôme va non seulement ruiner les universités américaines, dont la rentabilité repose sur la capacité d’endettement des élèves issus de la classe moyenne de son territoire, diminuer l’offre de carrières universitaires des élèves les plus diplômés, mais également augmenter la précarité des enseignant dans et hors l’université. L’écroulement de la recherche scientifique qui reposait sur les fonds universitaires sera la deuxième réplique. A moyen terme, dans le capitalisme globalisé, cette extra territorialisation via l’informatique des études universitaires rime avec délocalisation des savoir-faire. Elle mettra en concurrence les ingénieurs et les diplômés du monde entier, laissant aux GAFA et autres multinationales la possibilité de négocier les salaires au moins disant. L’abandon du maillage éducatif et pédagogique et de leur coût qui pourrait paraître au premier abord comme une offre plus accessible à plus d’étudiant, se révèle être in fine un marché captif ou seules les multinationales pourraient donner de la valeur et du sens aux connaissances enseignées. Un retour à ce que l’auteur appelle « une féodalité technocratique ».

Le livre se veut également prescripteur de solution et c’est sa partie la plus faible : il y est question de droit au revenu universel, de taxation de la production robotique, mais après nous avoir fait bien peur en décrivant les changements en cours et sur lesquels on s’aveugle, ses propositions pour un progrès technologique humaniste peine à nous convaincre. Elles ne sont pas sans rappeler sur leur principe, la dialectique scientiste que Bergson opposait au début du XXe siècle aux tenants de l’anti-machinisme : « Mais si la machine procure à l’ouvrier un plus grand nombre d’heures de repos, et si l’ouvrier emploie ce supplément de loisir à autre chose qu’aux prétendus amusements qu’un industrialisme mal dirigé a mis à la portée de tous, il donnera à son intelligence le développement qu’il aura choisi, au lieu de s’en tenir à celui que lui imposerait, dans des limites toujours restreintes, le retour (d’ailleurs impossible) à l’outil après suppression de la machine . » Une vision qui fait non seulement l’économie de la réflexion du coût énergétique, écologique mais également politique de ses solutions technologiques.

Dans un court chapitre consacré aux effets de la droitisation des sociétés post-industrielles sur les choix macroéconomiques, Martin Ford rappelle à juste titre que pendant qu’il dérégulait les marchés financiers et encourageait l’utilisation de bots dans le calcul des valeurs boursières, l’état fédéral américain n’a pas cessé de mener une guerre politique contre les syndicats, les associations de consommateurs ou les mouvements sociaux revendicatifs, affaiblissant ceux et celles qui pourraient intervenir dans le débat sur les priorités technologiques qu’il appelle de ses vœux…

Éric Zafon

(1) https://www.ted.com/talks/martin_ford_how_we_ll_earn_money_in_a_future_without_jobs?language=fr
(2) Rise of The Robots

Martin Ford, L’avènement des machines. Robots & intelligence artificielle : la menace d’un avenir sans emploi, FYP éd. (_Reboot), 2017, 351 p., 22 €.


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Quelques livres pour penser le numériques,
par Franck Antoine, CNT 34

Les transformations apportées par le numérique sont généralement impensées aujourd’hui, pourtant quelques auteurs nous proposent leurs analyses ; voici quelques ouvrages qui explorent cette question sous les angles sociaux, politiques, économiques, psychologiques, écologiques, philosophiques et anthropologiques.

la-silicolonisation-du-monde.jpg L’auteur, s’est intéressé à l’histoire et aux idéologies véhiculées par la Silicon Valley en tant que berceau et centre exemplaire de l’industrie du numérique. Nous découvrons ainsi comment un projet vaguement libertaire issu de la génération hippie s’est transformé petit à petit en une vision aux accents totalitaires qui s’impose au monde comme seule voie possible. Dans le même temps cette vision du monde a échappé à son berceau pour se répandre à travers le globe et éclore en de multiples vallées technologiques qui rêvent de devenir aussi importante que leur ainée californienne. Sous prétexte d’oeuvrer à un monde meilleur celle-ci entend bien se passer de l’assentiment ou de toute critique en s’imposant à l’ensemble de la planète tout en étendant progressivement son champ à l’ensemble des activités humaines. C’est dans ce sens que l’auteur parle de soft-totlitarisme. Ce projet n’aurait été possible sans une parfaite adéquation avec le capitalisme mondialisé ayant engendré ce « « technolibertarisme ». Au delà des problèmes sociaux et économiques apportés par cet esprit de la silicon valley, c’est bien à un projet de redéfinition de l’humain (le transhumanisme) que celui-ci prétend s’atteler. Ce projet à travers des objectifs comme « le temps réel », la tourte-puissance, l’ubiquité éloigne toujours plus notre civilisation des conditions de ce que nous avions convenu d’appeler l’humanité. Éric Sadin nous propose comme moyen de résistance et de luttes un refus de collaborer au diktat numérique ancré sur le respect de l’intégrité et de la dignité humaine.

Eric Sadin, La silicolonisation du monde, l’irrésistible expansion du libéralisme numérique, L’échappée, 2016, 293 p., 17 €.

tyrannie.jpg Cet ouvrage, résolument critique contre les nouvelles technologies de l’information et de la communication, va à contre sens d’un bon nombre d’idées reçues. Certains regretteront certainement le parti pris radicalement anti-numérique de l’ouvrage. Mais ils ou elles auraient tort d’en rester là, car les questions soulevées par les différent-e-s auteur-e-s élargissent l’horizon d’analyse sur le sujet. Les angles d’approche sont multiples et concernent aussi bien les conséquences environnementales et sociologiques que les effets psychologiques et philosophiques du tout numérique.
L’ouvrage comporte cinq parties principales : une approche globale, une réflexion sur l’omniprésence des écrans dans nos vies, une analyse de la numérisation et de l’informatisation, une critique du téléphone portable et une vision approfondie de la biométrie. L’ensemble des thèses des auteur-e-s est au service d’une critique radicale de notre société et d’un projet révolutionnaire.

Cédric Biagini, Guillaume Carnino, Célia Izoard, Pièces et main d’œuvre,La Tyrannie technologique : Critique de la société numérique, L’échappée, 2007, 254 p., 12 €.

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Cet ouvrage est un prolongement et une actualisation du précédent. Il consiste en un tour d’horizon sur l’invasion numérique et ses effets sur la société. L’auteur s’intéresse plus particulièrement à l’adéquation entre ceux-ci et le capitalisme. Le parti pris n’est à aucun moment passéiste ou réactionnaire mais bien au contraire dans une visée émancipatrice.

Cédric Biagini, L’emprise numérique, Comment internet et les nouvelles technologie ont colonisé nos vies, L’échappée, 2012, 448 p., 14 €.

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Un livre pour répondre à celles et ceux qui parlent d’économie dématérialisée, qui vante l’avènement d’un ère nouvelle : celle de l’économie de la connaissance. Si les technologies du numérique ont pu paraître propres, c’est parce que plus que toutes autres elles fonctionnent à la manière d’une boite noire, elles invisibilisent les nuisances provoquées par leur production et leur utilisation. Elles provoquent en fait une pollution et une utilisation des ressources naturelles et énergétiques bien réelles et toute matérielles. Cet ouvrage fait le point sur les connaissances accessibles dans ce domaine et passe au crible les déclarations sur les vertus « vertes » des technologies de l’information et de la communication. On peut voir, une fois de plus que les problèmes écologiques et sociaux ne sauraient être résolues par des trouvailles techniques mais bien par les choix conscients d’une humanité enfin émancipée, en particulier du capitalisme et du culte de la croissance.

Fabrice Flipo, Michelle Dobré et Marion Michot, La face cachée du numérique, L’impact environnemental des nouvelles technologies, L’échappée, 2013, 135 p., 12 €.

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Ce recueil de plusieurs textes est constitué de témoignages, récit de vie, poèmes et analyses concernant les travailleur-se-s chinois-es dans les usines fabriquant l’ensemble des gadgets high-tech dont les consommateurs occidentaux sont friands. Au-delà de l’horreur de conditions de travail rappelant le dix-neuvième siècle industriel en Europe, cet ensemble de textes hétéroclites nous amènent à percevoir la manière dont le mirage du numérique dématérialisé s’incarne dans l’une des pires exploitations que le monde actuel, très tangible lui, connaît. Un livre utile pour s’immuniser contre les discours mirobolant du capitalisme « immatériel ».

Yang, Jenny Chan et Xu Lizhi, traduit par Célia Izoard, La machine est ton seigneur et maître, Agone, 2015, 54 p., 9,50 €.

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L’auteur, historien des sciences et des techniques, combat dans cet ouvrage les lieux communs sur le progrès technique qui libère des taches épuisantes. Il nous montre comment celui-ci utilisé par les capitalistes a surtout servi à priver les travailleurs et les travailleuses de toute autonomie vis à vis de leur activité, à licencier allègrement et à renforcer le contrôle sur l’ensemble des salariés. Il démontre comment les choix qui sont faits à propos des innovations techniques relèvent beaucoup moins d’une efficacité économique avérée que d’une volonté politique de mainmise sur la production. Il s’étonne du peu de résistance qui y a été opposée en dehors de l’épisode des luddites et en cherche les explications. Ce livre est particulièrement intéressant parce que ,à l’encontre de nombreux technophiles, David Noble ne part pas d’un positionnement idéologique pour juger des innovations mais bien des effets concret sur la population travailleuse. Ces réflexions nous seront certainement d’une grande aide pour comprendre ce qui fait aujourd’hui obstacle au mouvement social.

David Noble, Le progrès sans le peuple, Agone, 2016, 239 p., 20 €.

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Enfin, pour finir deux ouvrages qui ne s’intéressent pas particulièrement au numérique, la plupart des textes qui composent ce recueil sont bien trop anciens pour cela, mais entreprennent une vaste réflexion sur les effets des technologies de masse sur notre humanité.

Günther Anders, L’obsolescence de l’homme, tome 1 et 2, Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, et , Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, éd. de l’encyclopédie des nuisances et éd. Ivréa t.1, éditions Fario t.2, 364 et 428 pp., 25 et 30 €.

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