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Ecrire. Ecrire ensemble pour vivre ensemble

Un article écrit et envoyé par Yves Béal à paraître dans la prochaine revue “Dialogue” du GFEN

Que faire maintenant ?
Question qui traverse la société depuis l’horreur du 7 janvier. Et chacun de se demander comment à son propre niveau peut agir. Voici quelques pistes qui, de mon point de vue d’écrivain, peuvent contribuer à restaurer confiance mutuelle, estime de soi et reconnaissance de l’autre, tout en participant de la construction d’une culture commune sur un territoire.

Un enfant qui naît porte en lui tous les possibles… en positif comme en négatif. Ni le fanatisme, ni la solidarité, ne sont inscrits dans le code génétique. Comme le souligne le GFEN, « pas de génération spontanée mais des processus, qui font de toute situation d’éducation et de formation autant de chemins de conditionnement, de mise en soumission aveugle ou bien d’émancipation ».

J’ai pu éprouver pour moi-même combien créer provoque une spirale positive qui pousse à se projeter dans le monde, à intervenir dans la société, et contribue à donner confiance en soi, y compris en acceptant parfois la frustration d’un échec. J’ai eu l’occasion maintes fois, en mettant en œuvre le formidable outil qu’est l’atelier d’écriture, d’accompagner des jeunes dans cette aventure de la création qui, toujours, prend appui sur le déjà-là de chacun, sur cette culture en devenir que chacun porte en lui et qui ne demande qu’à se partager, se métisser, pour faire œuvre commune. Et j’ai pu voir éclore ce sentiment de fierté et cette envie de coopérer, afin de porter le projet jusqu’à son terme (une publication, une exposition ou un spectacle, par exemple). C’est dans cette situation, dans cette dynamique, que peut s’apprendre une citoyenneté en acte : chacun participe, dans des débats parfois vifs mais toujours constructifs, à la réflexion, à la décision, à la réalisation, à l’évaluation du projet.

Les deux pistes que j’avance sont là : l’atelier d’écriture qui fait le pari du « tous créateurs » et la gestion collective et coopérative du projet par les acteurs eux-mêmes, de la conception à la réalisation (une sorte d’expérience réelle du politique, au sens noble d’intervention dans la vie de la cité)… sans doute une des conditions pour que chacun prenne conscience des capacités infinies de chaque être humain à s’émanciper de sa condition et des pseudo-fatalités intériorisées. Alors…

Ecrire.
Partout, dans tous les lieux, à tous les âges, le plus tôt possible, dès l’école primaire et ne jamais arrêter.
Mais cela ne peut se faire que si change totalement la représentation de ce qu’est écrire. Ecrire, ce n’est pas, comme je l’entends dire par l’immense majorité des jeunes, recopier le tableau, faire des dictées, faire des exercices de grammaire ou de conjugaison, se faire mal à la main, s’ennuyer… et avoir une mauvaise note parce qu’on a « mal dit », parce qu’on a fait des « répétitions », parce qu’on a fait des « fautes ». Ecrire, c’est d’abord inventer, c’est vivre une aventure dans la langue, c’est apprendre à voir le monde en montant sur différentes collines pour mieux comprendre ce qu’il s’y passe, prendre différents points de vue pour mieux agir. C’était le rôle concret du « theoros » de la Grèce antique qui prenait de la hauteur pour observer le champ de bataille, en rapporter la « théorie » afin que les généraux puissent décider de l’action à engager. Ecrire, c’est rêver le monde parce que comme disait Gaston Bachelard « on n’a pas bien vu le monde si l’on n’a pas rêvé ce que l’on voyait ». Ecrire, c’est un mode de pensée à l’œuvre qui transforme en profondeur celui qui écrit, un mode de pensée qui humanise. Ecrire, c’est par l’imaginaire décaler son regard, c’est mettre en mots le monde, c’est se rendre lucide sur les maux du monde et ses propres maux. C’est apprendre à différer, à apprivoiser l’autre, à surseoir à ses pulsions… Ecrire, c’est se construire en tant que sujet qui pense.

Ecrire.
En outre, contrairement aux idées reçues, écrire n’est pas un acte solitaire mais un acte solidaire, qui se fait toujours en prenant appui, donc en reconnaissant, la richesse de l’autre, son savoir, sa culture. L’écrivain se nourrit du patrimoine littéraire, des plus anciens aux plus modernes, il convoque les autres, il les imite, il les fait siens pour mieux s’en détacher et découvrir en quelque sorte l’inimitable. C’est en mettant en pratique cette solidarité culturelle que l’on pourra pallier le soi-disant manque de vocabulaire de la jeunesse.
Plus encore, écrire en atelier, c’est faire l’expérience de la fraternité.

Ecrire.
Pour continuer de battre en brèche les idées reçues, on entend souvent dire que celui qui écrit est « inspiré » avec en arrière fond, soit une sorte d’intervention divine (« la muse »), soit un talent que l’on suppose évidemment inné. Or, chaque écrivain sait qu’écrire est un travail qui demande des efforts, de la patience, des ratures et des recommencements. Ecrire, c’est toujours réécrire. Si l’on admet qu’écrire est bien un travail et non un don, force est de constater que cela met l’écriture à portée de tous. Cela s’apprend… et cela s’apprend en écrivant, en se coltinant à l’acte, en malaxant ces matériaux que sont les mots.

Ecrire.
Autre fausse idée à combattre : la fameuse angoisse de la page blanche. Comme s’il était question de tout blanc ou tout noir, d’un avant et d’un après… et non d’un processus. La « page blanche » n’existe pas, on ne se lance pas dans l’écriture (de quelque texte que ce soit) sans avoir rassemblé sur la feuille (ou dans sa mémoire) des matériaux, des mots comme autant de briques qui nous serviront à bâtir la maison-texte, des mots comme autant de « brins de laine » qui nous serviront à tisser la toile qu’est le texte (voir l’étymologie du mot texte). Encore faut-il en prendre conscience et s’en servir au quotidien pour tous les écrits à produire (du poème au récit en passant par la lettre ou le compte-rendu scientifique).

Ecrire.
Enfin, écrire c’est rencontrer son lecteur, son public. Ce qui suppose un projet de publication, de socialisation, une recherche de l’autre comme destinataire. Et là, nous voilà dans le champ du projet. Débattre, décider, agir. Ensemble.

Faire projet.
Je ne parle pas ici de ces prétendus projets qui ne sont que des blablas sur papier sans autre objectif que d’obtenir un financement qui la plupart du temps n’est même pas à la hauteur de l’investissement qu’il a fallu pour rédiger le papier. Je parle du véritable projet, celui qui se décide avec les jeunes, dans le temps même où l’on réfléchit ensemble à ce qui fait désir de découverte, désir d’apprendre, désir d’agir. Et s’il y a bien un endroit où il serait facile et utile de simplifier les procédures, ce serait qu’il ne faille plus déposer de projet un an à l’avance (ce qui exclut de fait la participation des jeunes à l’élaboration et à la décision en faisant alors un projet « pour » eux et non « par » eux) et que, du coup, élus et services éducatifs, culturels ou sociaux, instruisent les demandes dès qu’elles leur parviennent, la condition étant que la demande émane directement des jeunes sous le couvert bienveillant d’éducateurs qui ont su déclencher le projet, « allumer le feu » d’apprendre. Bien sûr, cela suppose de se former à cette pédagogie du projet-jeunes, cette pédagogie que Paulo Freire nommait « pédagogie des opprimés ».
C’est bien tout cela que met en jeu l’atelier d’écriture quand il est conduit dans une perspective de création et d’émancipation.

Yves Béal, écrivain, formateur, animateur d’ateliers d’écriture – 16 janvier 2015

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