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L’École des barricades – 25 textes pour une autre école (annonce et introduction)

L’École des barricades – Vingt-cinq textes pour une autre école

L’École des barricades, c’est, à travers 25 textes qui ont marqué l’histoire de l’école et de sa contestation – de 1789 à 2014 –, la découverte d’une autre pédagogie, engagée et révoltée : une éducation des opprimés pour les opprimés.

Loin des récurrentes et stériles querelles sur l’école ou des débats de spécialistes, cet ouvrage nous propose un autre regard sur l’école et esquisse ce que pourrait être, aujourd’hui, une pédagogie subversive et émancipatrice.

Il s’agit, en renvoyant dos-à-dos les tentations réactionnaires et les adaptations du système éducatif à l’air du temps, de tracer des perspectives en pensant à la fois « contre » l’École et pour une autre éducation en mettant les combats et les expériences d’hier et d’aujourd’hui au service des luttes sociales et pédagogiques de demain.

L’École des barricades

Vingt-cinq textes pour une autre école

Collection « N’Autre École »,

Éditions Libertalia, 233 p., 10 €, disponible en librairie à partir du 28 août 2014.

Introduction de l’ouvrage

Introduction : tous les livres sur l’école ne racontent pas la même histoire…

Parce qu’elle est une institution ambiguë, traversée par de nombreuses contradictions – entre domination et émancipation -, l’école est l’objet de multiples controverses et polémiques. La récurrence même de ces débats nous dit déjà peut-être quelque chose de leur stérilité. Une chose en tout cas est à peu près certaine, ils éclairent rarement les pratiques et le quotidien de celles et ceux qui y vivent, souvent confrontés à d’autres défis.

Après vingt années d’enseignement dans des collèges de la région parisienne, toujours en lien avec un engagement pour un syndicalisme de combat et de rupture, la recherche d’une cohérence entre les luttes sociales pour une autre société et l’engagement pédagogique reste, pour moi, une préoccupation fondamentale.

Cette cohérence, qui voit dans le partage des savoirs une forme du partage des richesses, je l’ai recherchée dans le collectif – syndical et pédagogique -, dans les échanges avec les collègues et les militants. J’ai alors découvert qu’elle s’inscrivait dans une histoire – elle aussi collective – dans des réflexions et des expérimentations qui ont traversé l’histoire de l’école, qui est aussi l’histoire de sa contestation. Une histoire populaire, méconnue et marginalisée parce qu’elle s’inscrit dans le combat des dominés contre les dominants.

« L’école des barricades », c’est donc une école « contre », engagée et révoltée contre les inégalités et leur légitimation, contre les dominations et leur perpétuation. Mais c’est aussi une école « pour » : l’émancipation, qu’elle se fixe comme horizon, se conçoit comme une lutte pour se libérer des aliénations et des dominations, celles qui oppriment tout autant les « éduqués » que les « éducateurs ».

« Apprendre toujours, partager ce savoir, soulager la misère et pour cela prêcher la révolution » : en quelques mots, Louise Michel, égérie libertaire mais aussi institutrice de profession, résume cette ambition émancipatrice du mouvement ouvrier révolutionnaire. Culture de soi – mais non « pour soi » – dont Proudhon, l’autodidacte, demeure la figure emblématique ; conviction que l’appropriation et la subversion du savoir – confisqué ou détourné par la classe dominante – est un complément et un prolongement à l’engagement dans les luttes sociales… autant de principes qui appellent l’avènement d’une pédagogie collectivement et individuellement émancipatrice.

C’est ce projet, son histoire et ses réalisations, que j’ai voulu retracer à partir de la présentation d’un certain nombre de textes. Tous expriment, chacun à leur manière, cette espérance d’hommes et de femmes luttant pour « réaliser l’instruction par la révolution et la révolution par l’instruction », selon l’heureuse formule de Maurice Dommanget1.

Cette exploration des territoires de la pédagogie n’est certes pas inédite. Elle se veut cependant singulière. D’abord dans son projet, qui est de transmettre et de réactiver un héritage, aujourd’hui encore ignoré et masqué et pourtant d’une éclatante actualité. « On ne demande pas à un arbre s’il a du feu » nous avertit un proverbe africain : tant que c’est à l’école elle-même que l’on confiera la tâche de nous raconter son histoire, la richesse des réflexions et des pratiques de celles et ceux qui l’ont contestée resteront dans l’ombre.
Ce souci de réactualisation critique se manifeste par le choix de prolonger cette anthologie jusqu’à nos jours : les deux tiers des textes présentés ici ont été rédigés après la Première Guerre mondiale, et une dizaine lors de ces quarante dernières années ; preuve que la lutte pour une pédagogie sociale, égalitaire et émancipatrice n’a rien perdu de sa pertinence. Les pratiques inspirées de Freinet ou de la pédagogie institutionnelle sont encore aujourd’hui le quotidien de milliers d’élèves. Ailleurs, au Chiapas, dans le sillage de l’insurrection zapatiste de 1994, s’invente une éducation communautaire autogérée. Quant aux étudiants chiliens, au printemps 2013, ils ont défilé pendant plusieurs mois derrière une banderole proclamant : « Nous luttons pour étudier, nous étudions pour lutter ».
Cette histoire s’ouvre pourtant au lendemain de la Révolution française, alors qu’émerge progressivement un mouvement ouvrier pour qui la question éducative est tout sauf une affaire de « spécialistes » ou même de « pédagogues ». Chez Fourier, Proudhon, Bakounine, Pelloutier… l’éducation est d’abord un enjeu révolutionnaire et un engagement militant. Avec la Commune de Paris, première réalisation concrète d’un enseignement publique et laïque, le rêve de bâtir une éducation du peuple par le peuple semble, l’espace d’un printemps, à porter de main… Tous espèrent que l’éducation se mettent enfin au service des opprimés à travers l’avènement de cet enseignement « intégral » (la formule est de Fourier, popularisée par Proudhon et défendue par Bakounine) visant à « cultiver à la fois dans le même individu l’esprit qui conçoit et la main qui exécute.2 »
Dix ans plus tard, l’instauration de l’École de la République, par les fossoyeurs mêmes de la Commune, en décidera autrement. La diffusion du savoir peut aussi se révéler un instrument de domination redoutable à l’heure où, souligne Fernand Pelloutier, « ce qui manque à l’ouvrier, c’est la science de son malheur » et que le syndicalisme, à travers les Bourses du travail, cherche à « instruire pour révolter. »
La question de l’institution scolaire devient alors centrale : les tentatives libertaires et/ou syndicales de construire une éducation en marge de l’école officielle se soldent, pour diverses raisons, par des échecs. C’est de l’intérieur que les instituteurs révolutionnaires, et parmi eux un certain Célestin Freinet, voudront subvertir cette école  « fille et servante du capitalisme » ; ils œuvreront donc pour la révolution en la préparant aussi dans leurs classes…

Voilà ce que l’histoire à l’école ne nous raconte pas. Comme elle ne nous dit pas non plus, y compris dans ses instituts universitaires, que la pédagogie n’est pas seulement l’œuvre de « figures », de « grands noms » mais fut et demeure une aventure collective. La Commune de Paris, la révolution espagnole de 1936, les établissements expérimentaux autogérés ou encore les Écoles populaires Kanak sont là pour en témoigner et occupent une large place dans cette anthologie : « le choix d’une éducation libératrice des classes dominées s’inscrit, bien sûr, dans une histoire collective : ce choix ne peut émerger que parce qu’on développe avec d’autres, et pas seulement des enseignants, l’analyse critique des projets d’éducation et des enjeux de société qu’ils contiennent.3 »

Cette citation, de Noëlle De Smet est l’occasion de souligner combien les femmes sont les grandes oubliées de l’histoire de la pédagogie. Une mise à l’écart assumée et constitutive de notre système éducatif, si l’on en croit Jules Ferry qui opposait les « grands hommes pédagogues » aux « institutrices restées filles » qui n’ont qu’à se laisser guider par leur nature profonde… une autre réalité de notre école4 que la présence en ces pages de Madeleine Vernet, Simone Weil, Helena Radlinska, Noëlle De Smet, Charlotte Nordmann mais aussi Louise Michel dont les propos ouvrent cette introduction, entend définitivement dénoncer.

Grégory Chambat

1. Maurice Dommanget, Les Grands socialistes et l’éducation, Armand Colin, 1970.

2. Édouard Vaillant.

3. Noëlle De Smet, Au front des classes, face à la classe, aux côtés des élèves, dans les luttes sociales, Couleur livre et Cgé, coll. L’école au quotidien, 2009.

4. Sur ce sujet, voir « Femmes pédagogues et pédagogues femmes », N’Autre école n° 36, automne 2013.

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