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À propos d’un jeune prof de banlieue

À PROPOS D’UN « JEUNE PROF DE BANLIEUE»
PROPOSITION DE TRIBUNE EN RÉACTION À LA MÉDIATISATION D’UN JEUNE PROFESSEUR DE SES DU LYCÉE DE DRANCY (93)

Depuis quelques temps certains média s’intéressent beaucoup à un jeune professeur du lycée Eugène Delacroix de Drancy et à sa supposée méthode. Or au delà du cas anecdotique de cet enseignant sur lequel il nous faudra malgré tout revenir, cette médiatisation en dit long sur les rapports entre les média et l’école et sur la façon dont les journalistes perçoivent le monde enseignant. (voir notamment « Quand Kery James rencontre Pierre Bourdieu ».9/012014 sur le site des « cahiers pédagogiques » ; « Ce jeune prof qui voulait changer le monde et sa classe », le monde.fr 25/05/14)
Il y a d’abord la « méthode Fontanieu » qu’il faut bien évoquer. Or qu’en sait on ? Voilà un jeune enseignant, qui a fait science po, qui aurait demandé à être nommé dans le 93 et qui se trouve tout d’un coup sous le feu des média parce qu’il prend sa mission très à cœur. Et quelle méthode a-t-il mis en place pour cela? Il met la pression sur ses élèves en leur donnant des QCM tout les lundi, il organise des sorties avec sa classe, crée un blog , décide de créer la « teamES2 »… jusque là rien en effet de très remarquable ni de particulièrement original, en tout cas rien, qui à notre sens, mérite un tel emballement médiatique. Mais plus discutable ou original au choix, il met la « pression » à ses élèves notamment en associant les parents à son « combat », notamment en leur envoyant des SMS pour les informer des résultats de leurs enfants et en leur conseillant le type de punitions qu’ils doivent mettre en place ( comme les priver de play station en cas de mauvais résultats). Or à aucun moment les journalistes ne soulignent l’aspect franchement intrusif et infantilisant de telles méthodes, mais lorsqu’on fabrique des « héros »,  on en oublie visiblement son sens critique.
Nous passerons rapidement sur l’aspect psychologique de ce « magicien », ce prof merveilleux qui ne compte ni son temps ni son énergie pour faire réussir ses élèves et « sauver » le monde. Les psychanalystes nous ont appris depuis longtemps à se méfier des personnes, surtout lorsqu’on leur confie des mineurs, qui exhibent de façon aussi ostentatoire leur dévouement et leur sens du sacrifice. Nous passerons aussi rapidement sur le traitement franchement méprisant pour l’établissement et pour les élèves (voir les allusions racialistes de l’article du monde), du jeune prof , agrégé et diplômé de Science po, qui ose franchir le périphérique pour venir sauver ces pauvres élèves en péril (rappelons que cet enseignant travaille avec des élèves de terminale ES, il a donc de toute façon des élèves déjà sélectionnés) et sur la manie qui consiste désormais à systématiquement faire référence à Pierre Bourdieu dès qu’on évoque la question de l’école et des classe populaires. Rappelons de plus que l’objectif des 100% de réussite au bac dans un classe de terminale ES, même dans le 93, à l’échelle d’une classe n’a rien d’extraordinaire, ( les taux de réussite au bac se situe en général entre 70 et 100%) et que le lycée Eugène Delacroix de Drancy, qui n’est en effet ni le meilleur ni le pire lycée de la région parisienne, envoie régulièrement des élèves depuis 15 ans, dans le cadre des conventions ZEP-Science po, dans le prestigieux établissement de la rue Saint Guillaume, car ces faits ne sont évoqués dans aucun des articles pré-cités (tous ces aspects ont été évoqués par ailleurs sur d’autres blogs).
Tout cela nous amène à l’essentiel : comment se fait il qu’un enseignant aux méthodes plus que discutables, (et dont tous les profs qui commentent cette histoire prennent soin de se démarquer) enseignant à des élèves déjà sélectionnés et qui n’a jusqu’à ce jour rien montré de concret en terme de résultats devienne un héros pour les média ? D’où provient cet emballement médiatique et ce manque total de recul critique de la part de journalistes face à de telles méthodes qui ne sont pas sans rappeler le « management par le stress » appliqué, avec les conséquences que l’on sait, dans certaines grandes entreprises ?
On trouve un début de réponse à ces questions dans la revue de presse que Philippe Watrelot, rédacteur en chef des cahiers pédagogiques et formateur IUFM, consacre à cette histoire. Ce dernier nous apprend que les réactions des enseignants, notamment à l’issue du dernier article du monde consacré à ce professeur, ont été très vives. En effet nous dit-il «  On blâme sa démarche individuelle et donc suspecte et on lit ce qui y est décrit comme une remise en cause des autres enseignants. La culture enseignante est marquée en effet par l’égalitarisme et aussi par un certain conformisme. Il est mal vu de se mettre en avant et les “déviants” qui innovent sont souvent perçus comme des reproches permanents à l’égard des autres. Cette attitude est assez paradoxale car ce qui domine dans le milieu est plutôt une vision d’un exercice “libéral” du métier et peu d’envie de collectif et en même temps pour critiquer ce collègue on insiste sur l’absence de dimension collective.
Lorsqu’on aborde la question de la culture enseignante avec de tels préjugés, on risque en effet de considérer tout enseignant innovateur comme un héros potentiel aux prises avec les jalousies de ses collègues misonéistes ou les tracas d’une bureaucratie tatillonne. Or susciter les critiques de ses collèges ne fait pas pour autant de tout enseignant innovateur un nouveau Freinet ou un nouveau Pestalozzi. Affirmer de façon péremptoire que les enseignants sont conservateurs et égalitaristes amène forcément à considérer que toute innovation est bonne en soi, l’essentiel est d’essayer, de créer, de rompre les routines, … bref on en vient, (même si Philippe Watrelot prend bien soin dans la suite de l’article de préciser qu’il n’approuve pas entièrement les méthodes de cet enseignant) à valoriser un professeur qui applique des méthodes à l’opposé des positions plutôt anti-autoritaires et pédagogiques des « cahiers pédagogiques ». On peut en effet s’interroger sur les réactions qu’auraient suscité de la part des mouvements pédagogiques, une réforme de l’éducation qui obligerait tous les enseignants à téléphoner aux parents en cas de mauvaises notes, de priver de console des élèves qui ne travaillent pas assez, de dire qu’il faut « bosser, bosser et bosser » et de distribuer systématiquement des heures de colle aux élèves qui ne travaillent pas suffisamment (ces outils sont par ailleurs ponctuellement utilisés par de nombreux enseignants en France, mais c’est en faire « une méthode » qui est le plus critiquable ici).
« Mais ce qui apparaît comme le plus important dans cette bulle médiatique c’est l’enthousiasme et la volonté de faire réussir tous les élèves » écrit le rédacteur des cahiers pédagogiques. Cet enseignant est « sympathique » car il est motivé, il veut réussir et c’est cela l’essentiel, même si parfois il « doute » ( par ailleurs, sa capacité de réflexivité ne saute pourtant pas aux yeux). Mais, s’il suffit d’être motivé et de faire des projets pour avoir une page dans « le Monde » ou dans « Les Cahiers Pédagogiques », qu’il nous soit permis de rappeler ici qu’il existe dans l’Éducation Nationale de nombreux enseignants motivés et sympathiques (pas toujours jeunes il est vrai) qui font des projets innovants, bien plus originaux que ce professeur, des profs qui, pour autant, ne méprisent ni leurs collègues, ni l’institution, ni leurs élèves (car derrière les propos de ce professeur de Drancy pointe malgré tout un certain « mépris de classe ») ; des profs qui s’investissent mais n’éprouvent pas forcément le besoin narcissique de le crier sur les toits ; non juste des profs « normaux », qui considèrent que faire des projets fait partie de leur travail et aide les élèves à réussir, mais qui n’ont pas forcément le mot métacognition à la bouche et qui sont aussi par ailleurs très attachés à la défense de leurs acquis et de leurs statuts, et oui…on peut être « à la fois » de bons profs, mobilisés, efficaces et innovants, tout en étant « corporatistes ». Bref des profs lambdas, qui ont aussi envie d’être reconnus mais sans forcément cracher dans la soupe, ni faire du misérabilisme. Car non les déviants et les innovateurs dans l’Éducation Nationale, comme ailleurs, quant ils travaillent en équipe et sont réellement soucieux de la réussite de leurs élèves et non de leur égo personnel, ne « sont pas forcément perçus comme des reproches permanents à l’égard des autres » .
Voilà pourquoi tant que la « culture enseignante » sera présentée de façon aussi manichéenne, il ne faudra pas s’étonner que des professeurs aux méthodes plus que discutables se retrouvent à la une des média, ….mais cela n’empêchera pas pour autant les autres profs (la main gauche de l’État comme disait Pierre Bourdieu justement) de faire progresser malgré tout des millions d’élèves et de se battre pour garder, sans hélas toujours y arriver, dans le système scolaire, les trop nombreux élèves qui le quittent trop tôt et sans diplôme.

(Jean Yves Mas prof de SES dans le 93..mais pas à Drancy)

4 Comments

  1. CD

    À propos d’un jeune prof de banlieue
    Quelle horreur ! Des sms, quelle intrusion dans la vie privée ! Et côté motivation, faire ça à des ados de 17/18 ans, c’est vraiment ne pas croire deux minutes qu’ils puissent avoir une volonté et un cheminement autonomes.

  2. Peter Karl

    À propos d’un jeune prof de banlieue
    Ouf! Je ne suis pas le seul à trouver cette monstration franchement louche au minimum lourdingue: non louche !

  3. Albert Renard

    À propos d’un jeune prof de banlieue
    “positions plutôt anti-autoritaires et pédagogiques des « cahiers pédagogiques ». ”

    Un beau sujet de dissertation à l’usage des futurs profs pour une réflexion sur le libéralisme en cours, et ses effets sur les organisations scolaires…

    – Il y a bien longtemps que les Cahiers dits “pédagogiques” s’occupent plus d’idéologie d’appareil que de… pédagogie. Nous ne sommes plus en 1970.

    – anti-autoritaires : ça veut dire quoi ? Les “Cahiers” avec leurs massives avancées sectaires et admirateurs de leurs maîtres à penser de pacotille (lisez de près) ont fait plus de mal à l’école que les réacs agités. D’autant qu’ils en rajoutent des couches sur des couches. Bien loin de ces modestes terrains que vous évoquez. Et de ces profs non labellisés “innovants”, et eux, loin des bavardages. Car que veut-on en définitive ? Encadrer, contrôler ? ou favoriser, encourager, dynamiser ?

    Bref, ne confondons pas la déclaration de vertu et la volonté de pouvoir idéologique avec la générosité et l’action effectives.

    • zakhartchouk

      À propos d’un jeune prof de banlieue
      réponse à Albert Renard, de la part d’un rédacteur des Cahiers pédagogiques
      Etayez-donc les reproches que vous faites à notre revue, je vous mets en défi de montrer en quoi elle est moins “pédagogique” que dans les années 70. Le nombre de profs qui écrivent dans notre revue , qu’ils soient ou non “labellisés” (je ne sais pas trop ce que ça veut dire) est considérable(en comptant le site et la revue papier, on doit bien en être à une centaine chaque année, dont au moins la moitié écrivent pour la première fois.
      Sur Jérémie Fontanieu, nous avons effectivement présenté son portrait, parmi bien d’autres (voir le récent hors série numérique qui dresse le portrait d’acteurs qui ne sont pas ce que vous dite), mais aussi engagé un débat, avec des avis contrastés. Ce n’est pas un crime!
      Enfin, nous n’avons pas de maître à penser. Dans nos colonnes, il nous arrive de contester vivement des chercheurs qui par ailleurs nous apportent beaucoup . Nous avons débattu publiquement sur des textes de Meirieu, Astolfi, Rochex, GIordan et bien d’autres…Ce que ne font malheureusement pas d’autres organisations, alors qu’il est sain effectivement de n’avoir peut-être “ni dieu ni maitre”
      Mais si tout ce que j’écris n’a aucun effet sur votre opinion, je vous laisse alors à votre sectarisme et à vos certitudes. Espérons que non
      jm zakhartchouk

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