En 2015, à Nice, un enfant de 8 ans avait été entendu par la police pour des propos qu’il aurait tenus dans son école lors de la minute de silence observée après l’attentat contre Charlie Hebdo. Au moins avait-il été convoqué seulement quelques jours plus tard et avec son père.

 

On ne peut que s’interroger sur la conception de la relation pédagogique que suppose, dans une situation de classe, la dénonciation à des instances extérieures d’une parole, si malvenue soit-elle, chez un élève de dix ans, et sur la rupture qu’elle entraîne avec la confiance et la possibilité d’émettre une idée même fausse dans le cadre d’un apprentissage.

En 2020, comme on n’arrête pas le progrès, c’est à l’aube que quatre enfants de 10 ans, élèves de la même classe de CM2, ont été interpellés chez eux, à Albertville, par une escouade de policiers, dont certains cagoulés, et emmenés, seuls, au commissariat où ils ont été retenus plusieurs heures pour « apologie du terrorisme », pour des propos qu’ils auraient tenus en classe après l’assassinat de Samuel Paty.

Outre la brutalité inédite de la procédure, et le traumatisme que cela a pu provoquer chez ces enfants (dont, en plus, l’une au moins a été mise hors de cause ultérieurement), ce qui interroge, c’est ce que cela traduit, d’une part, de la conception de l’enfance et de l’acte éducatif, et d’autre part, de la panique qui gagne la communauté éducative au point d’aboutir à de telles situations.

Certes, tout s’est déroulé légalement : de l’enseignant qui a fait le signalement au procureur qui a lancé l’opération policière en passant par le Dasen qui a déposé une plainte, chacun n’a fait que mettre en œuvre ce que la loi permet, et même ce qu’elle impose depuis les dernières mesures sécuritaires. Il n’est pas question ici de les incriminer individuellement, mais de se demander si nous pouvons accepter le type de société que ce fonctionnement représente.

On ne peut qu’être inquiet du climat de peur qui s’instaure si, parce qu’un enseignant a été assassiné, non pas par ses élèves mais par un terroriste étranger qui ne le connaissait même pas, les quelque 330 000 enseignant-e-s du premier degré de ce pays doivent désormais considérer leurs propres élèves, qu’ils et elles côtoient tous les jours, comme dangereux, au point de s’en remettre à la police au premier incident.

On ne peut que s’interroger sur la conception de la relation pédagogique que suppose, dans une situation de classe, la dénonciation à des instances extérieures d’une parole, si malvenue soit-elle, chez un élève de dix ans, et sur la rupture qu’elle entraîne avec la confiance et la possibilité d’émettre une idée même fausse dans le cadre d’un apprentissage. Et c’est encore plus prégnant dans un contexte d’évènements dramatiques surmédiatisés, porteurs pour l’élève de troubles émotionnels et cognitifs, voire d’un conflit de loyauté.

L’oublier, c’est oublier que ces élèves sont des enfants, que l’éducation n’est pas du dressage, et que le rôle d’un enseignant, d’une enseignante, c’est de les aider à penser, à réfléchir, à se confronter aux autres -et c’est en cela que le collectif de la classe est indispensable-, à développer un esprit critique qui fasse fi des idées préconçues pour construire une pensée autonome et affinée au contact des autres.

Alain Chevarin