Vous connaissez Charline Avenel ? Non ? Laissez-nous vous la présenter.
Elle a été nommée rectrice de l’Académie de Versailles en octobre 2018. Elle n’est pas passée inaperçue. En 2020, ce sont ses services qui avaient reçu les signaux d’alerte envoyés par Samuel Paty. Pour mémoire, ce dernier avait alerté sur les prises de position agressives d’un père d’élève sur un réseau social, qui déclenchaient un bad buzz viral sous forme de pluie de propos haineux à l’encontre du professeur. On rappelle que l’élève en question n’était pas présente au cours incriminé. La réponse rectorat fut la sollicitation de l’équipe laïcité et valeurs de la République et la programmation d’une rencontre avec un inspecteur en vue « d’accompagner la principale lors d’un entretien avec le professeur pour notamment lui rappeler les règles de laïcité et de neutralité. »
En mai et juin 2022, c’est son académie qui avait organisé une grosse opération de communication sur le recrutement d’enseignants par job dating, qui avait donné lieu quelques temps plus tard à une vague de démission.
Ce sont ses services qui ont élaboré la sanction soudaine tombée sur Kai Terada, représentant SUD éducation dans son lycée, dont on rappelle qu’il a été muté « dans l’intérêt du service » juste après la rentrée de Nanterre à Saint Germain en Laye.
Et c’est donc elle qui dirigeait les bureaux qui ont envoyé la lettre menaçant les parents d’un élève harcelé de poursuites judiciaires.
C’est déjà pas mal non ? Attendez.
En fait, elle a été nommée au poste de rectrice de la plus grande académie de France dans des conditions qui font question. Il faudra être un peu technique, nous sommes désolés pour la digression. Le poste de recteur (haut fonctionnaire responsable des services d’éducation dans une région) est une spécificité française : dans la plupart des autres pays, c’est le président de l’université d’une région qui dirige les services d’éducation sur le territoire concerné, alors les recteur·ices sont nommé·es par l’état. Encore un héritage de Napoléon Ier. Au départ la règle d’éligibilité est assez simple : il faut être titulaire de la plus haute qualification universitaire, le doctorat pendant longtemps, aujourd’hui l’Habilitation à Diriger des Recherches (HDR). Rappelons qu’un·e recteur·ice est aussi chancelier·e des universités.
Ça change un peu en 2010 (décret n°2010-889 du 29 juillet 2010) avec l’ouverture à des personnes ayant été secrétaire général de ministère ou directeur d’administration centrale pendant au moins trois ans et à des personnes titulaires d’un doctorat et justifiant d‘une expérience personnelle de 10 ans au moins dans les domaines de l’éducation, de la formation ou de la recherche. Mais cette dérogation ne peut concerner que 20% des recteur·ices. En 2016, on enlève l’obligation de doctorat, mais la nomination doit alors être validée par une commission qui comprend entre autres un·e recteur·ice et un·e ancien·ne recteur·ice. A partir d’octobre 2018, par décret de Macron donc, toutes ces conditions sont retirées, seule la commission est maintenue, et l’effectif passe à 40%. Il se trouve que juste après, le 24 octobre 2018, Charline Avenel est officiellement nommée. Sans vouloir faire dans le complotisme, le faisceau d’indice indiquant une petite manœuvre réglementaire pour nommer cette dame est troublant. Nombreus·es sont d’ailleurs celleux qui s’en émeuvent alors.
Evidemment, Charline Avenel, qui a partagé les bancs de l’ENA avec celui qui l’a ensuite nommée, a eu une carrière de haute fonctionnaire disons asymptotique de l’éducation. D’abord à la direction du budget de 2004 à 2007, adjointe au chef du bureau éducation et enseignement supérieur. En 2007, Nicolas Sarkozy nomme Valérie Pécresse ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Charline Avenel la rejoint au cabinet, d’abord conseillère budgétaire puis directrice adjointe en charge des moyens, de l’évaluation et de la recherche. Elle y reste jusqu’en 2018 et sa nomination à Versailles. Voilà donc une dame qui se retrouve rectrice non parce qu’elle a enseigné, mené des recherches ou formé des étudiants mais parce qu’elle a tenu des comptes dont il se trouve qu’ils concernaient des institutions de l’éducation. En juillet 2023, elle quitte finalement le rectorat de Versailles pour rejoindre le premier (en masse financière en tout cas) groupe d’enseignement supérieur privé français, Ionis. La question du conflit d’intérêt a été – discrètement – posée. On n’a toujours pas de réponse.
C’est donc sous la direction de cette dame que les services du rectorat ont envoyé à la famille d’un élève harcelé une lettre la menaçant de poursuites judiciaires. On se demande si ses oreilles ont sifflé quand Gabriel Attal s’est précipité devant les micros pour éteindre le feu en qualifiant de honte (deux fois) ledit courrier et en promettant, avec tambours et trompettes, un « audit sur les situations de harcèlement qui ont été signalées depuis l’an dernier ». On n’en est pas certain.
Ça n’a l’air de rien, ça parait anecdotique. Pourtant c’est symptomatique d’un enjeu politique immédiat : le parcours de cette dame fait malgré tout question, à une période où l’ensemble des contre pouvoirs (notamment au ministère de l’éducation nationale) font l’objet au mieux de contournements massifs, au pire, fréquent, de tentatives d’élimination pure et simple. Il fut de bon ton, un temps, chez beaucoup des soutiens du pouvoir actuel, de critiquer la bureaucratie envahissante et sclérosante des pays de l’est. On est en droit de se demander si celle-ci n’est pas en train de se mettre en place à marche forcée, et si l’itinéraire de Mme Avenel n’en est pas une illustration pertinente.
Mathieu Billière