Des enseignant·es qui démissionnent, le phénomène n’est certes pas nouveau. Et il est souvent analysé comme un manque de vocation ou en termes de distance qui ne peut être comblée entre l’enseignant·e et les élèves. En enquêtant auprès de professeur·es des écoles, la sociologue Sandrine Garcia cherche à montrer que l’augmentation des démissions tient pourtant aujourd’hui à d’autres facteurs. Le cœur de sa démonstration vise en effet à faire le lien entre le désenchantement actuel que connaît la profession et les nouvelles politiques de management public qui privent le métier de sens.

Revenant sur les buts du nouveau management, Sandrine Garcia en cerne trois : l’obsession de la maîtrise de la dépense publique, l’augmentation des services et le contrôle du travail. Pris dans cette nasse, le travail enseignant se retrouve en conséquence reprogrammé pour être mis en conformité avec une raison économique devenue la mesure de toute chose. Mais cela finit par provoqué du découragement et de la démobilisation professionnelle. La volonté de rendement et de quantification conduit en effet à une dégradation des conditions de travail et à une dénaturation de l’action éducative. Quand elle interroge les démissionnaires, c’est la peur de s’effondrer sous la charge de travail et l’impossibilité d’aider tous les élèves à s’en sortir qui reviennent le plus souvent. Elle pointe en outre la contradiction entre le but affiché, l’école qui donne sa chances à toutes et tous de progresser et de s’accomplir, et le manque de moyens qui anéantit cette espérance. Il en découle une souffrance pouvant aller jusqu’à l’accident du travail.

L’autrice insiste aussi sur le tournant autoritaire de l’institution. Alors qu’après Mai 68 et jusque dans les années 1980 (la création de la Direction et de la performance scolaire date de 1987), le modèle est celui du praticien réflexif, nous passons au fil des réformes à un travail prescrit transformant les enseignant·es en exécutant·es, tout se passant comme si elles et ils devaient participer activement à leur propre dépossession. C’est ainsi que des innovations pédagogiques qui étaient auparavant perçues comme enthousiasmantes et relevant d’une expérience en faveur d’une école plus égalitaire sont aujourd’hui ressenties comme une remise en cause de la liberté pédagogique.

Sandrine Garcia observe enfin que face à cette augmentation des démissions qui témoigne d’un grand désarroi la hiérarchie reste de marbre, se contentant d’entériner le phénomène sans chercher à y remédier, comme si ce qui comptait le plus n’était pas de sortir de la crise mais de convertir de force la profession à la nouvelle culture d’entreprise, quitte à se séparer d’éléments précieux. La déraison gestionnaire a beau provoquer un immense gâchis, ce sont toujours les enseignant·es qui sont responsables de leur échec aux yeux de l’institution.

Il y a l’amertume de celles et ceux qui partent et le découragement de celles et ceux qui restent. Comment alors regagner collectivement confiance ? Il y a quelques années, on parlait beaucoup de désobéissance pour ne pas cautionner des procédés jugés indignes d’une éducation égalitaire et émancipatrice. Quelles formes de subversion à l’école aujourd’hui ? Cela pourrait passer par le refus de mettre en place des dispositifs qui nous enferment dans ce que la sociologue nomme l’ « urgence temporelle ». Nous pensons en particulier à l’évaluation, un outil pédagogique qui a été largement dévoyé pour être transformé en instrument d’assujettissement et de contrôle des pratiques. C’est sans doute dans le ralentissement que se trouve la possibilité de nous réapproprier collectivement un horizon de sens. Souvenons-nous : c’est nous qui travaillons, c’est nous qui décidons !

Sandrine Garcia, Enseignants : de la vocation au désenchantement, La Dispute, 2023, 256 p. 17 euros.