En septembre, je découvrais la réalité des classes à 30 élèves, en cumulant la fonction de prof et celle de prof principale.

Cette découverte n’avait été que violence et désarroi en raison des conflits éthiques devant lesquels l’institution nous place en nous obligeant à travailler dans de telles conditions : découvrir les besoins éducatifs et pédagogiques de chaque élève (23 sur 30 ont besoin d’être particulièrement soutenu·es) et me rendre compte de notre impossibilité à les accompagner dignement faute de temps, de disponibilité cognitive et de formation ; sentir une tension permanente dans la classe ; être épuisée physiquement, psychiquement, mais ne penser qu’à cette classe, qu’à ces élèves qui nous échappaient peu à peu.

Une moitié d’année s’est écoulée aujourd’hui et une semaine terrible m’a conduite à une décision que je n’aurais jamais cru prendre : j’ai démissionné de mes fonctions de prof principale.

Pendant cette période, il y a eu un petit temps d’accalmie du fait de l’éviction de trois élèves dans des dispositifs parallèles. Avec deux collègues, nous avons également tenté de monter un projet pour fédérer la classe. Mais en parallèle, il y avait toujours un rapport dans mon casier, ou un·e collègue qui m’interpelait pour un incident, ou un accompagnement particulier à mettre en place, avec ses dossiers insensés, ou des conflits à gérer au sein de la classe. Sans parler des innombrables adaptations auxquelles il me fallait travailler pour permettre aux élèves d’entrer dans les apprentissages. Les journées s’allongeaient, les dossiers à traiter s’accumulaient, le « retard » m’oppressait et tous ces « cas » d’élèves en détresse m’obsédaient : comment arriver à tout gérer ? Quelles stratégies imaginer pour aider, soutenir, donner des limites également, créer du collectif dans la classe et avec les collègues de l’équipe ? Comment continuer à être prof, avec tout cela ? Comment ne pas renoncer à la finalité émancipatrice de l’école ?

Début février a été le déclencheur de ma démission. Lorsque, en plus du décrochage progressif de certain·es élèves, j’ai vu s’accumuler les rapports et surgir la violence des élèves peu à peu mis à l’écart ou abandonné·es, malgré nous ; lorsque j’ai été victime de l’agressivité de parents sans doute eux/elles-mêmes désemparé·es devant les difficultés de leur enfant. J’ai passé une semaine à fleur de peau. À pleurer le soir, le matin, chez moi, dans la voiture, au collège. J’ai hurlé sur un élève. J’en ai vu partir un autre suite à un conseil de discipline, 4 autres se remettre à déborder, et la classe ne plus pouvoir travailler. J’ai eu peur de la violence d’un élève. J’ai fait la réunion parents-prof en m’entendant parfois parler sans conviction et de manière détachée, sans sourire. Je me suis sentie pleine de rancœur, de tristesse et de pensées négatives, au bord du craquage. Peut-être même en plein craquage.

Ce qui m’a permis de tenir ? (1) Le fait d’être syndicaliste et de connaître mes droits. Le fait d’avoir mené un long travail de recherche, toujours en cours, sur la souffrance au travail et les effets du management sur nos conditions de travail. Tout cela m’a permis de mettre les bons mots sur ce qui m’arrive cette année, de remonter aux véritables causes de ces souffrances et de ne pas oublier que les responsables ne sont pas ni les élèves ni les familles ni les collègues.

Alors j’ai démissionné de ma fonction de prof principale. Pour m’alléger de ce poids et préserver ma santé. Pour me concentrer de nouveau sur la pédagogie, même si je sais qu’elle ne peut pas tout.

Certain·es m’accuseront peut-être de lâcheté et d’égoïsme puisque ces missions incomberont maintenant à d’autres personnes. D’autres ont tellement bien assimilé les stratégies managériales d’individualisation des problèmes qu’ils/elles penseront que je suis trop fragile et trop émotive, voire trop faible pour assumer ce travail et que j’ai bien fait de renoncer.

Peu m’importe, en fait.

Car je sais que la réalité est la suivante : c’est l’institution, avec sa politique de remplissage maximal des classes pour pouvoir en fermer d’autres, qui m’a mise dans une situation intenable pour n’importe quel·le professionel·le.

Aujourd’hui, les vacances sont là et elles vont m’aider à redémarrer une nouvelle période de manière plus sereine, avec l’espoir de voir revenir l’envie de travailler avec cette classe et les étincelles pédagogiques qui nous permettront de mieux travailler ensemble.

En démissionnant, j’ai rempli le Registre santé et sécurité au travail.

Car il faut que ces situations soient visibilisées, qu’elles remontent à la hiérarchie responsable de ces situations délétères.

Nous ne pouvons pas ne rien dire, ou nous contenter de récriminations stériles en salle des personnels. Nous ne pouvons pas continuer à souffrir en silence en espérant que l’année se termine vite et en croisant les doigts pour ne pas retomber sur une telle configuration l’année suivante.

Si nous ne disons rien, si nous ne nous battons pas, cela n’aboutira qu’à une seule chose : nos conditions de travail continueront à se dégrader, l’institution continuera à nous mépriser et à nous piétiner et nous continuerons à souffrir de notre travail.

Je refuse l’acceptation passive et la banalisation de ces conditions de travail. Je refuse que l’on en vienne à les considérer comme normales, comme inévitables.

Des moyens pour l’école, il y en a et, puisque l’institution nous les refuse, c’est à nous d’aller les chercher, par la force de notre action collective et syndicale. Des luttes victorieuses dans ce domaine, il en existe, à nous d’en construire de nouvelles !

J., militante à Sud éducation 78 et membre de Questions de classe(s)

(1) Le mouvement de lutte contre le projet de réforme des retraites, syndical, collectif et joyeux, m’a aussi donné l’énergie de tenir.