Le contexte en France

 « Les résultats en français ne sont pas satisfaisants à l’entrée en 6e. On va faire des annonces début 2023. Il y a un travail sur la pédagogie à faire », nous prévient Pap Ndiaye ce 9 décembre.

A propos de pédagogie, Brigitte Macron, « conseillère » régulière du ministre insiste sur les « bienfaits » de la méthode syllabique et du « par cœur » pour l’apprentissage de la lecture.  

« Elle a du métier et j’échange régulièrement avec elle », déclare le ministre de l’Éducation. Pourtant, Brigitte Macron n’a jamais enseigné en primaire, elle était professeure de français au Second degré.

Le ministre, en toute continuité avec son prédécesseur défend le « Lire, écrire, compter, respecter autrui » avec des programmes centrés sur les « fondamentaux » administrés aux élèves en couches simples et ainsi évacuent la complexité, la transversalité…

Il oublie que tous les enfants ne sont pas égaux, les inégalités sociales impactent notamment l’apprentissage de la langue : un enfant de 4 ans issu d’un milieu favorisé possède 1 000 à 1 200 mots contre 500 à 600 pour un enfant du même âge issu d’un milieu défavorisé.

Quant à la lecture, les enfants qui lisent et comprennent ce qu’ils lisent ont des environnements familiaux  porteurs comme : la présence de livres, d’albums, de revues, des adultes qui lisent, aiment lire, racontent des histoires et participent aux activités de lecture de leurs enfants sans oublier le niveau d’étude des parents. Les plus aisés d’entre eux choisissent des écoles bien situées, renommées quitte à aller dans le privé.

En parlera-t-il dans ses rendez-vous le vendredi dans la « Minute Pap » sur Twitter ?

Pour moi, les trois points indispensables à traiter rapidement

1. Les environnements familiaux déterminants

L’école ne prenant pas en compte les différents environnements familiaux de ses élèves est fortement inégalitaire. En effet, les enfants ne bénéficiant pas d’un environnement familial privilégié sont nombreux et se retrouvent de fait exclus d’une compétence experte de lecture.

En France, l’apprentissage de la lecture comme celui de toute l’étude de la langue se réduisent à des techniques, à des exercices. L’école ne cherche pas à développer un environnement favorable à la lecture, même si heureusement certains enseignants le font. L’élève (comme le professeur d’ailleurs) doit être un bon technicien, mais pas un ingénieur et encore moins un chercheur !

Pour certains élèves, ce n’est pas grave puisqu’ils sont initiés ailleurs…  et deviennent de « bons lecteurs ».

Ces « bons lecteurs » pourront lire et comprendre le monde et donc peser sur lui pendant que les autres le déchiffreront pour le servir !

Monsieur le ministre, écoutez un peu moins l’épouse du Président et prêtez  une oreille attentive aux propos des pédagogues !

Quelques suggestions : offrir à tous les enfants des environnements qui favorisent la lecture et son inséparable l’écriture : adultes qui lisent et aiment lire, présence de nombreux livres, narration d’histoires qu’elle soit faite par un adulte ou un enfant, temps nombreux de lecture et d’écriture personnelle, accès aux bibliothèques, participation des parents…

Mais bien sûr, il faut un emploi du temps qui le permette et passer moins de temps aux seules techniques… Et ceci dans toutes les classes avant et après le CP, car la lecture et la compréhension de textes traversent toutes les disciplines et débordent largement les heures d’étude de la langue…

Et comme l’enfant dès son plus jeune âge traverse de nombreux espaces éducatifs, il faut y développer ces environnements favorables à la lecture.

Ce qui demande une formation initiale et continue ambitieuse sur la lecture pour tous les professionnels de l’éducation.

2. Les établissements

Les « bons lecteurs » sont plutôt dans les établissements bien situés, bien financés, renommés…

Les écoles sont à l’image du quartier qui les entoure, certaines ont une majorité d’enfants aux environnements familiaux favorables et aux familles aisées ou d’autres ont une majorité d’enfants aux environnements moins favorables et aux familles en difficulté. La reproduction sociale et culturelle est garantie !

Pourtant des observations montrent qu’un nombre suffisant d’enfants ayant des compétences élevées en lecture et écriture profite à tous les élèves d’une classe.

Tant que toutes les difficultés (scolaires et sociales) seront rassemblées dans une même école, le « bon climat scolaire » avec sentiment de sécurité, d’appartenance et  sans problèmes de discipline sera difficile à réaliser. Pourtant le sentiment de bien-être, tant pour les enfants que pour les adultes est indispensable pour apprendre et enseigner. Du coup, les enseignants expérimentés et qualifiés évitent les établissements des quartiers difficiles.

Et tant que les familles de même classe sociale vivront dans le même quartier, l’hétérogénéité (scolaire et sociale) sera difficile à réaliser à moins qu’un système d’inscription scolaire le permette. Redéfinir la carte scolaire, un défi à réaliser ?

3. L’état de santé et de pauvreté des enfants.

Il est difficile d’apprendre quand on est mal logé, quand on a mal dormi, quand on a faim, quand on a froid, quand les problèmes de survie l’emportent sur tout le reste et ne permettent pas à l’enfant de fréquenter l’école sereinement.

Pour l’instant, je n’ai pas entendu le ministre répondre à ces points indispensables.

Déjà en 1959, les méthodes étaient en débat.

Célestin Freinet résume ainsi ce que serait une bonne méthode :

« 1) le principe de la globalisation est indéniable et n’est d’ailleurs pas, dans la réalité, une découverte récente.

2) mais ce principe de globalisation n’est nullement exclusif de toute analyse d’une attention particulière aux éléments constitutifs de l’ensemble.

L’analyse ne saurait se suffire sans globalisation et inversement. Une bonne méthode doit faire fonds en permanence sur les deux processus, comme cela se produit dans toute acquisition naturelle vitale.

3) d’autant plus – et on l’a souvent négligé – que le fonctionnement de ces processus n’est pas exactement le même chez tous les individus et ne saurait être préétabli comme règle uniforme et obligatoire.

Il y a des individus qui sont portés vers une conception analytique particulièrement efficace et que troublerait un trop pressant appel au globalisme. Ce sont en général des enfants amoureux du détail, minutieux jusqu’à en être parfois maniaque, qui distingueront avec maîtrise les composantes et seraient tentés parfois de négliger l’ensemble.

Et il y a au contraire les personnalités qui voient davantage les ensembles, qui sont globalistes nés et qu’on aura à ramener prudemment parfois à l’étude attentive des détails qui conditionnent les ensembles.

C’est pourquoi une bonne méthode – et elle ne peut être que naturelle – ne peut être ni exclusivement globale ni exclusivement analytique ; elle doit être vivante, avec un recours balancé et harmonieux à toutes les possibilités que portent l’enfant obstiné à se surpasser, à s’enrichir et à grandir.

La solution des problèmes pédagogiques de l’heure ne saurait être en tout cas dans un retour aveugle à des pratiques d’autoritarisme dont nous n’avons que trop souffert. La vie marche et nous devons marcher avec elle, attentifs à ce qu’elle nouveau de constructif et d’éminent dans le monde que nos enfants auront à dominer et à asservir. »

 « La méthode globale, cette galeuse », L’Éducateur n°19 (Supplément à), juillet 1959.

Le texte entier : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/38130