En tant qu’acteurs et auteurs des temps éducatifs à l’intérieur de l’école, n’avons-nous pas la responsabilité d’ouvrir les yeux sur ce que vit, traverse l’enfant dans sa journée, voire sa semaine ?
Et les calendriers scolaires des années 2023/2024 et 2025/2026, en favorisant nettement l’industrie touristique, méprisent toujours l’enfant !
Lorsqu’on sait que beaucoup d’enfants passent près de 45 heures en dehors de leur famille par semaine, il est essentiel de considérer tous les temps que traverse l’enfant.
Il y a bien sûr les temps éducatifs (dont les 24 h de classe), les temps de repas et de repos qui n’échappent pas non plus aux règles collectives. En fait, peu de temps personnel de jeu, de rêveries, de lectures…
Tous ces temps se suivent sans se regarder et souvent s’opposent dans leur organisation et dans les principes pédagogiques qu’ils mettent en œuvre, par exemple :
Certains privilégient la coopération pendant que d’autres utilisent la compétition et la concurrence.
Certains permettent à l’enfant de donner son avis, alors que d’autres perçoivent l’enfant comme un être obéissant et passif.
Certains prônent l’expression et la création alors que d’autres voient l’enfant comme un objet, un vase à remplir.
Le mieux est parfois à l’école, le pire est parfois à l’école.
Le mieux est parfois hors de l’école, le pire est parfois hors de l’école.
En tout cas, les enfants passent de l’un à l’autre, sans passerelle, sans sas, d’une porte à l’autre, d’un adulte à l’autre, d’un groupe à l’autre. Ils s’adaptent ou pas… et quand ils arrivent à l’école, certains sont fatigués, certains sont atones, d’autres sont agités…
Et c’est donc bien à toute la communauté éducative (familles, enseignants, professionnels de l’éducation, personnel communal, animateurs, élus du territoire…) de coopérer pour faciliter les passages entre tous les temps et espaces éducatifs que fréquentent les enfants.
A l’école ?
L’école a des murs, des grilles, des interphones, des gardiens, à première vue elle est refermée sur elle-même, mais paradoxalement elle accueille de plein fouet l’actualité et les remous de la société. En effet, tous les enfants n’ont pas les mêmes « bagages » en y pénétrant le matin : logement, alimentation, sommeil, santé, temps de garderie, sans oublier des spécificités personnelles qu’elles soient psychologiques ou physiologiques.
Certains ont même des « bagages » très lourds à porter : pauvreté, craintes de se retrouver dans la rue, séparation des parents, de sa fratrie… Difficile alors pour les enfants de se projeter et de trouver de l’intérêt dans le travail scolaire.
Pourtant l’école peut permettre à l’enfant de se sentir bien, si elle prend en compte tout ce qu’il est, si elle lui permet de vivre et d’apprendre en même temps. Faciliter la scolarité de l’enfant, c’est l’accueillir avec tous ses « bagages » et cela commence chaque matin et se poursuit tout au long de la journée.
Voici quelques propositions pour faciliter la journée dans la classe que j’ai pratiquées, il y en a bien d’autres :
– Mettre un « sas » à l’entrée dans la classe, offrir un accueil tranquille suivi d’un moment de parole comme l’entretien ou le « Quoi de neuf ? » pour que chaque enfant ait le temps d’enfiler ses chaussons d’élève. Un temps qui prend en compte le vécu de l’enfant hors l’école, que ce soit dans les activités périscolaires ou familiales.
– Prévoir d’autres « sas » au retour de la pause méridienne, des récréations avec des temps de présentation (textes, livres, poésies, musique…).
– Réserver dans l’emploi du temps, des temps de travail personnel pour permettre un travail continu et serein pour tous les enfants, où chacun chemine selon ses possibilités en sécurité, car l’enseignant accompagne, soutient celui qui en a besoin, laisse celui qui le peut avancer seul et veille à ce que chacun progresse.
– Affirmer le droit à l’erreur, qu’un résultat n’est pas définitif, de donner ainsi le temps de recommencer un travail, une évaluation, etc. C’est donner confiance et estime de soi, des éléments indispensables pour ne pas avoir peur de faire, d’oser et ainsi rester accroché et donc ne pas décrocher.
– Installer l’entraide et la coopération pour progresser et ainsi se projeter dans la suite des apprentissages et faciliter les différents passages de difficulté des connaissances.
-S’autoriser en tant qu’enseignant à ne pas suivre l’emploi du temps pour ne pas briser tout simplement une activité qui captive et qui nous fait oublier de regarder la pendule.
– Inviter dans la classe un parent, un grand-parent, un grand frère ou une grande sœur pour nous exposer un métier, un centre d’intérêt, un pays, etc.
-Inviter un musicien, un artiste de la ville, un bénévole d’une association… bref tout ce qui facilite la reconnaissance des autres acteurs éducatifs et ainsi de faciliter les passages entre les différents espaces d’éducation que peut fréquenter un enfant de la maison aux différents lieux culturels.
– Et avant de quitter la classe le soir faire le bilan de la journée, un moyen de se projeter et de relier aujourd’hui et demain.
Mais les dates des congés scolaires n’aident pas
Les différentes périodes de vacances organisées en trois zones sont des ruptures qui favorisent davantage le tourisme que le repos des enfants !
Et là, les inégalités sont criantes. Entre ceux qui partent à chaque fois, ceux qui ne partent jamais, ceux qui fréquentent les centres de loisirs, ceux qui n’ont que les bas d’immeubles, ceux qui se collent devant la télé ou qui ne quittent pas les jeux vidéo…
Le retour en classe sera alors bien différent, en être conscient permettrait de donner le temps à chacun de retrouver ses « chaussons » d’élève.
Donner du temps est essentiel
Dans ma carrière d’enseignante, j’ai privilégié autant que possible les classes de cycle ou à double niveau.
En effet, elles permettent la continuité dans le changement, continuité d’espace, d’enseignant, de pédagogie… mais avec obligatoirement des nouveautés, car un tiers ou une moitié se renouvelle chaque année et avec de nouvelles participations, projets et organisations. Des rites conservés ou pas d’ailleurs, mais jamais de routines !
Cette continuité décompresse et déstresse, car les cheminements personnels, les processus d’apprentissage peuvent s’étendre sur deux ou trois ans. Ce qui permet à chaque enfant de prendre sans pression temporelle annuelle un maximum de force, de savoirs pour passer dans le cycle suivant. Si une école entière fonctionnait ainsi, l’arrivée au CP ou en sixième serait facilitée et la fierté d’y entrer ne s’éteindrait pas au bout de quelques semaines, voire au bout de quelques jours pour certains.
Pour le temps de l’enfance (jusqu’à 18 ans selon la Convention internationale des droits de l’enfant) faciliter les passages éducatifs, c’est bien l’affaire de tous et toutes dans et hors l’école.