Le 19 novembre 2022

Madame Sophie Coignard, Monsieur Brice Couturier

Je voudrais vous raconter une histoire.

Je suis militant syndical à SUD éducation. Je ne suis même pas sûr que vous sachiez exactement ce qu’est SUD éducation, ses valeurs, ses pratiques, etc. Mais passons. Je suis aussi militant pédagogique à Questions de classe(s), là je suis sûr que vous n’avez même pas idée que ça existe. Dans ce cadre, j’ai eu la joie d’être invité pour coanimer un stage syndical à Saint Brieuc puis à Brest ce jeudi et ce vendredi.

J’ai donc pris le TGV, ce mercredi soir, pour aller à Rennes. Le TGV roulait normalement quand nous avons tou·tes reçu un message sur nos téléphones annonçant un retard de 20 minutes à l’arrivée. A ce moment-là le chef de train a fait une annonce, quelque chose comme : « Vous avez reçu un message, je ne suis pas au courant, mais je vais me renseigner et je vous informe dès que j’ai du nouveau. » Nouvelle annonce un peu plus tard : le conducteur du train devant nous a entendu un bruit inhabituel, il est descendu vérifier les organes de sécurité du train, ce qui a bloqué la ligne. Finalement nous repartons, le chef de train nous explique au micro : le conducteur de notre train va devoir ralentir fortement à l’endroit du bruit pour vérifier s’il n’y a pas d’obstacle sur la voie. Il explique qu’il se renseigne sur les correspondances. Nouvelle annonce quelques minutes plus tard : les correspondances par TGV pour Brest et Quimper seront assurées : les TGV sont coincés derrière nous, en revanche les TER (dont le mien) seront partis. Il s’en excuse.

Nous arrivons à Rennes avec 35 minutes de retard, le chef de train dans son annonce s’excuse longuement et nous explique qu’il pense avoir failli à sa mission de service public, il semble passablement agacé, on devine une forme de tristesse, de lassitude, peut-être d’impuissance, toutes choses qu’on connait bien quand on est agent de l’Éducation Nationale.

À Rennes, je cherche donc un moyen de rejoindre Saint Brieuc. Dans la gare il y a beaucoup de boutiques mais pas tellement de guichets ou d’agents SNCF. Finalement j’en croise un, je lui explique que je dois me rendre à Saint Brieuc, il m’indique le quai où s’arrêtera le prochain TGV. Je m’y rends. Sur le quai j’avise une agente qui est là, je lui montre mon billet, elle me dit très gentiment de monter dans le prochain TGV.

Je remarque alors que trois ou quatre agent·es de la SNCF sont sur le quai, renseignent les gens avec une grande patience et force courtoisie. En même temps, ils comptent le nombre de passagers et semblent rassuré·es : il n’y a pas trop de monde. Visiblement, ils organisent les secours.

Arrive le TGV qui me conduira à Saint Brieuc, je montre mon billet au chef de train, qui me dit de monter et m’installe. Pour pouvoir prévenir les camarades de SUD 22 qui m’attendent, je lui demande vers quelle heure on arrive. Il me dit qu’il me donnera l’information après le départ. En effet, après le départ il prend le temps de me rejoindre à ma place pour m’annoncer l’heure d’arrivée.

Le vendredi, au départ de Brest, je prends un TGV pour Paris. Sur le trajet, un peu avant Rennes je crois, il s’arrête en pleine voie. Le chef de train nous annonce qu’il va s’informer puis nous signale que le train devant nous a percuté un chevreuil. Nous avons 10 ou 15 minutes de retard. Le chef de train, quand nous quittons Rennes, puis Laval, nous annonce le retard au départ, celui-ci diminue. Finalement, nous arrivons à l’heure, le chef de train précise : « Le conducteur a rattrapé le retard ».

À la gare Montparnasse, il y a beaucoup de boutiques mais pas tellement d’agents. Je descends dans le métro pour prendre ma correspondance. Un double TGV plein à craquer vient d’arriver en gare, la queue aux guichets électroniques est immense, aggravée par la longueur de la procédure pour y prendre un billet, je comprends la notion de sous dimensionnement des équipements. Deux ou trois agents RATP sont là, ils ouvrent les portes aux poussettes, renseignent les voyageurs perdus, vendent eux aussi des billets, dans le calme. Il n’est pas loin de 22h, un vendredi soir. Je crains de rater ma correspondance (en vrai ce fut un peu juste, mais bon je suis rentré).

C’est pendant tout ce temps que tombe sur ça :

Et sur ça :

Évidemment, nonobstant l’aspect problématique de la notion elle-même, je me dis : quel mérite ? Celui de tous ces agents de service public qui font leur possible pour pallier des défaillances qui ne sont pas de leur fait ou le vôtre, Madame, qui écrivez dans un bureau chauffé des éditos et des livres sans aucune profondeur conceptuelle ni bibliographique pour ânonner une défense médiocre de votre rêve de société aristocratique ? Celui des agents qui, en nombre réduit, à des heures ou vous bâfrez dans des restaurants chics et des soirées hype pour réseauter, se plient en quatre pour accompagner des voyageurs perdus ou le vôtre, Monsieur, qui twittez ironiquement sur les sous effectifs exponentiels des services publics entre deux chroniques écrites sur un coin de nappe et payées en or massif ?

Vous imaginez ma réponse.

Veuillez recevoir, Madame, Monsieur, l’expression de mon mépris bien pesé.

Mathieu Billière

P.S. : S’ils lisent ce texte et se reconnaissent, je voudrais bien que les agent·es SNCF de la gare de Rennes ce mercredi soir, celleux des TGV Paris-Rennes et Paris-Brest du mercredi soir, celleux du TGV Brest-Paris de vendredi, les agents RATP de la Gare Montparnasse de ce vendredi acceptent mes remerciements pour leur travail, leur aide et leur patience. Et puis qu’ils et elles en donnent un peu à leurs collègues aussi, pour toutes les autres fois. C’est mérité.

Crédit photo : Skililipappa, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons