Par Marion Barlogis

C’est une heure de cours, comme il s’en déroule des milliers. Une heure où on discute des relations hommes-femmes, de la Constitution, du dérèglement climatique. C’est une heure de cours où je m’inquiète pour un jeune qui a un bandage à la main et un autre qui semble ne pas avoir mangé. Une heure où, entre rires, joies, engueulades et colères, on répond à des questions, on échange, on construit.

Une heure qui – parmi des centaines d’autres – va disparaitre.
Macron entretient un flou volontaire sur l’ampleur du désastre, mais globalement on peut comprendre qu’on s’achemine vers notre mort lente. 11 semaines de stage ajoutées, c’est autant de cours qui disparaissent, et autant de temps au sein des murs de l’école. Laissez-moi prendre un petit détour pour vous en expliquer la gravité.

Je suis professeure de lycée professionnel, titulaire d’un poste de lettres-histoire-géographie dans l’académie de Créteil (ah bon, on peut avoir deux matières ? – oui, c’est le lycée pro). Le lycée pro, à part ceux qui y travaillent et ceux qui y apprennent, personne ne le connait. Personne ne sait ce qu’on y apprend, ce qu’on y construit, ce qu’on y répare.

Après quelques années, j’ai à la fois perdu nombre de mes illusions sur l’Ecole Républicaine, tout en comprenant combien nous assurions des missions indispensables. J’ai déchanté sur l’égalité des chances, sur notre promesse d’ascenseur social, mais je sais que nous assurons un dernier bastion, à coup de bénévolat, d’heures non rémunérées, de confusion totale de tous les statuts : nous veillons.

Nous repérons les mal-être, nous discutons, nous signalons parfois. Nous enseignons, multipliant les réflexions didactiques pour contrer les violences d’un système qui n’a pas offert les mêmes chances à tous.
Après les réformes Blanquer (le « lycée pro de l’excellence » – on n’a vraiment jamais honte en Macronie), nous avions déjà perdu environ 1/3 de nos heures d’enseignement général. Aujourd’hui, un élève de terminale a 8 heures pour comprendre le monde de 1945 à nos jours, incluant la guerre froide, la décolonisation, la construction européenne, la chute du Mur de Berlin, la montée du terrorisme et l’émergence de la Chine. Oui, ça fait peu. Demain, enlevez encore la moitié du temps. On comprend mieux le sentiment d’être traité comme des citoyens de seconde zone.

Globalement, un tiers d’une génération étudie dans la voie pro. On est bien loin d’une minorité négligeable. Parmi eux, seulement 8% d’enfants de cadre. Ses élèves, c’est tout ceux qui seront les indispensables d’une société : imagine-t-on un pays sans électricien, sans boulanger, sans restaurateur, sans aide-soignant ? Non, bien sur que non. En revanche, que ceux-ci ne votent pas, n’aient pas les outils de se battre pour leurs droits, certains l’imaginent très bien.

Le Lycée pro, personne ne le connait. Personne de ceux qui décident de notre vie. Le lycée pro, c’est cette institution qui n’a aucun ancien élève au gouvernement ou à l’Assemblée.

Comment savoir alors, que supprimer 11 semaines de cours, c’est rayer d’un trait autant de temps à apprendre à faire société ?
D’autres articles expliqueront la main d’œuvre gratuite offerte au patronat, le recul immense en termes à faire retravailler les gamins de 14 ans, les inégalités territoriales construites au sein même de l’institution scolaire, la violence dirigée toujours vers les mêmes.
J’aurais voulu écrire une lettre ouverte à Emmanuel Macron, à Pap’n’Diaye, mais je n’en doute pas une seconde : vous savez ce que vous détruisez.
J’aurais voulu écrire aux professeurs des voies générales, pour leur demander de nous rejoindre.
Aux parents et aux élèves, pour leur dire qu’on est de votre côté.
Alors j’écris à tous, et surtout à tout ceux qui croient que ce combat ne les concerne pas : le gouvernement s’attaque à ceux qui n’ont pas les moyens institutionnels de se défendre. Ce qu’il s’agit de défendre ici, c’est le droit pour chacun de recevoir un enseignement émancipateur. Aujourd’hui, ce luxe n’est laissé qu’à ceux qui n’en ont pas besoin.
Rejoignez nous, parlez de notre combat.

Ce texte signé Marion Barlogis circule sur les réseaux. Je le poste sans l’accord formel de l’autrice. (FS)