À l’origine, je n’avais pas pensé à écrire ce texte après 30. C’est une discussion avec une collège qui m’en a donné l’idée, l’envie. Et c’est somme toute logique.

Ces deux textes fonctionnent donc en regard, 30 et 23, et je les adresse à celles et ceux qui affirment que les effectifs ne changent rien aux conditions d’études des élèves, que ce n’est pas un facteur influant sur leurs apprentissages, que 20 ou 40, c’est pareil, parce que tout serait une question de pédagogie et d’investissement de la part des profs (ces fainéant·es incompétent·es !), et/ou d’efforts et de volonté de la part des élèves (ces fainéant·es insolent·es !).

Je les adresse aussi à nos dirigeant·es qui, du haut de leur trône et de leur tableau Excel, augmentent le nombre d’élèves par classe, sans se soucier des conséquences, pour mieux réinvestir l’argent ainsi gagné dans l’armée, la police, le SNU(1), préférant mater le peuple, plutôt que l’éduquer et contribuer à son émancipation.

Et je les présente sous forme de question à nos hiérarchies : comment peuvent-elles contribuer sans ciller à la destruction de notre service public d’éducation ?

23 élèves, quel bonheur !

« En 3e, c’est trop bien de travailler à 20-23 élèves cette année ! On a vraiment le temps d’expliquer les choses, de les aider. Ça devrait être comme ça tout le temps, partout ! »

Comme ma collègue d’arts plastiques, cette année, je travaille avec une classe de 23 élèves en 3e.

23 élèves, c’est rare.

Et quand les autres niveaux sont à 28 ou 30 à côté, 23 élèves, on apprécie, on savoure, on prend une respiration dans la journée.

Et on voit, très concrètement, à quel point l’école pourrait être différente si l’institution nous en donnait les moyens. On mesure combien l’atmosphère de travail en serait apaisée, combien les apprentissages en seraient facilités. On voit réellement comme on aurait le temps d’accompagner chacun·e dans son parcours scolaire, dans son parcours de vie.

Exactement l’inverse de ce que j’écris dans 30.

Prendre en compte chacun·e / Voir chacun·e

23 élèves dans une classe, cela permet d’accorder de l’attention à tou·tes pendant le cours : répondre aux questionnements, reformuler une consigne, vérifier les prises de notes, relire un travail pour donner des conseils plus adaptés, montrer comment organiser son classeur, revoir les séances précédentes et ranger les documents avec une élève qui a été absente.

L’espace libre de la salle peut également servir à installer un atelier spécifique avec un petit groupe pour expliciter une méthode de travail, construire un accompagnement plus appuyé en lecture pour cet élève non francophone, tout comme il permet à des élèves qui en ont besoin de s’isoler (pour se concentrer, pour se calmer d’un coup de colère, pour prendre quelques minutes de pause dans leurs journées interminables) ou de travailler en groupe sans déranger les autres.

Pris·es en considération dans leur individualité et leurs besoins, écouté·es et accompagné·es par leur professeure, les élèves respectent les temps que je peux consacrer à d’autres, sans impatience, sans agitation.

Et lorsqu’ils/elles travaillent en autonomie, elles/ils peuvent s’entraider sans que leurs voix ne forment un brouhaha diffus et épuisant.

Parfois, un fou-rire qui déconcentre, une trousse malicieusement cachée, un·e élève bougon·ne ou agité·e. D’autres fois de l’agacement devant un travail trop difficile, la fatigue de la semaine qui assomme (ou la digestion!), ou tout simplement un manque d’envie de travailler en berne ce jour-là : évidemment, les élèves restent des jeunes, avec leurs préoccupations, leur rythme, leurs envies et leurs humeurs. Il ne s’agit en effet pas de dépeindre ici une image d’Épinal selon laquelle des effectifs réduits permettraient automatiquement la mise au travail, les progrès de tou·tes, ou encore la disparition des inégalités ! Car bien d’autres facteurs extérieurs influent sur les parcours des élèves, nous devons en avoir conscience.

Il n’empêche : une classe de 23 élèves est nettement plus apaisée et entre plus facilement dans les apprentissages, individuellement et collectivement, qu’une classe à 30 ! La contradiction du ministre Blanquer ce sujet était flagrante : promouvoir les classes à 12 en Grande Section, CP et CE1, mais seulement en REP ou REP+, alors que la majorité des élèves en difficulté, y compris sociale, ne sont pas scolarisé·es dans ce type d’établissement.

Quant à nous, enseignant·es, nous connaissons plus rapidement les élèves et leurs besoins, nous sommes moins pris·es par cette sensation de ne pas avoir de temps à leur consacrer durant l’heure, nous sommes moins assommé·es de fatigue en sortant de cours.

Si des classes moins chargées ne constituent pas une solution miracle, elles n’en sont pas moins, incontestablement, un pas supplémentaire pour transformer l’école et combattre les inégalités.

Bricoler pour réduire les effectifs ?

Travailler avec 23 élèves par classe : un luxe ? Une chance ? Une exception ?

Faire des classes à plus petits effectifs en 3e a été un choix d’établissement. Le même auquel nous sommes confronté·es depuis 3 ou 4 ans dans mon collège car, après des années de baisse de notre Dotation, nous avons encore cette petite marge de manœuvre là.

La division supplémentaire a été créée « sur fonds propres », comme on dit. C’est-à-dire que ce n’est pas la direction académique qui nous a octroyé ces classes à petits effectifs. C’est nous qui avons décidé de consacrer les « heures de marge » (2) que nous avions à la création d’une autre classe de 3e. Mais cela, au détriment des projets pédagogiques et éducatifs, des demi-groupes dans tous les autres niveaux parfois même de certains enseignements de langue car, évidemment, nous n’avions pas assez d’heures pour tout, nous n’avions pas assez d’heures pour accompagner les élèves comme elles et ils en ont besoin…

Pourquoi avons-nous choisi de réduire les effectifs en 3e ? Je ne m’en rappelle plus. À vrai dire, je crois même que j’ai refusé de participer à ces débats qui cherchaient à savoir sur quel niveau il était préférable d’avoir des classes « allégées ».

Car tous les arguments sont forcément bons, cohérents et légitimes pour justifier de travailler avec 20-23 élèves par classe en 3e.

Mais à l’inverse, tous les arguments sont forcément mauvais injustes et même révoltants, pour justifier que les 6e, les 5e, les 4e restent à 28, 29, 30 élèves par classe. Pour justifier de les « sacrifier », comme cela est répété systématiquement par les personnels ou dans les courriers adressés à la Direction académique, totalement hermétique à nos arguments.

Voilà donc le genre de conflit éthique auquel l’institution, sciemment, nous confronte. Une situation source de stress et de souffrance au travail pour les personnels de l’ensemble de l’établissement, et générant des conditions d’études plus que difficiles pour les jeunes lorsque les classes sont à 30.

La lutte collective, pour des effectifs décents, partout, tout le temps

Face à cette institution qui reste sourde à nos demandes, qui ne tient pas compte des difficultés quotidiennes des jeunes et des équipes, qui fait mine de prendre des notes lors d’audiences concédées du bout des lèvres, qui se cache derrière des décisions politiques qui les dépasse ou derrière un prétendu manque de moyens généralisé, sans jamais s’engager pour en réclamer d’autres; face à cette institution désengagée de l’éducation, donc, ce que certain·es appellent « le dialogue social » ne peut pas être suffisant. Écrire des courriers à la Direction académique, demander des audiences, faire des vœux au Conseil d’administration tout en sachant que cela sera vain constitue une perte de temps et d’énergie décourageante par sa ritualisation, chaque année les mêmes démarches, les mêmes combats.

À l’inverse, baisser les bras, ne plus contester la montée incessante des effectifs et croiser les doigts pour tomber sur les quelques classes qui auront 2 ou 3 élèves en moins ou pour que l’année se passe le moins mal possible, ce n’est pas davantage tenable, ni pour nous ni pour les élèves.

La résistance collective reste la seule voie salvatrice, sur notre lieu de travail comme dans les organisations pédagogiques et syndicales.

Pour visibiliser et médiatiser les conséquences pédagogiques et humaines alarmantes de l’augmentation des effectifs ;

Pour dénoncer systématiquement la politique d’économie des dirigeant·es, qui sape le travail quotidien des personnels ;

Pour mettre en lumière les défaillances de l’État en terme de politique éducative ;

Pour revendiquer sans pudeur des effectifs de 20 élèves par classe, en rendant visible la manière dont cela nous permet de travailler avec les élèves ;

Pour réclamer des moyens à la hauteur des enjeux d’une école égalitaire, inclusive et émancipatrice ;

Pour conserver notre dignité de personnels de l’éducation, qui avons foi dans un service public égalitaire et accessible à tou·tes.

Car, si ce n’est pas nous qui témoignons et instaurons le rapport de force nécessaire à toute lutte victorieuse, si ce n’est pas nous qui résistons, de l’intérieur, à la destruction du service public d’éducation, qui le fera ?

J., militante à Sud éducation 78 et membre de Questions de classe(s)

Texte en écho : 30

(1) SNU : le Service national universel, lancé en 2019 pour embrigader et mettre au pas la jeunesse, a représenté un budget de 61 millions d’euros, pris sur celui de l’Éducation nationale.

(2) Depuis la réforme du collège de 2016, chaque collège dispose de 26h pour les enseignements obligatoires, auxquelles s’ajoutent 3h de marge d’autonomie.