Encore trop peu portée dans le débat public, la question des accidents mortels au travail témoigne d’inégalités sociales et d’une organisation globale du travail peu souvent remise en cause.

 

Le 17 mai, un ouvrier est décédé après avoir chuté d’une machine à fabriquer des parpaings à Ors (Hauts-de-France). Il était âgé d’une vingtaine d’années. Deux jours plus tard, un jeune de 20 ans, salarié de l’entreprise Volvo truck est mort, coincé sous le plateau de chargement du camion qu’il était en train de réparer. Le 20 mai, un ouvrier de 42 ans a perdu la vie dans le Lot-et-Garonne, après avoir chuté dans un puits sur lequel il travaillait.


En 2022, mourir au travail n’est pas rare. Deux travailleurs français meurent tous les jours, soit quatorze par semaine, et plus de 700 par an – 790 en 2019, si l’on se fie aux décomptes de la Sécurité sociale concernant le régime général (733 décès) et agricole (57)1. Des chiffres incomplets, puisqu’ils n’incluent pas la fonction publique ni les indépendants, en particulier les micro-entrepreneurs
Dans son ouvrage Accidents du travail, des morts et des blessés invisibles (éd. Bayard, 2021), la sociologue Véronique Daubas-Letourneux, enseignante-chercheuse à l’Ecole des hautes études en santé publique (Ehesp), questionne les causes structurelles de cette invisibilité. Au-delà des chiffres, elle y interroge l’intensification du travail (stress, fatigue, sous-effectifs, délais courts) et son organisation souvent informelle (sous-traitance), aboutissant parfois à l’irréparable. Face au déni, elle tient à rappeler ce qui devrait tenir de l’évidence : « Les accidents du travail sont dus au travail. »
« Le terme “accident” renvoie à la notion de hasard. Quand on dit d’un événement qu’il est accidentel, c’est qu’il est, par principe, de nature imprévisible, nous détaille-t-elle. En réalité, il y a une vraie régularité du risque à se blesser et de mourir au travail selon les secteurs d’activité. »

Invisibilisation des métiers essentiels

L’enquête Sumer réalisée par la Dares, le service statistique du ministère du Travail, publiée en août 2021, le prouve : le nombre et la fréquence des accidents graves du travail sont les plus élevés dans l’intérim, la construction, le médico-social, l’agriculture, la sylviculture, ou encore la pêche.

Cette stratification sociale explique en partie l’absence de mobilisation sur le sujet selon Véronique Daubas-Letourneux :
« L’invisibilisation de ces décès dans le débat public s’explique par l’invisibilisation au sein de la société de ces métiers pourtant essentiels, qu’il s’agisse d’ouvriers ou des femmes travaillant dans le secteur du soin et de l’aide à la personne, particulièrement touchés par les accidents du travail. Ce sont également des métiers où la syndicalisation est difficile voire, dans certains cas, risquée. »

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