Via le site de Louis Derrac

Cet article est la suite d’une réflexion entamée en novembre 2021 dans un premier texte intitulé Éduquer au numérique d’accord. Mais pas n’importe lequel et pas n’importe comment.

J’y défendais une éducation au numérique traitant le numérique comme un fait social total, éminemment politique, économique et culturel. Et j’encourageais à une éducation plus engagée, plus critique. Vis-à-vis de la numérisation totale, sans réflexion et sans débat démocratique, de notre société d’une part. Et de la domination hégémonique de plateformes toxiques d’autre part.

Je vais continuer de tirer le fil en me concentrant sur l’éducation au numérique dans l’enseignement scolaire. Mon intention est la même que dans mon premier article : je n’ai pas la prétention d’apporter des réponses toutes faites. Mais je propose au moins de poser des questions, et de contribuer à la réflexion.

Cet article s’adressera donc en premier lieu aux acteurs de l’Éducation nationale. Mais les partenaires de la médiation et de l’animation numérique y trouveront certainement des passerelles vers leurs propres spécificités.

Sommaire

Qu’attend-on de l’éducation au numérique à l’École ?

Qu’attend-on de l’éducation au numérique à l’École ? À cette question, j’ai envie de répondre par une autre question : qu’attend-on de l’École ? En tant qu’observateur de l’Éducation nationale depuis de longues années, j’ai le sentiment que l’École est tiraillée entre deux missions. La première, c’est de former des citoyens éclairés, libres et indépendants1. La seconde, c’est de former et orienter des travailleurs en devenir vers leurs futurs débouchés académiques et/ou professionnels. La tension entre ces deux missions est palpable. Elle est politique, philosophique. On la retrouve dans la composition des programmes, dans la place laissée à l’esprit critique des élèves, à l’éducation civique, à l’éducation aux médias, et plus généralement au temps démocratique des établissements scolaires.

Qu’attend-on alors de l’éducation au numérique à l’école ? Des compétences, des savoirs, une culture, une réflexion critique ? Je pense que cela dépend de la finalité qu’on se donne : des citoyens ou des travailleurs ? Si l’on se concentre sur les travailleurs en devenir, l’éducation au numérique pourra se contenter d’une appropriation des compétences numériques estimées indispensables2. Les jeunes apprendront donc à utiliser un ordinateur, une tablette. Ils sauront utiliser une suite bureautique, peut-être faire de la création d’images. Mais ce n’est pas avec ces compétences numériques qu’ils deviendront des citoyens informés et formés à l’histoire des technologies numériques, à sa culture, à ses nombreux enjeux économiques, sociaux, politiques. Ce n’est pas avec ces compétences numériques qu’ils pourront décider collectivement de leur futur et de la place qu’y prendront les technologies numériques.

De la compétence d’usage à la compétence de pratique

On parle très souvent d’usages du numérique dans le monde de l’Éducation nationale. On parle beaucoup moins de pratiques, et souvent, c’est comme synonyme des usages. Pourtant, je pense qu’il faut s’attarder sur leur signification respective. Certains sociologues, comme Josiane Jouët, distinguent bien usage et pratique, « considérant que l’usage est plus restrictif et renvoie à la simple utilisation tandis que la pratique recouvre non seulement l’emploi des techniques mais également les comportements, les attitudes et les représentations des individus qui se rapportent à l’outil. Par ailleurs, l’usage renverrait à la conduite d’un individu face à un objet, alors que la pratique impliquerait une dimension sociale3».

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