La nomination de Pap Ndiaye à la tête de l’Éducation nationale a surpris, et même déboussolé, tant le personnage semble l’exact opposé d’un Jean-Michel Blanquer à qui il faut attribuer un double exploit : celui d’avoir battu un record de longévité à la tête du ministère et de faire l’objet d’un rejet massif de la profession. Mais à y réfléchir, il y a bien une certaine cohérence stratégique de la part du pouvoir. J-M Blanquer a fait le travail nécessaire de déstabilisation, il faut maintenant présenter autrement les choses pour continuer à appliquer les mêmes politiques de transformation néolibérale de l’éducation publique. Après le traitement de choc, Macron fait dans la séduction en jouant l’apaisement. Pourtant si la forme change, le fond reste. Au risque de la catastrophe.

L’art de la simulation et de la dissimulation

Certes, Pap Ndiaye n’est pas le premier à être nommé ministre de l’éducation sans rien connaître du système éducatif. Mais on peut s’interroger sur ses marges de manœuvre. Sa conseillère spéciale, Anne Rubinstein, est une très proche de Macron. Quant à Jean-Marc Huart, son chef de cabinet, spécialiste de l’enseignement professionnel et très bon connaisseur de la machine scolaire, c’est un fidèle parmi les fidèles de Blanquer. Son nom est d’ailleurs souvent revenu dans l’affaire du syndicat Avenir lycéen.

Si nous ne savons rien des intentions de Pap Ndiaye, on connaît celles de Macron. Il a en effet réaffirmé qu’il irait au bout de la logique qui a conduit à la crise où nous sommes : une dégradation telle de l’enseignement public que l’État n’arrive plus à recruter par la voie habituelle du professorat, l’obligeant à organiser des «jobs dating». Si la crise de vocation liée à la dégradation des conditions de travail venait à s’intensifier, c’est bien tout le service public d’éducation qui serait en péril. Mais ne faut-il pas y voir aussi, au-delà du simple accident, une manière d’expérimentation visant à contractualiser plus largement la profession ?

Contrairement à ce que dit Macron, il n’est pas question de sortir de la catastrophe qui s’annonce, mais plutôt de s’en tenir à des politiques de gestion de crise, et donc d’accompagner la détérioration de l’éducation publique. Macron a d’ailleurs répété à Marseille ce qu’il avait dit il y a quelques mois de cela. Pour lui, le salut passe par le renforcement du pouvoir des chefs˖fes d’établissement dans la carrière des personnels voire dans leur recrutement, ainsi que par la mise en concurrence généralisée. Car, c’est bien connu, les politiques de rationalisation sont la seule solution partout et depuis toujours. Il faut aussi revenir sur un tour de passe-passe qui est un faux grossier mais que l’on nous sert invariablement : l’autonomie des établissements, c’est plus de liberté pour les enseignant˖es. Nous savons bien pourtant que l’autonomie des établissements, c’est au contraire plus de contraintes sur nous. Pire encore. Une plus grande autonomie des établissements dans un contexte de remise en cause du cadre national n’assurerait plus une même éducation sur tout le territoire. C’est que fixer des objectifs communs en laissant toute latitude en terme de pédagogies et de moyens pour les atteindre est une chose, s’en tenir à un discours sur l’autonomie en guise de plus grande efficacité, pour être soit disant au plus près du terrain, en est une autre. On prend en effet dans ce dernier cas le risque de créer une éducation à plusieurs vitesses avec, à la fin, l’établissement d’une véritable ségrégation scolaire.

Une question de responsabilité : se sauver de là tant qu’il est temps !

De l’aveu même des personnels soignants, nous ne savons pas si l’hôpital public tiendra le coup cet été. Cela ne doit rien au hasard : il s’agit des effets directs de politiques visant à liquider l’idée même de service public.

Mais une autre inquiétude monte maintenant. Pendant combien de temps l’éducation publique tiendra-t-elle le coup ? Et est-on prêt à en payer le prix ?

Des voix syndicales s’élèvent pour réclamer une mise à plat des réformes qui menacent directement le service public d’éducation. Il faut le faire bien sûr, mais il est nécessaire d’aller plus loin. Nous avons besoin de rassembler nos forces pour définir ensemble les conditions pour une éducation démocratique et émancipatrice et pour nous donner les moyens d’y parvenir.