L’orientation soulève les interrogations du projet collectif : quelles perspectives pour construire une société nouvelle, juste et durable ?

L’école est de nos jours une institution des plus prospères à laquelle la société moderne attache énormément de valeurs. L’abondance des projets, des réformes et même des critiques témoignent de cette importance. Elle est chargée d’amener l’enfant à devenir un adulte capable de participer aux activités de la cité. Mais sa mission de lutte contre les inégalités sociales rencontre des limites : malgré l’accès aux connaissances et aux compétences du socle commun qui a gommé un certain déterminisme, l’ascenseur social est en panne. En effet, sur le territoire occitan (enquête INSEE) un salarié sur cinq occupe un emploi déclassé par rapport à son niveau de diplôme.
Aujourd’hui du point de vue de de l’emploi, le diplôme reste une référence mais non une garantie d’embauche. Devenus des propriétés communes à un grand nombre de jeunes, les diplômes ne suffisent plus à différencier et hiérarchiser les individus qui les détiennent. Pour conserver leur valeur immuable, leurs détenteurs sont appelés à montrer qu’ils possèdent effectivement les capacités à mobiliser leurs connaissances dans des situations données.
En France, le diplôme est de longue date toujours controversé mais aussi toujours revendiqué par les salariés comme par les pratiques des employeurs. Il se trouve engagé dans une nouvelle forme d’usage. Au lieu d’être placé à la fin d’un parcours de formation, il doit attester cette fois des connaissances construites au travail.
Les jeunes et les parents sont les acteurs du système de formation. Et c’est parce qu’ils sont citoyens qu’ils se forment et qu’ils travaillent. Mais l’insertion dans une société ne se fait pas sans conflit ni stress.

En 2015 Une étude menée en France montrait que le stress des jeunes tendait à augmenter régulièrement, 17,1 % d’élèves se déclarant très stressés en sixième et jusqu’à 49,6 % en Terminale.


L’École reproduirait elle la pression sociale ?

Si la concurrence sur le marché du travail est rude, la hiérarchie des métiers est extrêmement présente. Beaucoup de métiers sont dévalorisés, notamment dans l’agriculture, le bâtiment, les travaux publics, l’énergie, l’aide à la personne et le nettoyage.
En cette période de post-COVID, quoi du plus important que les activités de ces deux derniers domaines, l’aide à la personne et le nettoyage. Les personnels soignants ont été et sont encore éprouvés. La stérilisation, le l’hygiène et la propreté deviennent des secteurs d’une importance capitale pendant cette épidémie. Bien qu’essentielles ces professions sont pourtant dévalorisés socialement, mal payées, avec des conditions de travail difficiles et par conséquent peu plébiscitées par les jeunes et leur famille. Il ne suffira pas d’en faire la promotion pour que certains s’y forment, et il ne suffira pas non plus de traverser la rue pour trouver du travail, et ni même d’y rester ! Mais les statuts de ces métiers seront-ils revalorisés pour autant ?

Une société juste se mesure aussi à sa façon de répartir les tâches pénibles et de traiter avec égard celles et ceux qui les effectuent.


On sait que le travail est une valeur centrale de notre société. C’est l’un des genres majeurs de la vie sociale dans son ensemble, un genre de situation dont une société peut difficilement s’abstraire sans compromettre sa pérennité et dont le sujet peut difficilement se couper sans perdre le sentiment d’utilité sociale qui lui est attaché, sentiment vital de contribuer à cette pérennité à titre personnel. Le travail requiert la capacité de faire œuvre utile, de prendre et de tenir des engagements, de prévoir avec d’autres et pour d’autres quelque chose qui n’a pas directement de lien avec soi.


À la lumière de ce rappel de valeurs et du rappel de l’urgence climatique entre autres, pour conserver notre monde et le transmettre, nous devons réorganiser le travail. L’enjeu est de taille. La démarche pragmatique adéquationniste formation et emploi n’a pas fait ses preuves et est devenue surannée. Il faudrait donner aux jeunes les moyens de relever les défis de notre société contemporaine.

Comment mettre en place une approche culturelle dans laquelle la place du travail et la place des métiers sont indissociables des choix de société ?

En 2022, année électorale, quel rôle les futurs candidats envisagent-ils pour l’École, le travail et la jeunesse ?


Les jeunes préfèrent l’action au long discours. Et si à l’École les jeunes imaginaient le monde de demain, le monde dans lequel ils souhaiteraient vivre et évoluer, alors les aider pour comprendre les enjeux et les accompagner à se positionner deviendrait une priorité. Comment les impliquer dans une réflexion sur la réorganisation du travail, de nos territoires, nos villes et nos campagnes ? Comment les engager dans une réflexion sur la cité pour que chaque jeune puisse y trouver sa place et contribuer à la vie de la communauté ? Et si au-delà d’un projet d’orientation scolaire et professionnel, l’orientation devenait une expérience du développement de leur pouvoir d’agir, une réflexion sur leur projet de vie dans une société à améliorer et à construire ?


Bertrand et Delphine Riccio, psychologues de l’Éducation.