Enseignant d’histoire et syndicaliste, l’auteur a été également engagé dans la gauche radicale (à la LCR – dont on a reparlé à l’occasion de la mort d’Alain Krivine), et son récit, structuré, est celui d’une inquiétude réfléchie : la résurgence de l’antisémitisme en France depuis le début du siècle.

En historien, Robert Hirsch revient sur le passé peu glorieux de l’antisémitisme à gauche : les textes douteux d’un Marx ou carrément meurtriers d’un Proudhon, les hésitations au moment de l’affaire Dreyfus, le silence quasi-général (y compris des juifs communistes, nombreux à l’époque) devant l’antisémitisme stalinien. Cette récapitulation est utile, rassemblant des éléments que l’on peut avoir lus, mais aussi oubliés, et qui étaient généralement dispersées.

Il aborde aussi l’antisémitisme récent, avec une extrême-droite toujours antisémite malgré des efforts tactiques et (pas chez tous) des précautions de langage, et aussi avec l’antisémitisme présent dans les milieux populaires, de l’immigration arabe certes mais pas seulement (ainsi les côtés pénibles qui ont marqué l’épisode des Gilets jaunes).

Particulièrement utile m’a semblé la mise au point historique sur le sionisme : « mouvement de libération nationale », pour risquer un anachronisme, longtemps très minoritaire, souvent marqué à gauche, son objectif concret – fonder un Etat en Palestine – devient la planche de salut des juifs rescapés de la Seconde guerre mondiale (on sait que les juifs retournés en Pologne en 1945 ont connu des pogroms) puis des juifs orientaux, soviétiques et éthiopiens. Mais quand ce projet national devient un Etat, en rivalité avec la population arabe palestinienne (une terre pour deux peuples selon la formule célèbre) et en lien avec le jeu des puissances, il connaît tous les caractéristiques des Etats-nations : mépris des minorités à l’intérieur, impératifs géopolitiques à l’extérieur ; du coup, le sionisme prend un autre sens. Enfin, quand il devient le vocable passe-partout actuel, il se transforme souvent en cache-sexe de l’antisémitisme, et pas seulement chez Soral et Dieudonné.

Robert Hirsch analyse la tentation de l’antisémitisme de la gauche radicale (en incluant Mélenchon) du fait du conflit israélo-palestinien, originellement par volonté de proximité avec le monde arabo-musulman : ce conflit est survalorisé (on parle beaucoup moins des musulmans indiens, chinois, birmans, pourtant infiniment plus nombreux que les Palestiniens, pas tous musulmans d’ailleurs, ou d’autres conflits de la région, bien plus meurtriers)), simplifié (le jeu propre des Etats arabes et des politiciens palestiniens est ignoré).

L’ouvrage est très argumenté, il a aussi l’honnêteté d’être situé : l’auteur dit clairement son parcours politique, décrit deux situations où il est victime directement d’antisémitisme (la seconde fois de la part d’un enseignant, et ses collègues hésitent à le soutenir). Il ne sombre jamais dans la rancoeur et conclut sur l’optimisme raisonné d’un militant qui n’est pas prêt à renier son combat pour la justice et l’égalité. En toute conscience.