La Bd n’est éditorialement plus d’actualité, mais elle est exemplaire de la vague plus ou moins prophétique de récits post apocalyptiques qui fleurissent dans les rayons des librairies. Cette mode, pas si nouvelle si on se réfère au succès du thème des morts vivants ou celui plus “survivaliste” de l’après catastrophe nucléaire, est le symptôme d’un changement de sensibilité du lectorat vis à vis l’imaginaire futuriste. Celui-ci n’est plus la promesse de merveilles à venir ou de nouveaux défis héroïques à surmonter, mais se confond avec notre présent angoissant où la promesse d’un déclin de la civilisation humaine est plus certaine que la conquête de l’espace interstellaire.

Cette BD ambitieuse qui déploie sur 208 pages un monde dystopique cohérent, s’inscrit dans le courant spéculatif de la Science fiction : la description des problèmes politiques et sociaux y a une part plus grande que le récit sensationnaliste de la survie de ses personnages et des dangers qu’ils courent.
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Vincent Pierrot décrit au travers du récit la quête de vengeance de Stygo, un éleveur de tricératops dont le troupeau a été décimé par un faiseur d’orage, un monde clivé et dévasté par des guerres et une catastrophe écologique dont on ne dit pas la cause. La terre ferme de la planète – qu’on suppose être la terre du futur – est devenue un semi désert sauvage où survivent des tributs migrantes qui vivent de l’élevage de chevaux, de chèvres et de différents dinosaures qui ont réapparus (vraisemblablement à l’issue de manipulations génétiques guerrières et régressives). Ces hommes ressemblent beaucoup aux cavaliers d’Asie centrale décrit par Joseph Kessel. Au bord d’un fleuve et au centre d’un réseau concentré de captation d’eau s’étend et s’élève, dans une vallée suspendue dans le ciel, une mégapole où vient s’entasser toute l’humanité qui cherche à fuir des conditions météorologiques devenues difficiles. Cette mégapole tentaculaire ressemble à un Tombouctou futuriste où la population est autorisée à accéder aux ressources énergétiques et alimentaires à condition de se mettre au service ou devenir esclave du réseau central qui contrôle électroniquement les ressources et leur répartition. Le héros y retrouve un groupe de dissidents et d’opposants qui cherchent à détruire la ville et son réseau central qu’ils considèrent comme responsable du phénomène de désertification.
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La BD assume ses influences : Cosey et Moebius pour le graphisme et la représentation de grands espaces ouverts et vertigineux, Ursula Le Guin pour la description sociologique d’un monde urbain, inégalitaire et ultra connecté, et, une pincée de Jack Vance pour le caractère initiatique de la quête du héros principal. Si je m’en tiens à une lecture linéaire, cette BD ne m’épargne pas une petite déception prévisible à la résolution du conflit. L’attaque finale du réseau central et de la révélation de son cœur n’échappe pas au cliché du genre. “Tout ça pour ça !” semble crier les insurgés au moment de l’explosion finale de la tour du réseau et de son contenu numérique.
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Mais si j’énumère les nombreuses questions restées sans réponse à la fin du récit, je me dis qu’il serait prudent de ne pas réduire le propos de l’auteur à la morale simpliste et naïve que nous servent les habituels récits du genre ou les happy-end héroïques des block-busters. Sa fin ouverte n’est pas qu’une élégance de style. elle rappelle prudemment que les problèmes sociaux ne peuvent se résoudre simplement. Certes la fable dénonce l’illusion technologique et semble promettre un avenir post urbain à l’humanité. Mais la destruction de la tour reste problématique : la perte de la mémoire des générations successives de la citée est-elle une libération ou une catastrophe ?

L’auteur fait de Stygo un homme nouveau, doté de la faculté peu commune de communiquer avec certains dinosaures sociaux. Est-il le premier d’une humanité à venir ou le dernier des hommes ? La question laisse entrevoir un autre récit, sous-jacent, dont l’alliance du héros avec une nuée de ptérodactyles pour combattre le réseau central en est l’acmé. Cette alliance ambiguë donne à la fin du récit une profondeur plus menaçante. Deus ex machina volant et combattant, ce ptérodactyle incarne, à l’instar du dragon dans l’Héroic-fantasy, une figure de l’altérité totale. Il peut s’allier aux êtres humains par intérêt mais devenir également son prédateur ou son compétiteur. Suspendu à ses battements d’aile, l’histoire semble s’achever sur une dernière interrogation: l’alliance avec le ptérodactyle est-elle la promesse d’une réconciliation avec la nature ou une menace de destruction ?

Vincent Perriot, Negalyod, Casterman, 2018, 208 p., 25 €.