En 8 moments et une lettre fictive, ce petit roman fait le pari de remettre en lumière une George Sand encore recouverte par l’image de la « Bonne Dame de Nohant ». Les indignations de cette écrivaine sont racontées à la fois au moment de leur naissance et dans leur déploiement, aussi bien biographiques que littéraires : sa mère chassée parce que roturière, son mari dominateur, ses escapades déguisées en homme, ses libertés amoureuses, la révolution de 48 sont autant de moments qui permettent de découvrir peu à peu une figure surprenante tant elle annonce des préoccupations contemporaines : féminisme, conscience du genre, conscience de classe. Il aurait sans doute suffi à George Sand, celle qui est née d’un héritier de l’aristocratie et de la fille d’un oiselier parisien, d’exister pour démontrer par le fait l’absurdité des représentations de l’ordre du monde à son époque comme à la nôtre. Mais elle s’est activée, a écrit, s’est battue, notamment en 1848, a vécu les espoirs, les déconvenues sans jamais rester spectatrice.

Ce petit livre vaut d’être lu rien que pour cette forme de réhabilitation d’une conscience majeure de son temps, admirée et écoutée notamment par Balzac ou Hugo, l’une des seules aussi qui pourra se permettre de gronder l’indifférence de Flaubert. Il emprunte à la forme désormais classique de l’apologue : le court récit est suivi d’un petit développement sur ce que sont les préjugés et leurs sœurs jumelles, les discriminations. L’apologue est une des formes privilégiées du combat contre le cynisme, destiné à un public d’adolescent.e.s, on peut imaginer qu’il rêve de déclencher des indignations nourricières de révoltes. En fait, il est sans doute une des formes possibles, en littérature, de la démarche critique.

Un regret pourtant, l’arrêt après 1848. S’il ne fait pas de doute que George Sand renonce à ce moment-là à l’épopée politique, cela ne signifie en aucun cas qu’elle arrête de réfléchir, et la construction d’un projet utopique autour de Nohant, appuyé sur un patient travail, quasi ethnographique, d’observation, de notation et parfois de participation à l’usage rural du monde lui donne les pistes d’une réflexion moins spectaculaire et moins connue, mais tout aussi riche, autour d’une organisation sociale non étatique, inspirée par certaines formes de communautés rurales, de sources ancestrales bien sûr, mais bien vivantes et en perpétuel renouvellement, qui ne sont pas si éloignées que ça des grands traits de ce qu’on appelle parfois le municipalisme. Il reste donc un travail à faire autour de cette proposition, au moment où les travaux de David Graeber, de James C. Scott et d’autres remettent en cause de façon assez convaincante le récit téléologique d’une histoire de l’humanité en ligne droite vers l’état urbain.

Ysabelle Lacamp, George Sand, non aux préjugés, Actes Sud Junior (coll. Ceux qui ont dit non), 2019, 96 p., 9 €.
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