Samedi 5 février, 10h, je suis dans mon train, impatiente de rejoindre le salon Freinet parisienne qui après deux ans de pandémie, peut enfin se tenir à la Bourse du Travail de Paris. Pour avoir participé à quelques salons à la « maison des métallos » il y a quelques années, qui attirait une foule dense, la première chose qui me surprend c’est le petit nombre de participants, un peu moins d’une centaine sur la journée selon les organisateurs. Après ces deux années compliquées, il est difficile de mobiliser, les copains du GFEN parisien présents au salon font le même constat. C’est bien pour ça qu’il est important de partager ce qui se dit, se fait, dans ce type d’événement pour susciter l’envie de rejoindre ces mouvements qui travaillent à une école publique émancipatrice.

D’ailleurs, les premiers collègues croisés en arrivant au salon, un peu perdus, m’ont avoué être venus pour s’informer car leurs pratiques de classe ne leur conviennent plus. Novices en pédagogie Freinet, profs de français et philo en collège et lycée, je les ai orientés vers l’atelier « texte libre », une technique centrale de la PF souvent méconnue de ceux qui découvrent et assimilent la PF au plan de travail ou à la coopération entre élèves. La pratique du texte libre déroute, tant elle est éloignée de notre culture scolaire basée sur une programmation prédéterminée. Je n’ai pas eu l’occasion de recroiser ces collègues ensuite, je me demande bien ce qu’ils ont pensé de l’atelier. Les organisateurs ont été étonnés du nombre de collègues du second degré en recherche « d’autre chose » présents au salon, personnellement étant prof en lycée, j’y vois le signe d’une perte du sens de notre métier qui soit décourage, soit pousse à expérimenter de nouvelles voies.

10h45 : C’est l’heure de rejoindre l’atelier d’Arthur sur le conseil et l’auto-organisation des élèves. Une vingtaine de collègues sont présents, du premier et du second degré, il y a également une formatrice pour adultes dans le domaine de l’hôtellerie et un doctorant en sociologie qui travaille sur la démocratie à l’école. C’est parti, Arthur nous explique le fonctionnement du conseil dans sa classe de CM2. Je suis toujours sensible aux détails matériels qui sont souvent essentiels en pédagogie Freinet et j’apprécie l’idée d’Arthur d’utiliser un grand panneau plastifié en quatre parties « j’ai un problème », « je désire », « je propose », « je félicite », sur lequel les enfants peuvent écrire directement au marqueur. Les élèves en charge de l’organisation du conseil décrochent ensuite le tableau pour réfléchir à l’ordre du jour car comme nous le dit Arthur, un conseil ça se prépare ! Il faut aussi penser le temps d’après conseil, pour que les élèves aient la possibilité de mettre en place les décisions prises, sans quoi le conseil perd toute utilité et toute crédibilité. Un collègue du second degré fait remarquer que ce temps est difficile à trouver tant l’emploi du temps est fragmenté au collège et au lycée. Nous réfléchissons aussi aux différents rôles dans le conseil, Arthur n’a pas de « président de séance » mais un « responsable de l’ordre du jour », clin d’œil au courant autogestionnaire de la pédagogie Freinet né avec Jean Le Gal et Pierre Yvin dans les années soixante (à distinguer du courant autogestionnaire externe à l’ICEM de la même époque). Il fait aussi le lien entre cette pratique du conseil, le syndicalisme révolutionnaire et les pédagogies libertaires. Tout cet héritage semble en effet aujourd’hui méconnu ! D’ailleurs Arthur cite Fernand Oury mais il semblerait d’après ce que m’a dit justement Jean Le Gal qu’Oury était le premier adversaire du courant autogestionnaire, on dirait bien qu’il y a toute une histoire à réécrire en se replongeant comme le fait Arthur dans les archives de l’ICEM, dans lesquelles il trouve souvent des pépites.

Puis c’est le tour des questions, les collègues s’interrogent sur la place des problèmes personnels et des conflits interpersonnels au conseil. J’interviens en évoquant les réflexions de l’ICEM 34 et notamment de Sylvain Connac[1] qui suggère de bannir toute critique du conseil pour que celui-ci ne devienne pas un tribunal. La deuxième question qui nous occupe ensuite est celle du déséquilibre entre les grands et petits parleurs. Nicolas, chercheur en sociologie, nous éclaire en expliquant qu’en effet ses recherches montrent que ces inégalités dans la prise de parole renvoient à des inégalités de classe et de genre, par exemple les filles s’expriment moins lors des conseils mais font davantage de propositions[2]. Comment faire alors pour ne pas accentuer ces inégalités dans notre pratique du conseil ? On parle de « part du maître », de « droit de véto », en effet si le conseil tend à l’auto-organisation des élèves, le maître reste garant du cadre et de la sécurité et peut s’opposer à des dérives. Des propositions sont faites parmi les participants : donner la priorité aux petits parleurs, imposer l’alternance filles / garçons dans la prise de parole, limiter à cinq interventions sur un sujet avant que le « responsable de l’ordre du jour » fasse un bilan. On convient aussi du fait qu’il faut du temps pour que le conseil se mette en place, que certaines choses se font au début par mimétisme et qu’il faut faire confiance aux enfants pour que l’expression se libère au fil de l’année. Malgré tout Arthur reconnait que ces questions d’inégalité de classe et de genre restent un impensé au sein de l’ICEM.

13h45 : Je me décide pour l’atelier pédagogie Freinet en français langue seconde et alphabétisation. Que de monde, on est même obligé d’utiliser l’affichette « complet » prévue en cas de dépassement de la jauge ! En réalité il s’agit pour la plupart de membres d’associations parisiennes qui connaissent les vidéos qu’Alice, membre du secteur, publie sur Youtube[3]. Le constat est le même qu’avec les collègues du second degré croisés le matin, le découragement et les frustrations de certains bénévoles les amènent au salon, pleins d’espoir de nouvelles pistes à explorer. Ils sont fatigués de ne pas pouvoir suffisamment aider les personnes qui viennent apprendre le français dans leurs associations, des manuels et méthodes utilisés, des salles exigües, tout cela me fait penser à ce que nous vivons dans les établissements scolaires. Alice nous parle de la nécessité de repenser les espaces, d’utiliser les murs comme dans la pratique de la classe mutuelle revisitée par Vincent Faillet, puis Françoise nous dresse le planning de deux heures de cours en français / alphabétisation. On commence par un « quoi de neuf », puis on lit les textes libres du cours précédent et on fait un petit jeu de mémorisation. Ensuite les apprenants grâce à un « mini dico » qui comporte de nombreuses amorces de phrases, écrivent un nouveau texte libre sur une ardoise, ce qui permet d’effacer et de corriger sans cesse les erreurs. Françoise explique qu’ils utilisent deux couleurs de feutre ce qui lui permet avec un feutre de couleur différente de corriger ou d’écrire tout ce que l’apprenant ne sait pas dire, sans considérer cela comme une erreur ou un manque, c’est un texte qui s’écrit à deux mains, en toute simplicité. Ce texte est à relire et à connaître pour le cours suivant. On finit cette séance par un rapide bilan : « qu’est-ce qu’on a appris aujourd’hui ? ». Ce déroulé est tout à fait inspirant pour la prof de langue que je suis. C’est ensuite Katrien qui prend la parole pour présenter son enseignement du néerlandais auprès d’enfants belges francophones. Elle utilise beaucoup la dictée à l’adulte, les enfants dessinent, lui racontent en français l’histoire de leur dessin et elle traduit en néerlandais ce qu’ils disent en direct sur l’ordinateur -dont l’écran est projeté- en sollicitant les élèves quand ils connaissent déjà un mot. Elle compile ces textes et ces dessins dans le journal de la classe qu’elle distribue tous les deux mois aux élèves. Elle envoie aussi les textes aux correspondants néerlandophones qui les lisent afin que les enfants de sa classe puissent les écouter et les apprendre.

Après les ateliers est venu le temps du débat mais je ne suis arrivée qu’à la fin car les salons sont aussi l’occasion de revoir les copains, copines et j’ai pris le temps de discuter avec Delphine du secteur second degré francilien, que je n’avais pas vue depuis trop longtemps. On a prolongé ensuite les réflexions autour d’un verre et j’ai échangé avec Katrien la prof de néerlandais sur les pratiques Freinet en langue vivante, une question qui me préoccupe depuis de nombreuses années et sur laquelle je n’ai pas l’impression d’avancer tant je me sens écartelée entre les injonctions institutionnelles et les propositions des mouvements pédagogiques comme l’ICEM ou le GFEN, mince je crois que c’était pile le thème du débat, j’ai sûrement raté quelque chose…

 

Voir aussi le discours introductif au salon par notre amie Catherine Chabrun

[1] Voir https://www.icem34.fr/index.php/ressources/colloque-pratiques-cooperatives/le-conseil-avril-2014/222-pour-que-le-conseil-ne-soit-pas-un-tribunal

[2] On peut suivre son carnet de thèse en ligne : https://jeudenfants.hypotheses.org/

[3] Voir le blog d’Alice Lenesley : https://bonjourjesuis.fr/2019/05/01/la-pedagogie-freinet-en-fle-et-en-alphabetisation/ On peut consulter aussi ses vidéos : https://youtu.be/QPh9ZFHS4y4