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L’éducateur socialiste Paulo Freire est né il y a cent ans, le 19 septembre 1921, dans la ville brésilienne de Recife. Camarade de longue date de Freire, Peter McLaren, éminent pédagogue marxiste, explique comment la vie et l’œuvre de l’auteur d’une Pédagogie des opprimés restent profondément pertinentes aujourd’hui. 

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Nous célébrons le centenaire de la naissance du philosophe brésilien Paulo Freire. Connu surtout pour sa magistrale Pédagogie des opprimés, Paulo Freire continue d’être un modèle pour les enseignant·es qui travaillent dans les communautés pauvres du monde entier et pour ceux et celles qui luttent pour la justice dans un monde injuste.

Tout éducateur et tout éducatrice à l’esprit critique a, à un moment ou à un autre, utilisé Freire dans sa pratique, soit pour comprendre le monde des opprimé·es, soit pour s’en inspirer et considérer l’enseignement comme un moyen de renverser les rapports de pouvoir et les privilèges sociaux. Les programmes d’alphabétisation de Freire sont aujourd’hui utilisés dans des pays du monde entier et Pédagogie des opprimés est actuellement le troisième ouvrage le plus cité dans le domaine des sciences sociales et le premier dans celui de l’éducation.

La célébrité de Freire a fait de lui à la fois une cible et un prophète dans son pays d’origine, le Brésil. Il est actuellement dénoncé par des groupes d’extrême droite comme Movimento Brasil Livre et Revoltados Online et le président Jair Bolsonaro affirme que Paulo Freire est à l’origine d’une conspiration marxiste visant l’endoctrinement des enfants dans le système scolaire brésilien.

Les tentatives de Bolsonaro d’effacer la mémoire de Freire rappellent les attaques des Républicain·es étatsunien·nes contre les théoriciens critiques de la race et les enseignant·es marxistes. Bolsonaro et le mouvement de droite Escola sem Partidoencouragent les élèves à filmer les enseignant·es pendant les cours, surtout s’ils les soupçonnent de défendre des idées de gauche ou, pire encore, de développer des opinions politiques ou sociales d’inspiration freirienne. Un député fédéral du parti de Bolsonaro a même présenté un projet de loi visant à retirer à Freire son titre de « patron de l’éducation brésilienne ».

Les conservateurs états-uniens ont également pris le train en marche pour dénigrer Freire. Le récent numéro de The Economist, intitulé « The threat from the illiberal left« , (« La menace de la gauche illibérale ») comprend un article consacré à la « woke culture » qui décrit de manière fallacieuse la pédagogie de Freire comme étant écrite dans l’esprit de la révolution culturelle de Mao. Peu importe que l’article puise ses preuves dans une seule note de bas de page de Pédagogie des opprimés ou, plus important encore, que le travail de Freire soit fondé sur la solidarité avec les masses et s’oppose au type de violence qui a fait partie de la Révolution culturelle.

Pourquoi Bolsonaro et The Economist s’en prennent-ils à Freire ? Qu’y a-t-il dans ses idées qui les effraient autant ?

La vie d’un éducateur révolutionnaire

Paulo Freire a grandi dans le nord-est du Brésil, dans l’État de Recife, pendant la Grande Dépression mondiale des années 1930. Il a appris à lire en fabriquant des lettres à partir des branches du manguier à l’ombre duquel il s’asseyait dans sa jeunesse. L’expérience de la faim et de la pauvreté vécue par Freire à un jeune âge a fini par lui faire prendre quatre classes de retard sur ses camarades de classe et la mort de son père en 1933 n’a fait qu’empirer les choses.

Malgré cela, Freire a pu terminer sa scolarité, obtenir un diplôme universitaire, un doctorat de l’université de Recife en 1959 et être admis au barreau (bien qu’il n’ait jamais exercé le droit par la suite). Il a commencé sa vie professionnelle à l’âge de vingt-six ans, en travaillant comme professeur de portugais au Collège Oswaldo Cruz de Recife.

En 1946, il est nommé directeur du Département de l’Éducation et de la Culture des Services Sociaux, une institution patronale créée pour fournir aux travailleur·ses et à leurs familles de l’État de Pernambouc des services de santé, de logement, d’éducation et de loisirs. En 1961, il devient directeur du Département de Développement Culturel de l’Université de Recife et participe à un projet éducatif historique visant à lutter contre l’analphabétisme de masse en 1962.

Le projet d’alphabétisation de Freire à Recife en 1962 lui vaut une reconnaissance internationale, notamment pour son utilisation des traditions populaires et l’importance qu’il accorde à la construction collective du savoir. C’est là que Freire a commencé à créer ce qu’il appelait des « cercles culturels », un terme qu’il préférait à celui de « classes d’alphabétisation », puisque « alphabétisation » et « analphabétisme » supposaient que la lecture et l’écriture faisaient déjà partie intégrante du monde social des travailleurs.

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