Aujourd’hui, en classe de première STI2D, une classe composée uniquement de garçons, nous terminons l’étude d’un extrait de l’œuvre d’Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Voici l’extrait :

Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique.

Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel.

L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.

Il s’agit d’une sorte de préface à la déclaration, dans son intégralité, qui suit tout juste la dédicace à la reine.

Nous avons déjà regardé ensemble les deux premiers paragraphes lors d’une séance précédente, nous avons découvert pas mal de choses, le procédé constant d’énumération comme une percussion du texte, le rapport à la nature, au sens rousseauiste, le début aussi de condamnation radicale de l’arrogance masculine et son isolement relativement à son environnement etc.

Nous avons beaucoup travaillé (c’est le premier texte étudié pour l’oral) sur la nécessité d’observer l’écriture, la stratégie rhétorique, de ne pas seulement tomber d’accord (ou pas d’ailleurs) pour bien comprendre ce texte.

Là, après l’étude du dernier paragraphe, nous changeons d’échelle et revenons au texte dans son ensemble, je leur demande en gros ce que Olympe de Gouges appelle l’égalité ? Ils repèrent comment l’ensemble est structuré par une opposition à des valeurs supposées viriles : de force, de domination, d’oppression, de tyrannie et de despotisme, bref de domination et d’autres valeurs : la sagesse, la coopération et l’harmonie, les facultés intellectuelles et in fine l’égalité.

Ils n’arrivent pas à nommer ce corpus de valeurs, il me vient une idée : je leur demande ce que sont pour eux les qualités qu’on attribue habituellement aux femmes ?

La première réponse est paradoxalement presque inespérée, elle fuse : « les seins » ! Impossible de ne pas réagir, quelque chose comme : « Non mais je te parle des qualités, pas des caractéristiques physiques, surtout pas de celles qui sont considérées comme un marqueur sexuel, fût-il secondaire, là tu donnes complètement raison à Olympe dans son blâme de l’homme. ». Du coup les autres ont essayé de ne pas dire de bêtise et m’ont répondu ce que j’attendais : la douceur, la maternité, la tendresse.

Deuxième temps : est-ce ces valeurs qu’Olympe de Gouges revendique ? Évidemment non.

“- Donc quel type de qualités exige-t-elle pour les femmes afin qu’elles accèdent à l’égalité, opposées par exemple à l’empire tyrannique, au despotisme ?

– …

– L’œuvre s’appelle Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.

– …

– Bon sang ! (je m’énerve parfois) : citoyenne, droits, justice en face de force, tyrannie, despotisme ?

Et là timidement, l’un d’entre eux :

– C’est politique ?

– Ben ouais (je peux être familier aussi quand je suis enthousiaste), c’est politique ! Comment les femmes peuvent-elles obtenir l’égalité selon Olympe de Gouges ?

– En faisant de la politique ?

– Voilà, en devenant des sujets politiques à part entière ! Pas en étant gentille et douce et attentionnées, ni en réclamant que les hommes le soient, c’est pas la question, elles veulent être reconnues comme sujets po – li – ti – ques ! Participer aux décisions qui concernent la vie collective !

J’ai même expliqué après qu’elles voulaient aussi être actives militairement, que les révolutionnaires réclamaient des armes (merci Mathilde Larrère).

Au-delà de l’anecdote, ce qui m’a étonné c’est la difficulté qu’ils ont eu à sortir le mot politique, tellement sali qu’il parait presque impossible à prononcer dans le cadre d’un cours. De l’urgence de faire de la pédagogie critique dans nos classes, de souligner dès que possible la dimension politique de nos objets d’étude. Politique au beau sens bien sûr : enjeux de la vie collective, commune. Je suis convaincu que si des gens ont ce pouvoir dans les années qui viennent, ce sont bien nous autres, les profs, par la pratique, le contenu et l’organisation de la vie en classe.

 

 

La rubrique « L’imprévu » se propose de relater une fois par semaine des récits de classe de la part de pédagogues engagé.es (vous !) : « moments champagne »[1] où la coopération fait pétiller le quotidien, ou au contraire, scène de crise illustrant la violence du métier et de l’institution ; récits d’événement pédagogique où l’inattendu entre dans la classe ou compte-rendus minutieux d’une séance bien ficelée, partagez avec nous ces moments de classe qui font rire, réfléchir, pleurer et s’engager ! Ces moments toujours imprévus[2] et imprévisibles où le vivant entre par la fenêtre, l’endormi se réveille, les passions s’échauffent.

Il importe de faire parler l’école, de faire entendre son quotidien et ses engagements. Raconter ces instants qui nous brûlent les lèvres à 16h30, mais qui trouvent peu souvent d’écrit pour les garder en mémoire. C’est l’objectif que ce donne cette rubrique.

Vous pouvez retrouver les imprévus précédents ici !

[1] Comme le fait si bien Daniel Gostain sur son blog, La Classe plaisir : http://laclasseplaisir.eklablog.com

[2] Comme c’est le nom de cette nouvelle rubrique, voilà une petite introduction à l’imprévu : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/6092