Le recours à l’autorité en matière d’éducation est toujours un échec de l’éducation, de même que le recours à la force dans la démocratie est toujours un échec de la démocratie. Ceci écrit en 2007 (Restez assis les enfants ! Chroniques pour une pédagogie libertaire – Ed. Lulu.com). Peut-être s’en souvient-on, le président fraîchement élu prétendit que les élèves, désormais, se lèveraient à l’entrée en classe du professeur (il ne réussit même pas à les mettre en rangs), raison pour laquelle je concluais : « Quand les enfants se dressent en classe c’est la raison qui en rabat, l’école qui en frémit et la démocratie qui en vacille ».

Trois lunes plus tard la nouvelle autorité qui se donne pour suprême en est toujours là. Elle rêve encore d’élèves se dressant, d’enfants en uniforme s’époumonant à un chant guerrier face à un drapeau sanglant. Elle rêve de faire de l’école une institution productrice de « ressources humaines » (voit-on bien le scandale de ces mots : l’humain chosifié en ressource ?) formées, formatées, aliénées aux impératifs de l’Entreprise.

Pour cela quoi de mieux que faire de l’école une préfiguration de l’Entreprise ? Une institution gérée (disent les entrepreneurs) comme une entreprise, c’est-à-dire essentiellement ayant à sa tête un chef tout puissant qui, désormais, si ce funeste projet voyait le jour, serait doté du privilège de choisir « ses » enseignants, comme le chef d’entreprise choisit ses salariés, en fonction de leur adhésion au « projet ».

Mais de quel projet s’agit-il ? Concocté de quelle manière ? Certainement pas par les enseignants puisqu’ils seraient sommés d’y adhérer avec enthousiasme. Par le chef alors, mais en quoi le chef d’établissement est-il  légitime et compétent pour un tel labeur ? N’est-ce pas, au contraire, la fonction des enseignants de bâtir un projet qu’ils auront à mettre en œuvre ?

Il est vrai que le projet de l’école-entreprise, produire des « ressources humaines », donc, ne nécessite nulle compétence pédagogique, que sa légitimité lui est octroyée par l’autorité suprême au service de l’Entreprise et que sa mise en œuvre ne nécessite qu’une seule attitude , l’inculcation (étymologiquement : tasser avec les pieds) et une seule méthode l’autorité comme mode de vie privilégié dans l’établissement.

C’est ainsi que par un discours de circonstance (électorale) aussi creux que prétentieux se trouve effacée, balayée comme les feuilles mortes de cet automne, toute l’histoire d’une éducation et de pédagogies qui se donnaient pour projet non pas la production de « ressources humaines » mais l’émancipation des êtres humains, c’est-à-dire la volonté d’agir pédagogiquement pour que chaque enfant, quelle que soit son origine sociale, et autant que faire se peut, soit en mesure le moment venu de choisir ce qu’il souhaite faire de sa vie.

Car il aura découvert par l’école et dans l’école, dans le mode de vie libertaire de l’école (c’est cela la pédagogie : le mode de vie dans l’école) « ce qu’il lui plaît de faire », ce « talent particulier » enfoui en chaque être humain, en chaque personne sachant, comme disait Kant le ponctuel dans l’une des expressions de son impératif catégorique, que considérer l’être humain comme une personne c’est ne jamais le voir comme un moyen (une ressource humaine) mais toujours comme une fin en soi car en cela réside la dignité de chacun(e).

Privilège, celui-ci, d’être en mesure de choisir sa vie qui demeure l’apanage de celles et ceux qui peuplent « l’école des riches ». Car, en effet, les deux écoles de Jules Ferry (école du peuple, école de la bourgeoisie, disait-on à l’époque) sont toujours là : école des riches, école des pauvres, disais-je voici déjà vingt ans pour fuir toute euphémisation bonne à masquer la réalité (l’École des riches, l’École des pauvres : La découverte et Syros).

Car, voici vingt ans, par la circulaire du premier juillet 1981 fut initiée la création des ZEP (zones d’éducation prioritaire) qui souleva chez certains enseignants l’espoir de pouvoir enfin pratiquer là, dans ces « zones », au profit des enfants culturellement et économiquement les plus pauvres une pédagogie émancipatrice. Car il ne s’agissait pas seulement de « donner plus à ceux qui ont moins » selon le principe de « discrimination positive » (sur ce point on peut voir, entre autres l’ouvrage de Patrick Saramon Panser ou repenser les ZEP ?  – l’Harmattan) mais de donner autre chose et d’une autre manière.

Pour nombre de ces enseignants qui se portèrent volontaires pour enseigner en ZEP, plutôt que de donner il s’agissait de partager, partager leurs connaissances et leur savoir, partager ce qu’ils étaient avec leurs élèves par l a pratique d’une pédagogie, d’un mode de vie dans l’école, donc, fondé sur l’activité collective des enseignants et l’activité « apprenante » des enfants, bref un mode de vie quelque peu libertaire.

Las, très vite les obstacles institutionnels et humains surgirent qui dénaturèrent tout projet quelque peu émancipateur. Parmi ces obstacles domina, bien sûr, celui de la ghettoïsation de sorte que je pouvais écrire : « L’hétérogénéité sociale dans les établissements scolaires doit constituer le premier objectif de toute politique de lutte effective contre l’inégalité. Cette hétérogénéité implique évidemment la résorption des ghettos sociaux dans les cités et les quartiers. Elle implique une mixité sociale dont on peut douter que la timide « loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain » (SRU) parvienne à la réaliser tant que les communes riches auront la possibilité d’acheter leur luxueux isolement à l’abri du regard des pauvres. » (L’École des riches, l’École des pauvres, p.168).

Nous en sommes toujours là. Et ce n’est pas le « désenclavement » prôné aujourd’hui par l’autorité suprême en son circonstanciel discours qui viendra à bout de « l’effet ghetto ». Chacun le sait : tant que subsisteront ces ghettos de pauvres, l’effet ghetto ne fera que s’amplifier comme il le fait depuis vingt ans quelle que soit la couleur dont on repeint les cages d’escalier et les hautes façades.

Il n’y a évidemment rien à attendre des improvisations sur le thème de l’éducation d’un candidat à un nouveau mandat dont le quinquennat qui s’achève a largement mis en évidence son appétence pour le spectaculaire qui n’a d’autre objet que de perpétuer la spectacularisation de tragiques balivernes telles que « l’économie de l’offre »et la méritocratie des « premiers de cordée », que de perpétuer un monde inique et, donc, nécessairement producteur de violence.

Voici vingt ans, donc, je pouvais conclure ainsi (p.172) : L’espoir ne peut être, comme toujours que dans l’engagement. Il n’est d’autre alternative pour chaque enseignant, comme pour tout citoyen, que de cautionner ou de s’engager. De cautionner la pérennité des deux écoles et la marchandisation de l’éducation ou de s’engager dans la pédagogie, engagement qui n’est rien d’autre que politique, puisque l’éducation est un problème radicalement politique.

Je maintiens.

Nestor Romero

Autre lien pour le billet sur Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/nestor-romero/blog/040921/marseille-un-discours-de-chefs