Est-ce qu’on peut s’attendre à ce que nos élèves parlent de la Palestine en classe ? Oui.
Est-ce qu’il s’agit d’une “question socialement vive” qui peut mettre en difficulté les collègues ? Encore oui.
Est-ce que pour autant “Aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique” (dixit charte de la laïcité) ? Encore oui !

Je retranscris ici le contenu d’un fil écrit rapidement ce matin sur Twitter. Il s’agit uniquement de partager quelques réflexions et conseils pouvoir recevoir sereinement les interrogations de nos élèves quant à l’actualité.

Parce que je pense que c’est le rôle de l’école de donner des outils aux enfants pour comprendre le monde qui les entoure, que laisser entrer l’actualité dans la classe peut être de formidables occasions de faire entrer nos élèves dans la complexité du réel, il me semble intéressant de saisir les perches que nos élèves pourraient nous lancer concernant cette actualité plus que brûlante.

Certains camarades m’ont fait remarquer que le sujet était trop compliqué pour des enfants. C’est vrai que le sujet est compliqué, cependant :

– en Histoire, on aborde des événements historiques d’une grande complexité. Je ne vois pas pourquoi le « conflit israëlo-palestinien » aurait un statut si différent, mise à part son statut de « question socialement vive ».

– les élèves sont souvent déjà confrontés à des informations sur le sujet et en discutent, informations qu’ils/elles peinent souvent à décrypter s’ils/elles ne sont pas accompagné.es.

– c’est l’occasion de faire vivre à la fois la fameuse laïcité (dont je citais quelques lignes avant un extrait de la charte), la liberté d’expression et l’esprit critique. Laisser entendre aux élèves que certains sujets ne pourraient pas être des objets d’étude à l’école ne me semble pas être une très bonne chose.

Toutefois, cette question est vive, brûlante et certains collègues peuvent être mal à l’aise ou déstabilisés. Alors si les élèves en parlent et qu’on pense que leurs réflexions méritent d’être accompagné, voici quelques conseils :

1) Le rôle de l’enseignant.e

Pour être à l’aise avec une question en tant qu’enseignant.e, pour pouvoir laisser la parole aux enfants, il importe d’être clair sur notre rôle.

Nous avons un devoir de neutralité : celui-ci a du sens, il s’agit de protéger l’esprit critique et le libre-arbitre des élèves. Cependant, neutralité ne signifie pas que l’on doit transmettre “à part égal” la propagande des camps adverses. La neutralité ne signifie pas non plus que l’on s’interdit de traiter une question dès lors qu’elle fait débat dans la société.

Notre rôle est de transmettre un savoir de la plus grande qualité possible et d’être garant.e de la rigueur des arguments échangés.

Cela signifie qu’on tire notre légitimité et qu’on fonde le cadre de la classe, dans ce cas-là, sur notre savoir. S’il est important que les élèves exposent les connaissances du sujet, cela l’est aussi de ne pas laisser un enfant de 10 ans se considérer comme un petit spécialiste de la cause palestinienne ou du terrorisme islamiste.

Il faut donc avoir un peu révisé des éléments de contexte à l’avance. Si vous sentez que vous ne maîtrisez pas suffisamment le sujet, il est toujours possible d’arrêter la discussion d’un « j’ai l’impression qu’on a tous et toutes besoin de se renseigner » et de prévoir une discussion le lendemain.

On peut par exemple réviser un peu de chronologie :

– fin du XIXème siècle, développement du projet sioniste en Europe (dans un contexte de pogroms, mais aussi de nationalisme et de colonialisme)

– immigration juive en Palestine pendant tout le début du XXe

– 1947, création de l’État de Palestine

– 1967, guerre des six jours

– depuis, les différentes intifadas et « opérations » militaires israéliennes

On peut aussi préparer quelques cartes qui permettront d’abord de situer la Palestine et Israël au sein du Moyen-Orient, puis d’observer les évolutions territoriales de l’état d’Israël et la colonisation.e

2) La rigueur des mots

Il est important d’être rigoureux avec les mots utilisés, car les mots ne sont pas neutres et recouvre des réalités assez floues pour les enfants.

On peut définir des mots-clés avec les élèves et opérer des distinctions : Juifs/Juives ; Israélien.nes ; Palestinien.nes ; Arabes ; Musulman.nes.

On peut faire remarquer aux élèves que parlaient de Juifs au lieu d’Israéliens est une manière de donner une signification religieuse au conflit ce qui est historiquement est loin d’être le cas.

On peut aussi leur pointer que les Juifs/ves de France, si certain.es ont des liens notamment familiaux avec Israël, n’ont pas de responsabilité dans la politique de l’État d’Israël.

Il est possible aussi de faire sentir aux élèves la différence entre parler d’Arabes et de Palestinien.nes : en parlant d’Arabes comme le fait souvent la propagande pro-israélienne, on tend à oublier que les Palestien.nes constituent un peuple.

3) Des savoirs critiques

Si notre rôle, c’est de transmettre un savoir de qualité, ce savoir se doit aussi d’être critique, c’est-à-dire qui va aussi poser la question des inégalités, des rapports de pouvoir, etc. Beaucoup de productions sur le “conflit israélo-palestinien” oblitère la colonisation. Comme cette vidéo de Un jour Une question, par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=ZKWlVI0ri3g

Aborder la colonisation, cela s’anticipe.

Cela dépend aussi de ce que connaissent les élèves sur les processus coloniaux de manière générale.

Personnellement, si je dois aborder la question de la colonisation : je dirai qu’il s’agit de l’appropriation de territoire soit par la violence, soit par le droit, dans le but de les contrôler à des fins de peuplement ou/et d’exploitation des ressources.

Il me semble aussi intéressant d’évoquer l’ambiguïté initiale du projet sioniste et son caractère colonial : il s’ancre dans le contexte de l’antisémitisme européen et des progroms, mais il emprunte aussi ses discours au colonialisme ambiant.

On peut évoquer l’idée sioniste de “faire fleurir le désert” qui considère la Palestine comme une terre inculte et qui n’appartiendrait à personne, est une idée qu’on retrouve à quelques choses près dans la propagande coloniale concernant l’Algérie par exemple.

Si on veut se rassurer, on peut parler des résolutions de l’ONU qu’Israël ne respecte pas quant à la colonisation : https://www.monde-diplomatique.fr/2009/02/A/16775

4) Rendre compte des polémiques

Il importe de faire sentir aux élèves qu’ils s’inscrivent dans un débat qui leur pré-existe. On peut expliciter ainsi certaines positions.

Par exemple : “Souvent, ceux qui soutiennent les Palestiniens, insiste sur la colonisation. Au contraire, ceux qui soutiennent Israël, parle peu de la colonisation et vont insister sur le fait qu’Israël est attaqué par des terroristes islamistes.”

Cela peut être aussi une manière de répondre à des élèves qui auraient des avis très tranchés : «Philippe, toi, tu penses qu’il faut soutenir Israël parce que c’est la seule démocratie de cette région du monde, c’est ce que pense aussi beaucoup de personnes qui soutiennent l’État d’Israël. Et il est vrai qu’Israël est une république avec des élections. Mais certaines personnes pensent aussi comme toi, Gabrielle, qu’un pays qui accepte de coloniser un autre pays n’est pas vraiment une démocratie. Les deux positions existent dans le débat public aujourd’hui ».

Certain.es enseignant.es craignent l’émotion et les chahuts que peuvent susciter ce genre de sujet. Il est important d’être détendu.e, de faire sentir aux enfants que dans le cadre de la classe, la question va devenir un objet de réflexion et de savoir de l’école.

image : manifestation (interdite) de solidarité avec le peuple palestinien du 15 mai 2021, place de la République, Paris