Ce 14 mai, sort dans toutes les librairies la 14e livraison de la revue Z, revue itinérante d’enquête et de critique sociale. Fidèle à son habitude de faire escale dans une ville différente à chaque numéro, Z s’est installée à Grenoble et nous propose un dossier “Et l’école elle est à qui ?”

Plus de 200 pages pour explorer les enjeux éducatifs, pédagogiques et sociaux, en temps de pandémie…

La revue vous propose, en exclusivité, un des articles de ce dossier :

 

 

Cette autre femme derrière la porte

Quand l’instit cache l’Atsem

Alors que tout le monde est au courant que des enseignant.es s’occupent des enfants à l’école maternelle, qui connaît les employées municipales qui s’activent à leurs côtés ? Enquête sur une profession féminine invisible, malmenée par un monde de l’éducation plus hiérarchisé qu’il n’y paraît.

Texte : Naïké Desquesnes

C’est lors de ma première rentrée scolaire en tant que mère que j’ai découvert le métier d’Atsem. Ou plutôt que je ne l’ai d’abord pas vu. En déposant ma fille à l’école, je croisais « maîtresse » Laurie et « maître » Paul. Mais qui se cachait donc derrière « Sandrine », ce prénom que j’entendais parfois de la bouche de mon enfant, lors de bribes de conversation arrachées au dîner ? À la réunion de rentrée, « Sandrine » nous a finalement été présentée : non pas en personne, mais par l’équipe enseignante. Je m’en suis voulu, de ne pas m’être souvenue de l’Atsem, ce mot que j’entendais régulièrement à la maison quand j’étais enfant, puisque ma mère, instit, avait toute sa carrière partagé sa classe avec l’une d’entre elles. Atsem, pour agent·e territorial·e spécialisé·e des écoles maternelles. Spécialisé·e dans quoi ? Un nombre prodigieux de choses indispensables allant de l’entretien du matériel de classe à la toilette des petit·es, en passant par l’accompagnement des repas et d’ateliers créatifs. Ainsi, c’est bien simple, si les Atsem n’existaient pas, l’école maternelle non plus. Pourtant, mi-janvier, plus de quatre mois après la rentrée, je n’ai encore jamais parlé avec cette autre adulte présente toute la journée auprès de mon enfant.

« On est des pieuvres »

Dès le matin, aux côtés des enseignant·es, elles s’activent d’une pièce à une autre. « Quatre jours sur cinq, selon notre planning. Le boulot commence à 7h45, avec le périscolaire », expliquent Frédérique et Floriane, Atsem à l’école Simone-Lagrange dans le quartier du Polygone scientifique à Grenoble. « On fait ensuite l’accueil dans les classes. Il faut que la séparation avec les parents se passe bien, que les enfants soient contents d’être là », précise Frédérique. Et puis tout s’enchaîne : passage aux toilettes, atelier d’arts plastiques, temps de récréation qui donne l’occasion de lister les inscrit·es pour la cantine, deuxième atelier, deuxième passage aux toilettes, départ pour la cantine. Et vient le moment du dortoir. « Ça ne veut pas dire que c’est direct la sieste ! dit-elle en riant. Il faut surtout canaliser les enfants. Je mets une petite musique, d’autres chantent des chansons. Ça peut paraître ringard, mais ça marche ! Ensuite, il y a le lever, et c’est sportif… Enfin, à 16 heures, c’est la sortie des classes. Il nous reste trente minutes de rangement et de préparation, ou bien on enchaîne avec un atelier périscolaire, selon notre emploi du temps. »

Tout comme Frédérique, j’imagine que Sandrine console ma fille quand un·e autre la pousse dans le couloir, lorsqu’elle se met du pipi plein les mains en tirant le collant trempé après un « accident », lui tient sa paire de ciseaux à l’atelier collage, lui dit de rester assise, éponge le sol, apporte la feuille dans le casier, lui coupe sa viande et lui dit de bien mâcher. Dès le xixe siècle, dans les salles d’asile1 puis dans les premières écoles maternelles qui les remplaçaient petit à petit (jusqu’à acquérir officiellement ce nom et ce statut en 1881), des femmes de service étaient affectées au ménage et à l’hygiène des enfants. C’est très doucement que leurs tâches se sont diversifiées au fil du XXe, avec l’arrivée de matériel et de mobilier pédagogiques ainsi que de nouvelles méthodes, puis la baisse sensible des effectifs dans chaque classe, « passant en moyenne de 50 après la guerre à 26 dans les années 2000 2 » (moins d’élèves à qui lacer les chaussures signifie plus de temps pour faire autre chose). En 1992 apparaissent des missions d’éducation dans le décret qui crée le statut d’Atsem, faisant de la fonction un véritable métier, avec concours et diplôme à la clé. Dans certaines villes, comme Grenoble, les Atsem assurent aussi le temps de restauration et, depuis la réforme des rythmes scolaires de 2013, s’acquittent d’heures d’animation en périscolaire – moins nombreuses que prévues grâce à de belles mobilisations.

« Je suis une pieuvre, je demande plus de bras ! » s’exclame Manue, engagée au sein du collectif Atsem de France3. Cette femme élégante, aux beaux yeux maquillés que fait ressortir son masque, porte un pull rouge flamboyant en mohair où l’on imagine les enfants enfouir leurs têtes. Dix ans qu’elle exerce ce métier, aujourd’hui à l’école grenobloise Florence-Arthaud. « On leur apprend l’autonomie », s’enthousiasme-t-elle. « Les bases de la vie », renchérit Frédérique. En connaissance de cause, les Atsem rencontrées sont d’ailleurs critiques de l’instruction devenue obligatoire à 3 ans : pourquoi brusquer des enfants qui ne sont pas propres, pas prêt·es à passer toute la journée avec 25 camarades ? Ces mômes forcé·es de débarquer en maternelle, ce sont elles qui les récupèrent en pleurs.


Des bisous et un virus

« Je suis très affectueuse. J’ai des enfants collés à moi en permanence. Même avec le Covid, je m’en fiche ! J’ai continué à manger avec les enfants, ça n’était pas possible autrement », affirme Manue, d’après qui le protocole imposé en mai 2020 était trop inhumain pour être respecté. Car les Atsem n’ont pas seulement dû s’acquitter de nouvelles tâches (voir p. 40), il a fallu également respecter la sacro-sainte « distanciation sociale », une aberration pour une profession où le contact des corps est essentiel et souvent inévitable. « À 3 ans, on a trop besoin d’être consolé quand ça va pas, d’être touché… On n’avait pas le droit de prendre un enfant dans nos bras, confirme Frédérique. C’était très compliqué. Le premier jour du déconfinement, une petite a couru vers moi, j’ai reculé et j’ai dit : “Je ne peux plus te faire de câlins à cause du virus.” J’ai vu dans son regard que ça l’avait… ça laissera des traces. » D’autant que, même petit·es, les enfants vivent la période comme une source d’anxiété, avec des conversations d’adultes totalement stressé·es et des médias qui les exposent au champ lexical de la mort et de la maladie. « À la radio, on entend que les enfants ne sont pas contaminants. Mais alors pourquoi un protocole pareil ? Nous, les adultes, on porte des masques, donc on ne les contamine pas. Quitte à laisser les écoles ouvertes, il faudrait faire classe un peu plus normalement. C’est de la relation humaine, l’école ! » Un véritable casse-tête pour les professionnelles, d’autant que les informations changent au gré des évolutions du virus : le 1er février 2021, après l’apparition du « variant anglais », le ministère de l’Éducation nationale fait disparaître de son site la phrase « les enfants jeunes sont peu à risque de forme grave et peu actifs dans la chaîne de transmission
du SARS-CoV-2 » et oblige de facto les classes de maternelle à fermer temporairement dès l’apparition d’un cas de Covid parmi leurs élèves, considérant automatiquement les autres enfants de la classe comme des cas contact.


Culture scolaire

L’accompagnement des gestes quotidiens est loin d’être coupé des autres apprentissages et de tout ce que veut dire « être à l’école ». « Au moment de manger, on parle de ce qu’il y a dans l’assiette, on goûte de nouvelles saveurs, on fait de la motricité fine, on apprend à rester sur la chaise », décrit Frédérique. Une enquête ethnographique de Fabienne Montmasson-Michel4 révèle que les Atsem participent aussi à la discipline corporelle, en mettant « continuellement en ordre les corps et les objets dans [la] logique spatiale et temporelle » de ce qu’elle appelle la « raison graphique », contribuant ainsi à la fabrication d’une culture de l’écriture. Dès les premiers mois de la maternelle, on court déjà derrière la « priorité aux savoirs fondamentaux », l’apprentissage bien assis sur une chaise des initiales du prénom et autres lignes horizontales  – c’est que les évaluations de français et de maths arrivent vite (voir p. 54). « Les Atsem guident les gestes et les concepts graphiques, activité qu’elles revendiquent », note la sociologue. « Je préfère évidemment cette activité aux heures de ménage que je suis aussi obligée de faire ! » confirme Manue.

Appréciées pour ce qu’elles amènent en matière d’épanouissement et de considération, les missions d’éducation se superposent souvent aux autres. Une Atsem va ainsi nettoyer la colle qui vient de couler tout en animant un atelier, reprendre des enfants sur leur position à table tout en épluchant et découpant les fruits. « Le risque est que cette organisation multiplie les objectifs à atteindre, les attentes et les directives de part et d’autre, […] multiplie et diversifie les compétences requises et finalement complique le travail, ne serait-ce qu’en introduisant la nécessité de gérer temporellement des tâches interférentes. Le cumul des missions […] pourrait devenir en lui-même une source d’augmentation de la charge de travail, de complication et de pénibilité 5 », indique une recherche-action sur les conditions de travail des Atsem menée en 2008-2009 dans une mairie d’Île-de-France.

Qu’est-ce qui explique alors le décalage entre, d’un côté, l’importance de leurs missions fondamentales auprès des jeunes enfants ainsi que la pénibilité de ce métier et, de l’autre, la non-reconnaissance de celui-ci, effectué à plus de 99 % par des femmes ? Un mépris qui pourrait bien trouver sa source dans une hiérarchie du travail pensée selon un mode masculin et élitiste, où les métiers du care 6, ceux de la petite enfance, du nettoyage et du soin, ne sont jamais admirés, quand l’ingénierie est systématiquement applaudie. « De tous les besoins humains, la nécessité absolue d’élever les enfants vers la motricité, la relation affective et le langage est sans doute celle qui a le moins fait l’objet de tentatives de sublimation, disions-nous déjà il y a quelques années. Autant que toutes les nécessités de la vie, elle a besoin des ressources symboliques et matérielles qui permettent qu’on y œuvre, qu’on y crée, qu’on y excelle, qu’on s’y amuse et qu’on la pense. Comment comprendre l’anomalie qui consiste à considérer les voyages interstellaires ou la fabrication de robots comme des “aventures passionnantes” et l’éducation des petits comme une “tâche ingrate”, à encenser celles-là et à ignorer celle-ci, sinon par les aspirations d’élites masculines, elles-mêmes trop captivées par leurs propres jeux d’enfants7 ? »


« Je sais ce que je te dois »

En janvier dernier, en pleine grève d’Atsem, la journaliste féministe Fabienne Lacoude écrit à la « tata » de sa fille, comme on les appelle à Marseille, pour lui apporter son soutien. Extrait : « Chère tata, c’est grâce à toi que nous, parents de jeunes enfants, pouvons nous rendre au travail chaque jour […]. On oublie trop souvent que c’est l’assignation des femmes peu ou pas diplômées au soin des enfants qui permet aux autres femmes de s’épanouir dans des métiers plus qualifiés. “Dans un monde interdépendant, sans le soin des un·es, ç’en est fini de la performance des autres”, rappelle Fabienne Brugère dans L’Éthique du “care”. Si j’ai eu envie de t’écrire, c’est pour te dire que je te soutiens, même si je suis parfois fâchée contre toi, comme quand tu as dit à ma fille qu’elle ne devait pas inviter de garçons dans sa chambre – “Ça ne se fait pas” – ou que les femmes n’avaient pas le droit de fumer – “C’est pas beau”. Je sais ce que je te dois. Notamment de pouvoir écrire cette newsletter paisiblement installée dans mon canapé pendant que ma fille… se lave les mains, j’imagine. Tu t’appelles Christelle, Béné, Nelly, Yaël, Marie. Tu n’as pas de nom de famille. Sur la photo de classe, au-dessus de ton masque, tes yeux ne sourient pas. Tu poses dans la blouse rose (évidemment) qui te différencie des enseignant·es. »

« Mère alors ! Newsletter irrégulière pour mères vénères #5 : “Chère tata” », Fabienne Lacoude, Milf, 7 janvier 2021 (milf-media.fr).


Histoire d’une rencontre ratée

« La femme de service […] n’est pas éducatrice parce qu’elle n’a pas d’éducation première 8. » En gros, elle n’a rien dans le cerveau : voici ce que postulait la célèbre inspectrice générale des écoles maternelles de la IIIe République, Pauline Kergomard, qui a donné son nom à nombre d’écoles, dont celle de ma mère (le patronyme d’une Atsem trônera-t-il un jour sur le frontispice d’un bâtiment scolaire ?). Longtemps cantonnées dans une relation de service domestique, les « dames pipi » attendaient alors dans la tisanerie qu’on les sonne. « L’enseignant appuyait sur un bouton qui correspondait à notre classe. On allait voir ce qui se passait », se souvient Floriane, qui exerce depuis 1979. Cette distance sociale s’est réduite au fil du temps, mais l’écart entre les diplômes atteste qu’il reste du chemin : alors que les Atsem sont embauchées au niveau CAP et sont fonctionnaires territoriales de catégorie C, les enseignant·es sont en majorité titulaires d’un bac + 5 et fonctionnaires d’État de catégorie A. Les premières touchent 1 541 euros brut par mois en début de carrière, soit environ 500 de moins que les second·es, et 2 183 euros brut lorsqu’elles atteignent le dernier échelon. « Tout le monde n’y arrive pas, il faudrait avoir commencé très jeune », rappelle Frédérique. Quant à Floriane, doyenne de l’école, qui est arrivée au plus haut échelon il y a plusieurs années, aucune avancée de carrière ne lui est proposée. La possibilité pour les Atsem de passer en catégorie C+ ou B par le biais de promotions ou de concours internes n’a été ouverte qu’en 2018.

Et « si leur travail prescrit reconnaît désormais leur fonction éducative, il leur dénie toujours toute prérogative pédagogique, censée relever entièrement et strictement de l’enseignant. C’est un travail encore invisible, car indicible dans l’état actuel des rapports sociaux au sein de l’école maternelle9 », rappelle Fabienne Montmasson-Michel. Ainsi, l’instit reste maître·sse dans « sa » classe. Dans cette division du travail pédagogique, les enseignant·es s’occupent des domaines considérés comme les plus légitimes, telles l’entrée dans l’écrit ou la représentation des nombres. De plus, les Atsem souffrent d’un manque d’autonomie quant aux missions éducatives, contrastant avec celle dont elles disposent pour l’entretien et l’hygiène : les enseignant·es les considèrent parfois encore comme des femmes de ménage. Une situation renforcée par leur absence criante aux réunions de l’équipe pédagogique ou lors de l’élaboration du projet de classe.

Deux femmes pour un même espace

Les Atsem sont sans doute les seules de leur filière médico-sociale à vivre la concurrence obligatoire et quotidienne avec un autre métier, celui de la maîtresse d’école – j’utilise le féminin, car elles sont femmes à 82 % dans le premier degré, dont sans doute 90 % en maternelle. « Une instit m’a dit : “Ça me fait mal de te voir assise à mon bureau” », se souvient Katia, qui travaille dans une petite commune de l’Isère. Comment ne pas voir ici une forme de lutte de pouvoir entre une femme et une autre, une dominée et une un peu moins dominée ? Car l’enseignante ici n’est pas prof de fac : elle reste dépréciée, sur une échelle du prestige professionnel qui mettrait l’université à 10 et la maternelle à 1, grosso modo. La peur de perdre son autorité sur la classe arrive dès la formation. « Les instits entendent : “Fais attention, c’est toi qui décides, ne te fais pas marcher sur les pieds” », raconte Catherine Hurtig-Delattre, qui fut longtemps maîtresse-formatrice.

Sans formation commune aux deux, chaque corporation a son mot à dire sur l’autre. « Les enseignantes sont si peu formées sur les émotions des tout-petits. On a les enfants neuf heures par jour, beaucoup plus qu’elles. On voit bien des choses qu’elles ne voient pas, car les comportements diffèrent selon les moments de la journée », confie Katia. Les compétences, peu reconnues, quant au soin et à la gestion des affects, qui font souvent que les enfants iront voir les Atsem pour se faire consoler et exprimer leurs émotions, fragilisent d’ailleurs parfois la position d’éducatrice sans faille que veut se donner l’instit. Une concurrence renforcée par le fait que celle-ci est quotidiennement observée par son binôme, dans un métier où l’évaluation est quasi inexistante et les inspections rares. Cela dit, les signalements d’Atsem pour mauvais comportement des enseignant·es vis-à-vis des enfants sont très inégalement pris en compte, les municipalités étant peu actives dans la défense de leurs agent·es face à l’Éducation nationale. D’ailleurs, l’absence de complicité tient aussi à cette différence d’employeur. Sans patron commun, les revendications et les luttes se croisent très peu : si l’instit fait grève, elle va rarement raconter pourquoi à l’Atsem. Et vice versa. Autant de facteurs favorables au cocktail explosif des harcèlements moraux et autres abus de pouvoir.

Harcèlements et mépris

Car la pénibilité professionnelle chez les Atsem vient certes d’un quotidien fait d’« efforts dynamiques sur de courtes durées, de postures pénibles dans un environnement au mobilier bas adapté à la taille des enfants », de transport de charges lourdes (les enfants, ça pèse !) et d’un environnement si bruyant que son niveau de décibels se situe juste en dessous de celui du bâtiment, mais la recherche-action menée en Île-de-France insiste aussi sur la souffrance liée à la « mise à l’écart de la “communauté éducative”10 » qui se concrétise dans ce duo souvent disjoint, voire violent, formé avec l’autre adulte de la classe.

C’est ce dont témoigne Marie Grosset dans un livre édifiant, Si vous saviez…, autoédité en 2020 par le biais de Librinova. En sa qualité d’Atsem, elle y raconte sa dépression à la suite du harcèlement moral d’une directrice d’école (qui sera mutée avec quatre mois de mise à pied par l’Éducation nationale, chose assez rare pour être soulignée11) et retranscrit les témoignages de dizaines d’autres collègues, qui décrivent les mêmes mécanismes d’abus de pouvoir et de mépris : ici, c’est Marie qui raconte comment la directrice d’école remercie tout le monde à la fin de l’année scolaire sauf les Atsem et le personnel d’entretien, là, c’est une nouvelle enseignante qui impose à Charlène, du même âge, de la vouvoyer et de mettre son repas au micro-onde à 11h55 précises. Jusqu’à exiger également du maire la réhabilitation des blouses pour les Atsem.

Maïda, Atsem dans une école de Grenoble, raconte : « Un jour, on m’a demandé de faire des cafés pour les parents. Une autre fois, ma veste était par terre alors que je l’avais simplement mal rangée… Une année, j’ai vu une instit renverser tout un pot de colle sur les mains d’un enfant noir qui ne supportait pas la texture : “Tu vas malaxer, car dans ton pays on doit savoir ce que c’est !” Je suis intervenue et n’ai eu aucun soutien de la part de mon employeur. Et la directrice m’a dit que j’étais trop sensible, que je devais rester à ma place. Je suis partie travailler en micro-crèche. » Manue, elle, n’est pas passée loin de la mort. « J’ai vu des violences commises par une enseignante : un enfant qui se faisait tirer par le bras, mettre par terre. Un autre qui était toujours puni dans le couloir. Avec les collègues, on finissait son travail pour qu’il aille jouer aussi. Je l’ai dénoncée et j’ai été harcelée par la directrice, qui ne me lâchait plus. J’ai fait deux burn-out et une tentative de suicide. J’ai été arrêtée plusieurs années. »


Les « trésors » se rebiffent

En mars 2018, Emmanuel Macron annonce le passage du début de l’instruction obligatoire de 6 à 3 ans, lors des Assises de la maternelle (concrétisé par la Loi pour une école de la confiance, promulguée en juillet 2019). Conscient que cela ne ravira pas les Atsem, il leur consacre quelques phrases dans son discours. Considérant « leur contact avec les enfants » comme « un trésor dont nous ne saurions nous passer », le président leur promet « une pleine reconnaissance financière, statutaire ». Ne voyant rien venir, le collectif Atsem de France lance une mobilisation l’été suivant. Les agentes sont invitées à envoyer une carte postale à l’Élysée, signée « Les trésors oubliés ». En février 2021, il semble ne pas les avoir encore lues…


 

Devenir collègues ?

Depuis quelques années, plusieurs académies proposent des sessions de formation continue communes aux Atsem et aux professeures des écoles. Une bonne manière de travailler à « une reconnaissance mutuelle et une complémentarité des métiers », selon Catherine Hurtig-Delattre, tout en donnant aux Atsem une vraie place au sein de la communauté éducative. À quand une organisation du travail permettant des concertations régulières de tout le personnel et une présence collective auprès des parents ? « On réclame des réunions depuis des années, et toujours rien ! » se désole Frédérique à la fin de notre entrevue, elle qui s’est invitée à la réunion de rentrée, « pour expliquer [son] rôle ». « Aujourd’hui, l’instit avec qui je bosse range aussi et nettoie même les fesses des gamins. C’est un ange », a précisé Manue après nous avoir raconté sa dépression. Suivant cet exemple, une organisation du travail plus égalitaire et émancipatrice repenserait la division des tâches, réduirait voire supprimerait les écarts de rémunération, verrait les professeur·es assurer alternativement le nettoyage des caleçons plein de pipi, tandis que les Atsem s’autoriseraient à mener des projets créatifs, sous le regard bienveillant d’une instit qui serait devenue collègue…

1. À partir du milieu des années 1820, des dizaines de « salles d’asile » sont fondées à Paris puis des centaines à travers tout le pays, afin d’accueillir des enfants de 7 ans puis de 6 ans maximum, surtout pour soulager les mères devenues ouvrières, mais aussi à destination de milieux plus favorisés.

2. « Les Atsem, les activités manuelles et la raison graphique », Fabienne Montmasson-Michel, Recherches en éducation no 30, novembre 2017. Dans le détail,
il y avait en moyenne plus de 50 enfants par classe juste après la Seconde Guerre mondiale, 40 au début des années 1970, 30 au début des années 1980, pour arriver donc à 26 depuis les années 2000.

3. Créé en 2016, le collectif Atsem de France tente de fédérer les membres de la profession afin
de lutter pour une meilleure reconnaissance du métier.

4. « Les Atsem, les activités manuelles et la raison graphique », art. cité.

5. « Pénibilités des activités de service et santé des agents spécialisés des écoles maternelles. Des évolutions avec l’âge », Catherine Delgoulet, Annie Weill-Fassina et Céline Mardon, Activités, avril 2011.

6. Le travail du care, terme difficilement traduisible en français (« soin », « sollicitude »), consiste à « effectuer sur le registre salarié des tâches déjà effectuées dans la sphère familiale. […] Les qualités dites féminines […] sont largement sollicitées […] même si leur reconnaissance – professionnelle et statutaire – et leur valorisation – financière notamment – laissent à désirer », selon les sociologues Geneviève Cresson et Nicole Gadrey, dans « Entre famille et métier : le travail du “care” », Nouvelles Questions féministes, vol. 23, 2004, p. 26-41.

7. « … et les enfants seront bien gardés », Celia Izoard, Z no 10, 2016.

8. Citation extraite de « Les Atsem, les activités manuelles et la raison graphique », art. cité.

9. Ibid.

10. « Pénibilités des activités de service et santé des agents spécialisés des écoles maternelles », art. cité.

11. Si vous saviez…, Marie Grosset, éd. Librinova (maison d’aide à l’autoédition), 2020, p. 134.