Nous nous sommes dit « au revoir » le 2 avril, un peu fébriles, rempli·es de doutes sur la date de nos retrouvailles et inquièt·es devant la perspective de travailler à distance, de nouveau...

Et à raison !

Impossibilité de nous retrouver en classe virtuelle, difficultés à communiquer par mail, culpabilité à ne pouvoir nous connecter de l’autre côté de la ligne virtuelle.

Bien malgré nous, le lien se distendait de jour en jour.

J’étais soucieuse, je l’avoue, face au silence de certain·es. Heureuse, aussi, de récolter quelques travaux dans mon casier en ligne. Affligée et honteuse de l’incompétence de l’institution à fournir aux élèves et aux personnels des outils dignes de ce nom, capables de nous permettre de travailler, tout au moins de garder le contact avec les élèves.

L’impression terrible de retourner un an en arrière, avec le ventre noué, l’angoisse des élèves, ma propre angoisse, celle de mes collègues.

Dimanche arrive, veille de la reprise, en vrai, enfin ! Petite appréhension malgré l’impatience : que va-t-il se passer ? Dans quel était vont-elles/ils être ? Et moi, comment reprendre contact après ces semaines d’échec subi, dont ni les élèves ni moi n’avions la responsabilité ? Quel rapport aux apprentissages ? Quel lien entre tou·tes ? Quelle organisation ?

« Bonjour madame ! », « vous allez bien madame ? », « madame, je peux faire mon exposé sur les serpents aujourd’hui ? », « madame, j’ai ramené tout ce que j’ai fait chez moi, mais j’ai oublié une feuille dans une pochette, c’est pas grave ? », « madame, ça fait tropplaisir d’être là », « madame, regardez l’affiche que j’ai faite pour mon travail libre, elle est trop grande, j’ai dû la plier », « madame, vous avez l’air de bonne humeur ! »

Et pour cause ! Avec quel naturel nous nous sommes retrouvé·es, avons réinstallé nos habitudes de vie, nos habitudes de travail à la fois individuelles et collectives.

Fierté des élèves à montrer les lectures, écritures, ou recherches faites à la maison. Remise en activité avec plaisir, sérieux et enthousiasme. Échanges sur le confinement, bien vite balayés par l’envie de s’y mettre, de poursuivre les exposés, les textes libres, de reprendre des travaux de groupes arrêtés brutalement. Mains levées pour demander des conseils sur un exercice, une analyse de texte, une préparation d’affiche. Discussion animée autour de l’héroïsme, thème du moment en 5e.

« A demain madame », « bonne journée madame », « bon appétit ! ».

Je reviens le coffre rempli de cahiers, de travaux en tout genre.

Un peu effrayée par la quantité de travail.

Mais les nœuds se sont dénoués, et je ne m’en suis même pas aperçue.

Jacqueline Triguel
illustration : photographie d’Elinor Wiltshire, Dublin, 1967 (National Library of Ireland)