Inspirée par un article du Nouvel éducateur, j’ai lancé mes élèves de CE1-CE2 dans la construction d’une frise chronologique.

Pour commencer, je leur ai demandé de remettre dans l’ordre des étiquettes avec les années, de 1900 à 2021. Quel travail ! Pendant 40 minutes, la classe devient une ruche en foisonnement. Petit à petit, avec un peu de soutien de ma part, les nombres s’ordonnent et commencent à former une grande file. Nous les collons sur la frise (plus de 5 mètres de long !), et chaque enfant colle une gommette sur son année de naissance.
Je sens l’émerveillement parmi les enfants. Ils perçoivent le concret de la longueur d’un siècle. 100 ans !

Je leur demande ensuite d’enquêter auprès de leur famille pour trouver la date de naissance de différents membres de la famille. Chacun se sent concerné, investi d’une mission.

A la séance suivante, il faut reporter les dates de naissance des membres des familles sur la frise, une couleur pour chaque étape de l’arbre généalogique. Petit à petit, nous voyons les générations apparaître. Quelques erreurs donnent lieu à des commentaires. Qui a son papa ou sa maman qui est née en 1923 ? Ça parait tout de même un peu trop loin !

Je demande ensuite : est-ce que vous connaissez des choses importantes qui se sont passées dans le passé ? Il y a longtemps ?

Et là, c’est le déferlement… la première guerre mondiale (je la place sur la frise, stupéfaction des élèves devant la longueur de l’évènement. La guerre pendant 4 ans !) – la préhistoire – les mammouths (d’ailleurs, existent-ils encore ?) – les dinosaures (tiens, comment ont-ils disparu ? N. nous racontera ça dans un exposé lundi !) – l’explosion du soleil (ah non, pas encore) – les explosions volcaniques (quelles sont leurs fréquences ?) – la troisième guerre mondiale (pas encore, ouf) – quand Jésus Christ a créé la Terre (aïe, on est à 5 minutes de la sonnerie et je sens le débat de fond qui s’enclenche…). Je leur dis que la naissance de Jésus Christ marque le début de notre calendrier, mais la discussion n’est pas close : « mais non, c’est pas Jésus Christ qui a créé la Terre c’est Dieu ! ». Il faudrait aussi savoir si Artémis, dont nous lisons l’histoire en ce moment, a vraiment existé.
Oups, je ne pensais pas qu’on irait si loin…

Me voici maintenant aux prises avec la nécessité de distinguer les croyances des faits scientifiques concernant la création de la Terre. Face à une élève qui soutient mordicus que « c’est vrai, c’est la vérité » (que Dieu a créé la Terre), et dont on sent toute l’insécurité émotionnelle que soulève la remise en cause de cette croyance. C’est une posture qui refait surface régulièrement dans la classe, sur des sujets philosophiques ou scientifiques. Et je sais qu’il faut faire avec, que je ne lui ferai pas avaler un discours prémâché. Il va falloir aider cette fillette à se distancier de cette croyance, pour peut-être lui garder une place dans son cœur tout en faisant une place dans sa tête pour les faits scientifiques. Elle n’est pas la seule d’ailleurs. Lors d’une séance d’écriture de questions, les enfants avaient partagé plusieurs questions sur le sens de l’existence et sur l’après-mort. Pourquoi on existe ? Pourquoi les animaux, les arbres existent ? Où est-ce qu’on va après la mort ? Et en même temps que les questions, les réponses avaient fusé : « c’est Dieu ! »
Nous voilà donc avec du pain sur la planche.

Comment appréhender les grandeurs pour placer sur notre frise la création de la Terre, la vie des dinosaures, celles des humain.es préhistoriques, et la nôtre ?
Comment distinguer les croyances des faits scientifiques, à notre échelle ? Et comment distinguer les questions auxquelles la science peut répondre, des autres ?

Lily Parent


La rubrique « L’imprévu » se propose de relater une fois par semaine des récits de classe de la part de pédagogues engagé.es (vous !) : « moments champagne »[1] où la coopération fait pétiller le quotidien, ou au contraire, scène de crise illustrant la violence du métier et de l’institution ; récits d’événement pédagogique où l’inattendu entre dans la classe ou compte-rendus minutieux d’une séance bien ficelée, partagez avec nous ces moments de classe qui font rire, réfléchir, pleurer et s’engager ! Ces moments toujours imprévus[2] et imprévisibles où le vivant entre par la fenêtre, l’endormi se réveille, les passions s’échauffent.

Il importe de faire parler l’école, de faire entendre son quotidien et ses engagements. Raconter ces instants qui nous brûlent les lèvres à 16h30, mais qui trouvent peu souvent d’écrit pour les garder en mémoire. C’est l’objectif que ce donne cette rubrique.

[1] Comme le fait si bien Daniel Gostain sur son blog, La Classe plaisir : http://laclasseplaisir.eklablog.com

[2] Comme c’est le nom de cette nouvelle rubrique, voilà une petite introduction à l’imprévu : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/6092

illustration : photographie de l’agence Rol / Gallica