On pouvait s’attendre à ce que la droite soit opposée aux femmes voilées et aux groupes de parole non mixtes, comme elle l’est à la PMA ou à l’écriture inclusive ; on pouvait attendre qu’elle oppose des arguments à ses adversaires politiques dans un débat légitime au sein d’une société démocratique.

Force est de constater qu’elle a choisi une autre démarche et repris le procédé de toutes les extrêmes droites : réduire l’adversaire à une caricature qui l’essentialise, le délégitimer ou le disqualifier en lui déniant l’appartenance au monde commun opportunément schématisé en « la République » ou « nos valeurs », réclamer enfin non pas une sanction pour des faits allégués, mais une « dissolution ».

Les déclarations en ce sens se multiplient depuis quelques semaines, et concernent non seulement l’Unef, mais plus globalement « le monde universitaire », et aussi le syndicat Sud, la Fcpe, la Ldh, l’Observatoire de la laïcité, le parti écologiste Eelv… A chaque fois le même procédé s’applique.

Contre les groupes de paroles non mixtes de l’Unef, le ministre de l’Education nationale proclame qu’ils peuvent mener à «  des choses qui ressemblent au fascisme  » et que « c’est anti-républicain » ; le député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti a demandé au ministre de l’Intérieur « d’étudier sans attendre la dissolution de l’Unef », mouvement « clairement anti-républicain devenu l’avant garde de l’islamo-gauchisme » ; la ministre de l’enseignement supérieur renchérit : « l’islamo-gauchisme gangrène la société et l’université n’est pas imperméable », faisant écho au vice-président des Républicains Gilles Platret qui juge que « le monde universitaire, en rejetant violemment la proposition de la ministre Vidal sur l’islamo-gauchisme, fait la démonstration qu’il est gangrené par l’indigénisme » ; et l’abominable métaphore de la « gangrène » ajoute une nuance de déshumanisation qu’on espérait ne plus voir dans le débat politique.

Le même discours est tenu contre « les syndicats professionnels » qui « incitent au séparatisme » et contre lesquels 18 députés LR demandent « d’élargir les possibilités de dissolution », notamment pour SUD éducation 93, qui « a programmé des interventions intitulées “l’histoire décoloniale”» ; contre la FCPE, dont l’ancien inspecteur général Jean-Pierre Obin accuse le président d’avoir « donné des gages aux islamistes » et au sujet de laquelle Manuel Valls affirme que « La FCPE était un bastion du combat laïque républicain dans ce pays. Elle ne l’est plus, à l’évidence. » ; contre la LDH : Obin affirme dans le même livre que « plusieurs organisations “historiques” de gauche (la LDH, l’Unef, la FCPE, par exemple) […] sont entrées dans l’orbite islamo-gauchiste à la faveur de la prise de pouvoir de militants d’extrême gauche épaulés par “l’entrisme” d’activistes proches des Frères musulmans » ; contre EELV et les maires écologistes : après la décision de la maire EELV de Strasbourg d’accorder une subvention à la construction d’une mosquée, la ministre déléguée auprès du ministère de l’Intérieur chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a déclaré sur Bfmtv que « Manifestement, les Verts ont un problème avec les principes de la République » et que « Europe Écologie-Les Verts pactise avec les tenants d’un islam politique et radical » ; contre, même, l’Observatoire de la laïcité, commission indépendante fondée en 2007 par Jacques Chirac, composée de parlementaires, de hauts fonctionnaires, d’historiens, de spécialistes des religions et placée sous l’autorité du Premier ministre, et que le gouvernement va supprimer parce que « La volonté du Premier ministre est de renouveler cette instance afin qu’elle soit davantage en phase avec la stratégie de lutte contre les séparatismes ».

Face à un tel déferlement d’attaques, le Rassemblement national n’a plus qu’à abonder dans le même sens …

Il est d’autant plus navrant que des élu-e-s se réclamant de la gauche aillent dans ce contexte jusqu’à voter des amendements opportunistes déposés par la droite pour durcir encore la loi dite « séparatisme », comme celui baptisé « amendement Unef » voté au Sénat le premier avril, confortant ainsi l’emprise de l’idéologie conservatrice, la marche à une république autoritaire et le recul de la démocratie.

Alain Chevarin