Quelle université voulons-nous ?

Derrière les polémiques autour d’un prétendu « islamo-gauchisme » qui menacerait l’université et celles autour du livre publié par Gérard Noiriel et Stéphane Beaud (1), il y a une triste réalité dont on ne parle pas beaucoup, l’état de l’université après le traitement de choc néolibéral qu’elle a subi ces 20 dernières années.

Vaines polémiquesRetour ligne automatique
 Notre propos n’est pas de défendre ou de descendre en flèche le travail de Beaud et Noiriel, mais de prendre plutôt la réception de leur livre comme un symptôme. Poser le problème de ce que l’émancipation a à gagner ou à prendre dans la « racialisation » de la question sociale n’est pas en soi scandaleux, les deux auteurs pouvant par ailleurs se prévaloir d’une certaine légitimité en la matière. Reste que leur manière de s’abriter derrière la science pour appuyer leur démarche surprend parfois. Comme quand ils opposent Weber à Marx, le premier apparaissant plus digne d’intérêt parce qu’il aurait fait du métier de savant sa vocation quand Marx se serait fourvoyé en épousant la cause révolutionnaire, manquant par là même de rigueur scientifique. Sauf que Marx n’a jamais prétendu être un savant et ne parle pas depuis le même endroit que Weber : c’est un penseur critique qui a pris le parti du prolétariat, ce qui ne l’empêche pas de faire preuve de rigueur intellectuelle. Il s’agirait moins de les opposer de manière binaire que de les confronter, comme cela se fait depuis bien longtemps… Retour ligne automatique
 Mais les critiques faites aux deux auteurs sont parfois tout aussi étonnantes. On apprend ainsi que, vu le contexte hautement inflammable, ils auraient dû attendre avant de publier leur livre (2). Depuis quand la recherche universitaire devrait-elle dépendre de l’agenda des politiques et des petites phrases ?Retour ligne automatique
 En réalité, ce que les polémiques autour du livre de Beaud et Noiriel révèlent, c’est la crise que traverse l’université. Sommée de s’adapter aux règles du marché, elle a vu l’État se désengager financièrement, entraînant des manques de moyens chroniques et la précarisation des personnels. Mais ce même État ne cesse d’intervenir pour affaiblir les libertés académiques et les instances de régulation institutionnelles. L’extrême déstabilisation du monde universitaire, sur fond de concurrence acharnée pour l’obtention de postes de plus en plus rares, n’est peut-être pas étrangère au remplacement du débat d’idées par les vaines polémiques et les attaques personnelles, les postures se montrant parfois plus efficaces que les réflexions raffinées dans les luttes de pouvoir. Derrière les querelles illusoires et les instrumentalisations, il y a l’impuissance de la communauté universitaire à résister collectivement à sa propre destruction. Car il ne fait en effet aucun doute que les charges contre l’ « islamo-gauchisme » visent à s’en prendre à la raison d’être de l’université et à ce qui devrait être sa mission première à côté de la formation intellectuelle : la production et la diffusion de connaissances critiques sur la société. Or c’est bien avec cette tradition de pensée que l’État veut en finir, au nom de la nécessaire adaptation au marché mondial de l’éducation.

Et la jeunesse dans tout ça ?Retour ligne automatique
Avec la crise sanitaire, nombre de jeunes se retrouvent de plus en plus isolés. La presse parle même d’explosion de la précarité étudiante et de crise historique tant sur le plan matériel que psychologique. En cas de décrochage massif, y aura-t-il de la place pour toutes et tous l’année prochaine sans plan d’urgence ? Et quelles seront les conditions d’enseignement après des mois de fermeture ? Les élèves de terminale se posent à juste titre la question. Retour ligne automatique
 Pour l’État, les polémiques dérisoires ont un avantage, celui d’éluder les vrais problèmes. Parmi ceux-ci, la question de savoir quelle université nous voulons n’est pas le moindre.


Notes : Retour ligne automatique
1. S. Beaud, G. Noiriel, Race et sciences sociales, Essai sur les usages publics d’une catégorie, Agone, février 2021.Retour ligne automatique
2. Michelle Zancarini-Fournel, Les erreurs d’un livre, En attendant Nadeau, https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/02/25/erreurs-livre-beaud-noiriel