« Comment l’école reproduit-elle les inégalités » questionne le petit ouvrage, simple et efficace, de Sébastien Goudeau, chercheur en psychologie sociale. Pas de thèses nouvelles ni de grandes révélations à la lecture de cet ouvrage, mais une introduction au champ de la psychologie sociale, notamment anglophone, peu connu et exploité dans les sciences de l’éducation en France. Si pour répondre à cette question, l’absence relative de la sociologie des inégalités scolaires française (notamment le laboratoire Escol) peut sembler étonnante, les travaux cités dans l’ouvrage permettent d’éclairer à nouveaux frais le rôle de certaines croyances et pratiques (notamment d’évaluation) dans la reproduction des inégalités.

Le premier chapitre « Explications dominantes du lien entre classes sociales et réussite scolaire » prend au sérieux la thèse d’une « origine génétique des écartes de performances individuelles » pour mieux montrer ses insuffisances scientifiques. Elle revient aussi sur les impasses d’une « théorie du handicap culturel » où les inégalités seraient comprises comme « manque de culture ». Ce chapitre constitue une excellente synthèse et vulgarisation des débats sur les inégalités scolaires et permet d’écorner – cela ne fait jamais de mal – à la fois les idéologies du don et celle du mérite, toujours prégnante à l’école comme en politique.

L’ouvrage présente ensuite les résultats de nombreux de travaux de psychologie sociale s’attelant à expliquer la reproduction des inégalités à et par l’école (la dense bibliographie contient une soixantaine de références). Les protocoles expérimentaux de psychologie sociale permettent de mettre en avant le rôle de certains stéréotypes sociaux et notamment leur rôle dans l’image d’eux-mêmes des élèves et leurs interprétations de la difficulté scolaire.

Les travaux sur la « menace du stéréotype », par exemple, montrent comment les stéréotypes négatifs pèsent sur la concentration des élèves. Si dans le livre, c’est surtout de la classe sociale qu’il est question, cette perspective pourrait être intéressante à mobiliser concernant le genre ou la race où les explications en termes de capital culturel sont moins évidentes. Il pourrait être productif aussi de la rapprocher des questions de « conflit de fidélité » pour penser comment le poids de l’histoire scolaire des parents peut peser sur les élèves.

Une des pistes intéressantes est aussi le rôle donné à l’interprétation de la difficulté scolaire par les élèves eux-mêmes en fonction de croyances culturelles et des pratiques pédagogiques mises en place. Les expériences montrent une tendance des élèves à essentialiser leurs difficultés scolaires (« je suis nul », « je ne suis pas intelligent »), notamment parce qu’on ne leur donne pas les clés de compréhension pour comprendre les succès des autres élèves avec lesquels ils se comparent.

Plus généralement, l’ouvrage montre que la pression liée aux contextes concurrentiels et de sélection, pèsent plus sur les élèves issus des classes populaires que les autres, et leur sont défavorables (bref, monsieur Blanquer et madame Vidal, lisez cet ouvrage).

Il est cependant regrettable que ces expériences mesurent presque toujours les performances des élèves dans des situations d’évaluation, mais semblent difficilement entrer dans les mécanismes de l’apprentissage. Différentes variables sont testées sur les situations de classe, mais ces expériences ne questionnent ni les savoirs scolaires, ni le rapport des élèves à ceux-ci. L’auteur précise d’ailleurs dans la conclusion : « ces effets de situation sont relativement faibles dans le sens où ils modifient les performances de façon modeste ». Si les variables mesurées par les expériences de psychologie sociale montrent comment les inégalités s’accentuent, la thèse bourdieusienne de l’ « arbitraire culturel » reste finalement la principale explication de la reproduction des inégalités.

Sébastien Goudeau, Comment l’école reproduit-elle les inégalités ? : Égalité des chances, réussite, psychologie sociale, PUG (coll. Actualités des savoirs), 2020, 104 p., 8,80 €.

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