« – Tu veux un agenda ? je demande à ma colocataire.
– Euh, fais voir. Celui de l’Unsa, il est sobre mais bon c’est l’Unsa. Celui du Snuipp, il est plus… syndical. Tu remarqueras qu’il est pas moche non plus…

Je lui explique tout en les sortant de mon tote bag de l’Espé : « Bah, en fait, ça ira merci. Mais par contre, t’aurais pas une clé USB à dépanner ?
– Tiens, tu peux prendre celle que la FSU m’a donnée… Je sais pas quelle contenance elle a, tu regarderas. » Je lui réponds tout en essayant de retrouver la clé sous les diverses brochures syndicales qui parsèment la table du salon. Je griffonne sur un post-it offert par la GMF avec un stylo de la MGEN qu’il faut qu’on pense à renvoyer nos papiers pour obtenir l’aide au logement. C’est la pré-rentrée des profes­seur.e.s stagiaires et nous avons été très bien accueilli.e.s.
La rentrée des professeur.e.s stagiaires (à Paris) commence sur un trottoir de la rue des Écoles à faire la queue pour entrer dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne (celui dans lequel, quand tu es étudiant.e à la Sorbonne, tu ne rentres jamais). Un militant du Snalc m’aborde : « On dit souvent qu’on est un syndicat d’extrême-droite, mais c’est pas vrai, moi j’ai voté Poutou. » Je récupère son tract, comme je le ferai pour ceux des autres syndicats présents. Ils sont presque tous au rendez-vous : tou.te.s les stagiaires (premier et second degré) sont là au même moment, il faut en profiter.
Il est des questions
insupportables…
Après plusieurs heures de discours abstraits sur l’éducation, sur notre mission d’enseignant.e.s, etc. par divers.e.s officiel.le.s, je peux enfin poser la question qui me
taraude depuis le début. « Hum… il y a une chose que vous n’avez pas précisée, on va être payé.e.s combien ? Comment ? Et quand ? » La représentante du rectorat me fait clairement comprendre que je casse l’ambiance et ne répond pas, mais autour de moi, plusieurs stagiaires se
retournent et me soufflent : « Faut que t’ailles voir les syndicats, ils pourront te dire. »
Finalement, même si je suis un peu énervé par la réponse, le vif réflexe syndical – pour moi qui n’avait connu que le syndicalisme étudiant – m’a un peu consolé. Au moins, les gens savent que « les syndicats » existent.
Pendant toute la durée de cette pré-rentrée, à l’Espé, « les syndicats » seront là. Ils distribuent goodies et brochures de conseils pratico-juridiques à destination des stagiaires, et répondent aux quelques questions quand ces derniers daignent leur prêter attention. Les syndicalistes sont mêlés aux autres officines, notamment les compagnies d’assurance qui cherchent à fidéliser une clientèle promettant de leur assurer une rente de longue durée. Vu le manque d’informations données par le rectorat et l’Espé sur le déroulement de notre année de stage, et notamment sur nos droits en tant que professeur.e.s stagiaires, cela est franchement bien venu. En bouquinant la documentation syndicale, on devient soudainement un.e travailleur.se avec un salaire, des droits et des devoirs. La modalité vocationnelle et en même temps infantilisante des discours institutionnels lors de cette rentrée nous auraient presque fait oublier qu’enseigner, même en étant stagiaire, est un travail…
Lors de mon premier conseil des maître.sse.s, il sera plusieurs fois encore fait référence « aux syndicats », témoignant du rôle important joué par ces derniers dans la carrière des enseignant.e.s. Une collègue me soufflera à l’oreille que si elle avait eu ce poste, c’était parce qu’elle avait demandé… « à un syndicat ». Ma clé usb Snuipp fait donc partie de mon entrée dans le métier, tout comme leur jolie revue Fenêtre sur cours et leur guide pour les PES Rikikisaitou. On s’y affilierait comme on choisirait une complémentaire santé ou une assurance professionnelle, heu­reux.ses d’y trouver des services que ne fournit pas (et que devrait fournir) notre employeur. En ce sens, les syndicats dans l’Éducation nationale jouent ce rôle d’assistance propre au syndicalisme. Mais cette assistance, est-elle véritablement de la solidarité lorsqu’elle semble se vendre comme un autre produit ? Est-elle de l’autodéfense lorsqu’il ne s’agit plus de s’organiser collectivement ? J’ai finalement été surpris de ne pas être reparti avec des invitations à des assemblées générales de rentrée (alors que la rentrée s’annonçait sociale !) ou à des réunions syndicales ouvertes. Les professeur.e.s stagiaires n’ont finalement été sollicité.e.s par mail et les réseaux sociaux à se mobiliser que fin septembre pour… les élections au conseil de l’Espé. ■

Un tote bag est un sac en toile souple à deux anses, porté en bandoulière.

Illustration d’Emilie Setto, illustratrice invitée dans ce numéro de la revue