Alix Burle poursuit avec beaucoup de curiosité et d’interrogation son tour du monde des systèmes éducatifs et de la place qu’ils réservent (ou non) aux pédagogies émancipatrices. Il a posé ses raquette en Finlande et s’interroge sur la réussite d’un système montré souvent comme modèle. Après la lecture de l’extrait ci-dessous, nous vous invitons à répondre à son appel et à poursuivre la lecture de l’article sur son blog https://alixburle.blogspot.com/

“joka vetää sinut Suomen koulutusjärjestelmään !”

Nico travaille à l’Institut français. Il dispose donc d’un réseau bien tissé de professeurs de français dans le secondaire et d’expatriés travaillant au lycée français d’Helsinki. Cet établissement, à la base privé, est devenu publique en 1977 après son rachat par l’État.
J’ai eu la chance d’interviewer le directeur Kari Kivinen.

Alors M. Kivinen, selon vous, qu’est-ce qui fait la réussite du système scolaire finlandais ?
Ce qui caractérise l’évolution du système scolaire finlandais c’est le fait qu’ils soient allés au bout de leur raisonnement. Ils n’ont pas commencé par chercher le succès à quelconque test international. Ils se sont évertués à améliorer la réussite de leurs élèves en estimant juste de reconnaître les spécificités de chacun et pertinent d’introduire l’exploration et la manipulation concrète dans leurs pédagogies. Pour cela il leur a fallu accepter de retarder l’apprentissage académique, comme l’approche purement littérale de la langue. En Finlande les enfants n’apprennent à lire qu’à l’âge de 7 ans alors qu’en France on introduit déjà la transcription graphique des sons deux ou trois ans avant… Certes le finnois est une langue dite “transparente”, toutes les lettres écrites sont prononcées, mais la grammaire est tout aussi complexe que la nôtre. La différence linguistique n’est pas l’unique critère sur lequel on peut expliquer le succès des étudiants finlandais.
Ce qui distingue ce système de celui des autres pays de l’OCDE c’est le temps qu’on laisse aux enfants pour explorer de manière autonome le monde qui les entoure. Ils “épuisent” en quelques sortes leurs curiosités selon leurs affinités afin de faire émerger naturellement le désir d’apprendre.

Selon Kari la grille d’évaluation de PISA est taillée pour le système finlandais. Elle valorise la faible inégalité des niveaux des élèves et met davantage à l’épreuve l’expression du raisonnement logique que la restitution des connaissances théoriques.
Au fil de la discussion j’ai voulu en savoir plus sur le fonctionnement du système finlandais.

Deux questions me taraudaient l’esprit à propos des raisons de leur efficacité en la matière : comment peut-on avoir des bâtiments modernes, du matériel hightech, des effectifs raisonnables en classe et des professeurs bien formés et plutôt bien payés, tout en étant un des systèmes scolaires les moins coûteux de l’Union Européenne ?
Comment peut-on respecter le principe d’une éducation égalitariste quand les établissements sont gérés de manière autonome, davantage comme dans le privé ? Qu’est ce qui fait que l’autonomie des établissements et le recrutement au profil des enseignants ne créent pas du clientélisme donc des inégalités entre les différentes classes populaires ?
Impossible de transposer un processus démocratique… Le leur est basé sur l’équité. Ce qui oblige une certaine autonomie territoriale octroyée par l’institution. En France nous avons un fort attachement à l’égalité et de surcroît à l’harmonisation. La “Res Publica” est une et indivisible. Les textes seront les mêmes pour tous les enfants de la nation. L’uniformité ne se discute pas, le débat est plié. Si vous considérez que vous manquez de liberté pédagogique, c’est en dehors du système publique qu’il faudra la trouver.

Pourtant, ils ont l’air de bien s’en sortir les finlandais… Leur système est pragmatique, personne ne se jalouse et ils ne manquent pas de fraternité. L’autonomie des établissements semble donner plus de liberté aux enseignants donc d’adaptabilité aux différents besoins des élèves et par conséquent d’efficacité. Ils n’ont même plus besoin d’inspecteurs pour les surveiller…
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Les journées d’école sont effectivement assez légères en comparaison à celles des petits français.

Les tables sont en petits groupes et les activités se succèdent de manière rythmée. On commence en chantant en anglais ou par un exposé puis on enchaîne sur une séance de grammaire ou de mathématiques. Vous me dirait : “Quelle est l’originalité ?”
Ce ne sont pas tellement les techniques ou les savoirs enseignés qui sont différents en Finlande, on a aussi des leçons au tableau, on s’exerce également sur des cahiers. C’est plutôt la manière dont on considère les enfants, le rythme qu’on leur inflige qui est très différent.

Très souvent les portes de la classe s’ouvrent et les élèves peuvent aller faire leurs exercices où ils veulent, jusque dans le gymnase ou le hall de l’école par exemple.
Ou bien certains peuvent être accompagnés d’une aide individuelle. Car dans chaque établissement il y a un personnel qui permet aux enfants rencontrant des difficultés d’être accompagnés plus rapidement, presque instantanément, dans la suite même de la leçon. Ici il s’agit d’une petite salle de classe juxtaposant les autres, où les élèves qui le souhaitent peuvent venir faire leur exercices accompagnés d’une enseignante spécialisée et de matériel pour manipuler. La différence avec notre réseau d’aide à nous, le RASED qui a été réduit aux seuls établissements en zone prioritaire, c’est qu’elle suit en parallèle les apprentissages de la classe. Il ne s’agit pas de cours décrochés sur le temps de classe qui, même s’ils sont souvent efficaces et nécessaires, pénalisent parfois l’élève qui “manque” une séance avec ses camarades et l’enseignant qui doit faire en sorte que celui-ci la rattrape. J’ai remarqué que les enfants se sentent moins stigmatisés puisque ce sont eux qui choisissent de bénéficier de ce soutien et qu’ils regagnent le groupe rapidement, sans le sentiment d’avoir “raté” quelque chose.

Entre chaque séance d’une heure, les élèves sont libres une vingtaine de minutes puis on enchaine avec la suivante, souvent la suite d’un projet, d’une recherche, d’un exposé (…)
Bref, les élèves sont rarement assis à leur table et ils ont souvent le droit de bouger et communiquer librement en classe. Comme dirait Martin de l’école Kapriole, ce n’est pas du bruit, “it’s motion”, c’est du mouvement et toute activité génère naturellement du mouvement. Ce fonctionnement est possible parce que les écoles sont construites ainsi, multifonctionnelles, et que les élèves sont généralement moins de 20 par classe. On en revient perpétuellement au même point : baisser les effectifs. Il doit bien y avoir un graphique qui illustre l’inverse proportionnalité du nombre d’élèves par classe avec les résultats scolaires…