Il faut qu’il se sente suffisamment fort, Blanquer, pour faire annoncer par son secrétaire d’Etat Attal (1), en pleine période de contestation, la généralisation du service national universel (SNU) pour les années à venir : après une nouvelle expérimentation avec des volontaires en juin prochain, 100 000 « recrues » (des recrues de 15 ans !) en 2021, puis 200 000 en 2022, avant la généralisation à toute une classe d’âge (800 000 jeunes) en 2024, connaîtront les plaisirs de l’encasernement et de la mise au pas institutionnalisés dans le cadre de leur scolarité obligatoire.

Car s’il faut rappeler la spécificité particulièrement perverse de ce dispositif, c’est bien l’intégration d’une période militarisée de 15 jours dans le cursus éducatif des élèves, à mi-chemin entre les bataillons scolaires et les enfants-soldats : d’un côté, un projet élaboré par un général en chef, artilleur de profession (le général Menaouine), des règles de vie abrutissantes et infantilisantes directement inspirées de la discipline militaire, une finalité liée aux objectifs de recrutement de l’armée. De l’autre, l’imbrication du SNU, dans une éducation dite morale et civique (EMC) à dimension militaire et identitaire, balisée par de très officiels protocoles armée-école, fondant, depuis 1982, une “éducation à la défense” dont l’objectif affiché – outre le recrutement – est l’adhésion forcée à la politique militaire de la France (interventions extérieures, financements exorbitants, commerce des armes, dissuasion nucléaire etc). De longues années de propagande distillée à un public nécessairement captif, un bourrage de crâne commencé à l’école primaire et dont le SNU est considéré comme l’aboutissement logique. En conséquence de quoi, l’Education nationale met à la disposition du SNU et de l’armée ses locaux (plusieurs lycées réquisitionnés pour l’expérimentation de juin 2019), son personnel (car il s’en trouve) et, bien sûr, son argent, le financement du SNU – estimé à 2 ou 3 milliards d’euros par an, en dépit des minorations et des dénégations officielles (2) – étant entièrement à la charge des budgets éducatifs. On rappellera également la participation active (et trouble) d’une partie de la mouvance éducative qui, à l’instar de la Ligue de l’enseignement (cette dernière, il est vrai, dans la continuité de ses origines militaristes), a fait le choix d’un partenariat obscène avec le SNU.

La première expérimentation menée en juin 2019 a confirmé le côté brutal et coercitif d’un dispositif qui, à terme, fonctionnera exclusivement sur l’intimidation et la punition, les éventuels réfractaires se voyant lourdement sanctionnés. L’éducation civique à la française dans toute sa splendeur…

En dépit de quoi, il faut bien reconnaître que la mise en place du SNU, dont les grandes lignes sont connues depuis maintenant deux ans, n’a guère suscité d’opposition ni au cours des mois écoulés ni même au cours des dernières semaines, le sujet étant singulièrement absent de la contestation. Et pourtant : les milliards du SNU n’auraient aucun rapport avec le refus de la revalorisation opposé aux enseignants ou la suppression des postes ? L’internement obligatoire des jeunes de 15-16 ans rien à voir avec la réforme du lycée ? Que des lycéens s’inquiètent à l’avance pour leur retraite dans un demi-siècle implique-t-il qu’on ne voie rien venir de l’encasernement qui vient ou qu’on s’en satisfasse ?

Un silence qui interpelle mais qui explique sans doute pour une part l’arrogance du gouvernement, son obstination à mettre en œuvre un dispositif d’encadrement forcé des jeunes qui jouit d’une certaine popularité dans une opinion publique nostalgique du service militaire. En se contentant d’une dénonciation du bout des lèvres, les milieux éducatifs, les organisation dites représentatives ( ?) s’enferment dans une ambiguïté qui, à la longue, va passer pour de la complaisance.

(1) Attal qui, devant le rédacteur en chef de Ouest France en service commandé, aligne les poncifs et les contrevérités comme des perles.

(2) Du même Attal dans le même article : « le SNU devrait coûter entre 1 et 1, 5 milliard d’euros par an ». Mais, tient-il à préciser : « il faut voir le SNU comme un investissement, notamment en matière de lutte contre le décrochage scolaire, contre l’illettrisme et pour l’insertion professionnelle des jeunes. » Le rédacteur en chef en question n’a pas réagi…